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La Styx Croisières Cie (IV) Avril 2019 (par Michel Host)

Ecrit par Michel Host le 22.05.19 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

La Styx Croisières Cie (IV) Avril 2019 (par Michel Host)

 

« – La Reine : Enfin, sire, êtes-vous toujours décidé à aller à cette revue ?

– Le Roi : Pourquoi non, madame ?

– La Reine : Mais, encore une fois, ne l’ai-je pas vu en songe vous frappant de sa masse d’armes et vous jetant dans la Vistule, et un aigle comme celui qui figure dans les armes de Pologne lui plaçant la couronne sur la tête ?

– Le Roi : À qui ?

– La Reine : Au Père Ubu.

– Le Roi : Quelle folie. Monsieur de Ubu est un fort bon gentilhomme, qui se ferait tirer à quatre chevaux pour mon service ».

Alfred Jarry, Ubu Roi, Acte II, Sc. Ière

Jules de Montalenvers de Phrysac. Noté dans le Livre de mes Mémoires

Lµ-1. Où l’on voit (où Alfred Jarry nous fait voir) combien la démocratie représentative ou parlementaire est supérieure aux autres formes de gouvernement, notamment à la monarchie. En démocratie, le président ou le chef de la nation ne se fierait pas aux songes et à l’intuition de la Reine, pour la bonne et simple raison qu’il ne serait pas accompagné d’une reine, mais d’une first lady occupée au château à dresser la table des invités et à choisir ses robes et ses chapeaux, et aussi d’un grand conseiller ordinairement appelé premier ministre tout occupé à ruiner la réputation du président ou à le faire tomber dans des pièges ubuesques avec la secrète intention de lui succéder.

 

µ-2De l’homme à « l’état de nature », dit par facilité « le bon sauvage »

Le magazine du Monde (du 30 mars 2018), par exception, nous propose des témoignages instructifs, ceux de quelques femmes violées et rescapées des massacres qui eurent lieu au Rwanda il y a 25 ans (800.000 victimes au bas mot). Ceci accompagné de photos de Jonathan Torgovnik. De ces viols, ces femmes survivantes eurent des enfants qu’elles eurent le courage et l’humanité de ne pas abandonner ou tuer. Retenons ces six témoignages :

Justine : « Les miliciens m’ont amenée dans une plantation de bananes et ils m’ont violée pendant trois jours d’affilée. […] Je suis la seule survivante de ma famille. […] Je me bats aujourd’hui contre le VIH ».

Sa fille, Alice : « Je ne cherche pas à savoir qui était mon père. Je sais seulement qu’il était parmi des tueurs, qu’il a fait des choses que même un animal n’aurait pas pu commettre ».

Bernadette : « L’homme qui m’a violée a raconté aux miliciens que, comme j’avais été arrogante avec lui, il fallait que je devienne plus petite. Ils ont alors tapé sur mes jambes jusqu’à broyer mes os. Plus tard, j’ai été amputée… ».

Son fils, Faustin : « Avant de m’endormir, je m’interroge parfois longuement sur mes origines. Aujourd’hui je travaille très dur à l’école pour ne pas décevoir ma mère… ».

Aline (morte en 2009) : « Je n’ai pas de vie. Mes parents et mes douze frères ont été massacrés dans une église. Quant à mon mari il a été abattu dans l’école de mes enfants. Eux, j’ai pensé les avoir perdus après avoir été violée sous leurs yeux par au moins quatorze miliciens ».

Sa fille, Jackie : « À chaque fois que je riais, ma mère disait que j’avais le rire des gens horribles comme mon père (les Hutu). Elle affirmait que je ne devais pas exister. […] Je lui ai pardonné… […] Je rêve de devenir avocate ».

(Bref commentaire : nous n’ignorons pas qu’existent, ailleurs, non loin du Rwanda – la terre est ronde, n’est-ce pas ! – des monstres à la peau blanche, faits du même bois que ceux qui tuèrent et violèrent au Rwanda. Ils sont seulement très gênés dans leurs mouvements naturels par un réseau serré de lois et de réglementations, mais dès que leur sont ouvertes les portes des champs de la haine, ils savent montrer au monde tout ce dont ils sont capables (dernier exemple, le conflit Serbie contre Kosovo).

 

µ-3Samedi 30 mars. XXe rencontre entre les Gilets Jaunes et les forces dites de l’ordre

Les faits : une mobilisation des GJ officielle tournant autour des 32.000 personnes, et donc en forte diminution selon le ministère de l’intérieur. Peu de déprédations, y compris en Avignon que les GJ avaient déclaré leur lieu symbolique de rassemblement. Le préfet Castanerius soutenu par les médias et le patronat, semble peu à peu faire disparaître la pustule enflammée qui l’empêche de vivre et digérer en paix. Le fait de ne se vouloir aucun représentant empêche toute discussion entre les GJ et l’Exécutif ! C’est de l’irresponsabilité et une erreur. Les élections européennes approchent, l’issue du Brexit reste incertaine, les décisions que l’on extraira du Grand débat aussi : l’insurrection sera peut-être noyée dans le flot médiatique qui se gonfle dès maintenant. Ou peut-être pas.

 

µ-4Débris, éclats, décombres et copeaux de ce temps

Fin de semaine riche en petits événements porteurs de sens.

§1. Notre gouvernement effectue un mini-remaniement ministériel : trois conseillers proches de la présidence gagnent le gros lot au Loto ministériel ; parmi eux, Mme Sibeth Ndiaye, porte-parole de l’Exécutif. Elle est d’un superbe noir d’ébène et connue pour son franc-parler.

§2. Le CRAN (Conseil Représentatif des Institutions Noires de France), par la force du nombre et de l’ignorance, réussit à interdire l’entrée des spectateurs à la représentation annuelle unique que la Troupe Démodocos, dirigée par Philippe Brunet, donne en langue grecque, à la Sorbonne. Il s’agit de la pièce d’Eschyle, Les Suppliantes. Raison de cette censure, les actrices, de peau blanche, portent des masques sombres. On ignore que c’est la tradition, dans le théâtre antique, de faire porter des masques aux acteurs, et dans le cas présent, ils signifient que ces dames et actrices sont des étrangères venues d’Égypte et destinées, ici, à être accueillies. Le CRAN y a vu des « négresses » insultées par d’horribles blancs esclavagistes. Un contresens absolu ! Il est vrai qu’on ne peut tout savoir.

§3. Certains, bien informés, craignent que lors de la « présentation » des nouveaux ministres, des membres du CRAN, confondant la comédie politique française avec une résurgence des temps coloniaux, ne se précipitent sur Mme Sibeth Ndiaye afin de vérifier qu’elle n’est pas une femme blanche peinte en noir (fantasme des blackfaces) dans l’intention colonisatrice de la moquer ou, qui sait, d’en faire une esclave des temps contemporains. Il est vrai qu’on peut s’attendre à tout de nos jours.

§4. Ce dimanche soir, sur la Place de la République, des Algériens se réunissent nombreux pour fêter la victoire de la jeunesse d’Alger et de Constantine sur le pouvoir dictatorial vieillissant et corrompu représenté par le président Bouteflika. Se produit alors un événement tout à fait inattendu et filmé par de nombreux participants. Une manifestante vêtue d’une manière qui ne plaît pas à certains Algériens est prise à partie et violemment bourrée de coups par deux ou trois d’entre eux. Certains la défendent aussitôt, bientôt secondés par des membres de la RATP qui l’extraient de la meute. Elle est sauvée. C’est une manifestante célébrant elle aussi l’événement, un(e) « Trans » selon les dires des journalistes (je vais devoir m’informer… qu’est-ce qu’une « trans »… un « trans » ?). Elle s’appelle Julia. Elle portera plainte. C’était le dernier soupir du vivre-ensemble tel que le comprennent les partisans d’Allah les plus musclés.

§5. Me Dupont Moretti, sur le ton scandalisé de l’avocat mauvais perdant, aurait affirmé que, lors de son premier procès en complicité avec Mohammed Merah, son frère multi-criminel, M. Abdelkader Merah aurait été traité d’« animal ». Défense bien mal venue ! Comme le plus souvent, on déshonore les animaux, qui n’assassinent personne et ne sont les complices de personne.

 

µ-5XXIe rencontre Exécutif / Police / Gilets Jaunes

Faits : rien à signaler. Pas de violences notables. Nombre des participants : environ 21.000 (statistiques officielles). Des défilés un peu partout, dont deux à Paris, l’un vers les tours de la Défense, où l’on dore la pilule des actionnaires en payant le moins possible d’impôts. Le « Grand Débat » a pris fin. M. Édouard Philippe gratifie la nation d’un discours creux et ampoulé, où est annoncée l’incroyable nouvelle que M. Macron va prendre des mesures qui étonneront l’univers. Les attentes sont immenses et aussi les frustrations, la déception sera amère. Wait and see.

µ-6Parole démonétisée

Le malheur est que depuis 50 ans, nos politiques, nos gouvernants, nos journalistes ont tant bavardé à vide, tant promis sans tenir, tant menti, que la parole s’est démonétisée. Personne ne croit plus personne. À ce désastre se sont ajoutées les défèque-news, à savoir la sentine des fausses nouvelles. Le temps est venu où il convient de séparer le vrai du faux pour tout énoncé ou déclaration. Voilà qui devrait affiner l’esprit critique de cette nation du primesaut.

µ-7Ce samedi 13 avril 2019, XXIIe rencontre Gilets Jaunes, Forces de l’ordre

Les faits : des violences, notamment à Toulouse ; à Paris, des défilés plutôt paisibles. Participation selon les décomptes officiels : plus de 30.000 personnes. Certains GJ veulent rejoindre les péages des autoroutes. La police les en empêche. Les GJ promettent des manifestations plus vigoureuses. Cette promesse de nouvelles batailles de rue ne me réjouit pas. Je vois seulement avec plaisir que le peuple, qui attend des décisions concrètes après les longs bavardages du Grand débat, n’a pas renoncé à son combat ni n’a encore sombré dans le sommeil de la lassitude.

µ-8. Cet après-midi du lundi 15 avril, vers les 18 heures, la charpente en réparation de N.-D. de Paris, prend feu. Les deux tiers de la toiture vont s’effondrer, ainsi que la flèche construite par Viollet-le-Duc.

2000 mille visiteurs sont rapidement évacués. On ne déplore aucune victime. Les pompiers s’engagent pour éteindre le feu dans les décombres, refroidir les pierres, circonscrire et éteindre l’incendie se propageant parmi des tonnes de bois de chêne tombées des hauteurs. Regroupés sur le parvis, parisiens et visiteurs prient, pleurent et chantent. C’est le cœur de la France qui est touché. Il ne le sera pas à mort. La pierre fondamentale semble avoir tenu.

Le président Emmanuel Macron se déplacera deux fois. Il déclarera : « Nous rebâtirons Notre-Dame » ! C’est plus noble que « nous évacuerons les décombres et le construirons enfin ce parking dont la capitale a tant besoin » ! C’est positif. Ne renonçons pas complètement à être qui nous sommes.

Nous voyons tout cela à une distance de trois kilomètres environ : un brasier gigantesque, un enfer ! Peut-être cette église catholique larmoyante, repentante, vouée à des vices qu’elle hésite à dénoncer y trouvera-t-elle son retour d’énergie et son chemin de résurrection. Nous le voyons aussi du haut d’un 33e étage : la fumée, grise, bouffante, comme soufflée par les démons des gargouilles, est emportée vers l’ouest par le vent. Nous le voyons aussi de beaucoup plus près : l’écran de la télévision ! Et si Dieu par hasard y passait, ne serait-ce pas aussi sa fulminante colère ?

Un crève-cœur. M.D.B. voit disparaître sous ses yeux ce qui fit une part de son enfance. Pour moi, l’incroyant, c’est l’âme de cette terre que je vois s’effondrer. Son histoire, son savoir et ses savoirs, sa foi naïve et parfois si cruelle, son cœur profond. Ma culture, ses arts, notre livre de pierre et de papier, notre vertu et notre vaillance, nos cruautés, nos ridicules qui accusent nos grandeurs, et, au-delà de toutes les misérables querelles du jour, un fonds de civilisation de deux millénaires. Nous ne verrons pas reprise et ressuscitée une fois encore cette magnifique cathédrale car nous serons morts. Des touristes anglaises, américaines… sont en larmes. Des jeunes hommes, que je n’imaginais occupés que de jeux d’enfants et de musiques incertaines, pleurent eux aussi, contenant une peine obscure qu’ils n’expriment qu’avec difficulté.

Cette phrase admirable de Jules Michelet, qu’on ne peut suspecter d’amour du moyen-âge et de la religion : « Notre-Dame de Paris est le lieu du recueillement de la pensée ». Cela n’a l’air de presque rien. C’est d’une vérité simple et d’un rayonnement extraordinaire. « Recueillement » ! Méditons le terme dans sa hauteur et sa multisémie.

µ-9Samedi 20 avril, XXIIIe rencontre Gouvernement / GJ

Peut-être 29.000 manifestants selon les calculs officiels. Des bagarres auront eu lieu surtout à Toulouse, Bordeaux, et, à Paris, sur la Place de la République. Des policiers beaucoup plus mobiles : sur le petit écran on en voit qui pourchassent des manifestants extrêmement violents et les arrêtent. Certains de ceux-ci, de noir vêtus, mettant à profit les suicides de 28 policiers sur les 4 premiers mois de l’année (record encore jamais atteint), hurlent en cadence, à la manière de chiens enragés : « Suicidez-vous ! Suicidez-vous ! ». Cri  infâme et déshonorant que, dans la soirée et à raison, le ministre de l’intérieur qualifiera d’ignominieux. Certains GJ, en raison de la durée du conflit, prolongé et étiré le plus possible par le président, se sont peu à peu laissés gagner par une crasseuse canaille, cet esprit de lâcheté et de vulgarité qu’induisent l’ignorance propagée par les réseaux sociaux et le vide télévisuel, et aussi la bêtise ambiante dans laquelle s’engluent trop de jeunes cerveaux. À l’éducation rigide des temps anciens a succédé une parfaite non-éducation, voire un refus d’éduquer par incompétence et projection de l’individualisme consumériste.

Par ailleurs, l’incendie de la cathédrale Notre-Dame interdisait au Président de parler aux Français dès ce lundi de Pâques comme il était prévu. La conférence a donc été remise à ce jeudi. On sait, par des « fuites » et par l’expérience de ces derniers mois qu’elle ne répondra pas ou qu’à peine aux attentes des révoltés. On ne sait ce qu’engendrera cette formidable déception programmée. Côté gouvernemental, l’organisation du faux-semblant et de la procrastination devrait mener le troupeau rétif aux élections européennes, puis aux vacances d’été, et enfin à la rentrée d’automne et à l’oubli qu’appelle de ses vœux la bande d’incapables, de godillots et de transfuges du parti socialiste qui prétendent diriger cette nation. Nous n’avons pas fini de rire.

µ-10. Ce jeudi 25, à l’heure de la « collation » dans les Ehpad (nom socialement correct des mouroirs contemporains), notre président gratifie le pays d’une conférence simili-gaullienne. Il lui suffit, pour cela, d’être assis face aux quelque cent journalistes accrédités par le pouvoir, donc fort respectueux des usages. La cérémonie s’ouvre sur cette déclaration solennelle qu’un « nouvel axe sera désormais celui de notre République », de longtemps précédée de cette autre déclaration, ceux à qui reste un brin de mémoire s’en souviennent, que pour l’essentiel le cap de sa politique, choisi il y a deux ans, ne changera pas. On se demande comment le navire France évoluera avec boussole à bâbord et sextant à tribord. De même, les Français, pour répondre à l’art d’être eux-mêmes, devront être à la fois enracinés et universels ! Parmi les mesures présentées comme neuves, on créera un organisme chargé de rechercher les pères qui, séparés de leur épouse, ne payent pas la pension alimentaire dont ils sont redevables à leur famille délaissée. Or cet organisme existe, on doit croire par conséquent qu’il n’est que de piètre efficacité. En outre, on réunira les « services publics » régionaux en une seule « maison » par préfecture, ce qui semble une bonne chose. Mais quand ? Les pensions modestes seront réindexées sur le taux de l’inflation, ce qui semble positif. Du prix des carburants, de la vitesse sur les routes, du referendum d’initiative citoyenne, de l’Impôt sur la fortune… il n’est plus question. Les Gilets Jaunes ne seront pas contents. La laïcité et la loi de 1905 comme « pilier » de notre société n’est pas leur premier souci. Quelques mots enfin sur le climat, l’Europe et les 150 Français que l’on tirera au sort afin que les élus ne sortent pas exclusivement du moule de l’ENA et de Sciences-PO. Mais une fois encore, pour quand ces merveilles ? Les questions des journalistes furent très respectueuses.

µ-11Samedi 27, XXIVe rencontre GJ / Gouvernement

Le mouvement est assez diminué : environ 20.000 manifestants dans tout le pays. La vague revendicative est en train de s’effondrer et de se faire laminer sur les hauts fonds. Déjà se profilent les élections européennes. La CGT, pour les grandes manifestation du 1er mai, va sans doute encadrer les débris d’un mouvement qui n’a pas su se faire représenter politiquement. La plupart, et le gouvernement en premier lieu, s’en trouveront satisfaits. Pas moi.

 

Déclarations et Citations

L’âge va son train, il est né en 1945, il a écrit environ 200 livres (western, science-fiction, romans fantastiques, noirs, préhistoriques, romans, scénarios, nouvelles, bandes dessinées…). Il vit depuis toujours dans son village des Vosges, parfois il fatigue, mais toujours lui revient le désir. Il s’appelle Pierre Pelot et je lis son nom pour la première fois. La critique n’est pas pressée. Il est vrai que devant tant d’écrits et de genres divers, elle l’avait sans doute classé dans les inclassables ! Ici, à l’occasion de son dernier livre, Braves gens du Purgatoire, publié chez Héloïse d’Ormesson, il déclare à Florent Georgesco :

« J’ai beaucoup bougé et je n’ai jamais bougé. Physiquement, je n’en ai pas eu envie. Il y a un truc embêtant avec le corps, c’est que ça fatigue. Le reste non ».

« On ne va pas faire un truc genre portrait, hein ? C’est assommant. L’important c’est le bouquin, si vous voulez parler de moi, parlez de lui ».

« Moi, c’est mes livres ».

« … après l’angoisse vécue dans l’atelier de mécanique où, adolescent, la fatalité sociale semblait devoir [m’]enfermer ».

« … et ce truc pas bien foutu du tout », que tout doive s’arrêter un jour. « Une vie, c’est un peu restrictif. Parfois j’aimerais m’en contenter. Être toujours quelqu’un d’autre, forcément, ça ne laisse plus beaucoup de place pour être soi-même. Ou alors, être soi-même, c’est ça » (…) Je ne me plains pas. C’est la meilleure manière que j’ai trouvée de traverser la vie ».

Il va de soi que, sauf le désir d’outrepasser les frontières d’une seule vie, je partage toutes ces convictions de Pierre Pelot, et jusqu’à cette angoisse d’avoir limé de la ferraille, lors de mon adolescence, dans un atelier de mécanique, ignorant alors que l’on négligeait de me faire apprendre le latin et le grec, des savoirs que je n’ai pu entièrement combler.

 

Lexique de l’écrivain-I

Admiration

S’il y a lieu, elle est mon premier mouvement. Elle satisfait l’esprit et le cœur. Je ne lésine pas avec elle, mais n’en abuse pas non plus. S’il n’y a pas lieu, je fais silence en pensant : « Le pauvre ! La pauvre ! Ils auraient dû faire autre chose ».

J’admire d’emblée les écrivains qui ont du style, ou un style, autrement dit les « réactionnaires » auxquels on doit au moins laisser cela. D’ordinaire, les écrivains dits de gôche ne savent pas écrire, ils confondent les libertés avec la liberté, le laisser-aller avec l’élégance. Ils se négligent.

Marcel Jouhandeau ne souhaitait pas d’être admiré, seulement « d’en être digne ».

 

Alcool

Je tiens l’alcool. La nature m’a accordé ce don, ou le foie indispensable. J’en bois donc, mais jamais au point de perdre tout contrôle. Avant de me mettre au volant, j’évite scrupuleusement d’en prendre. Dans certains de mes livres on boit des vins des meilleurs crûs, des liqueurs renommées… J’ai la certitude que le premier meuble construit par un homme au Jardin d’Éden fut un bar. L’écrivain abstème, je ne peux le concevoir. L’alcool m’a permis de parler avec une chatte aimée qui me répondit dans son langage à elle, me posant sa patte sur la bouche, pour me dire : « Tais-toi, tu me fais peur, mais je sais que nous nous aimons ».

 

Amour

Le roman n’est pas tenu de « couvrir » – comme on dit des conflits et des guerres, n’est-ce pas ? – ni mille histoires d’amour banales et conventionnelles, ou même hors du commun. Ni le récit d’en raconter de prétendument authentiques. Les amateurs de ces reportages-fictions démontrent sans doute une pauvreté existentielle. L’amour réside à de telles profondeurs, dans de si obscurs souterrains, qu’il n’est pas racontable. À peine dicible, comme en témoigne La Princesse de Clèves. En revanche, tel ou tel personnage de papier peut éveiller à l’idée de l’amour et donner à penser que la vie peut-être nous fournira l’occasion d’en rencontrer un qui lui ressemble. Qui lui ressemble, seulement. Le paradoxe est que l’écrit, dans ce cas, pour être vivant (ou vrai) exige que l’écrivain jette les amants sur la table de dissection et les découpe en menus morceaux.

Il arrive à l’écrivain d’aimer son personnage ; mais toujours il le trompera avec un autre.

La poésie a le pouvoir d’élaborer l’amour, de le fêter, le célébrer ou le regretter. Elle seule entre parfois dans le souterrain.

L’amour de Chimène pour Rodrigue est décrit et mis en scène par Corneille : l’étudiant, l’enfant de douze ans que j’étais n’a fait que l’approcher comme dans une brume épaisse on s’approche d’un monument mystérieux. Un instant on le devine, puis on s’en éloigne. Il en reste la trace. On la relira plus tard.

Il est peu courant que dans son existence personnelle l’écrivain puisse se passer d’aimer, si douloureuse que soit l’expérience. S’il la refuse, son œuvre est en danger de mort, comme sous l’action d’un virus pénétrant l’être sans défense que l’on n’a pas vacciné.

Comme à tout homme, caresser le corps d’une femme (voire d’une « partenaire », selon la sportive métaphore), être caressé par elle, est indispensable à l’écrivain par périodes plus ou moins régulières. Ce n’est pas l’amour. Ce peut être tendresse, ou inauguration d’un mieux.

 

Argent

C’est à la manière des vrais catholiques (de « vrais », j’en ai vu fort peu !) que je le considère : une nécessité méprisable.

Lorsque je n’en ai pas, je vole à l’étalage (1). Lorsque j’en ai peu, je modère mes besoins. Lorsque j’en ai beaucoup, je le dépense sans regarder à la dépense. Dans ce dernier cas, je ne suis pas généreux, ou fort peu. Je satisfais mes désirs et mes fantaisies en premier lieu. Je ne donne qu’exceptionnellement à autrui, ne pratique pas les bonnes œuvres et ne pense pas à me faire pardonner à demi en l’avouant.

(M.D.B., mon ange gardien, pense que je me mésestime sur ce point, mais je sais bien que je n’ai rien d’un saint Martin et moins que rien d’un Vincent de Paul. C’est à ce rang, sur le sujet de l’argent, que je vois la générosité).

L’un de mes hétéronymes intimes a écrit quelque part : « Amour de l’argent. Haine de toute civilisation ». Cela ne me met pas entièrement en contradiction avec lui.

Ma haine spontanée (pourquoi m’en prétendrais-je exempté ?) va aux ploutocrates, aux oligarques enrichis qui nous gouvernent, et plus encore à ces gens dits de gauche qui discourent et s’exhibent aux tribunes de la bonne pensée, ne cherchent qu’à exercer des fonctions de rapport et se garnissent poches et comptes en banque, comme fait le parvenu, de ce qu’ils soutirent des impôts prélevés sur le peuple. Pour ceux dits de droite, le vice est congénital, hérité, irrémédiable : vice d’origine génétique se muant en vice de constitution. Dans mes chroniques ou Carnets, je m’agace souvent de ces évidences mais ne perds pas mon temps à les dénoncer ; l’Église catholique, tout en donnant elle-même dans le vice de l’argent, n’a jamais fait que cela. Les littératures et l’histoire antiques nous convainquent de ce qu’après la bêtise, la cupidité et l’adoration de l’argent donnent à l’homme son visage le plus hideux.

Je partage l’idée qu’en confesse Rousseau : « L’argent qu’on possède est l’instrument de la liberté ; celui qu’on pourchasse est celui de la servitude ». Sans le suivre entièrement dans cette conséquence personnelle qu’il en tire : « Voilà pourquoi je serre bien et ne convoite rien ».

 

Michel Host

 

(1) Aucune pose misérabiliste ici : pour me nourrir, j’ai volé dans les années 1958 et 1959, lorsque j’errais dans Paris sans un sou en poche.

 

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A propos du rédacteur

Michel Host

 

(photo Martine Simon)


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Rédacteur. Président d'honneur du magazine.


Michel Host, agrégé d’espagnol, professeur heureux dans une autre vie, poète, nouvelliste, romancier et traducteur à ses heures.

Enfance difficile, voire complexe, mais n’en a fait ni tout un plat littéraire, ni n’a encore assassiné personne.

Aime les dames, la vitesse, le rugby, les araignées, les chats. A fondé l’Ordre du Mistigri, présidé la revue La Sœur de l’Ange.

Derniers ouvrages parus :

La Ville aux hommes, Poèmes, Éd. Encres vives, 2015

Les Jardins d’Atalante, Poème, Éd. Rhubarbe, 2014

Figuration de l’Amante, Poème, Éd. de l’Atlantique, 2010

L’êtrécrivain (préface, Jean Claude Bologne), Méditations et vagabondages sur la condition de l’écrivain, Éd. Rhubarbe, 2020

L’Arbre et le Béton (avec Margo Ohayon), Dialogue, éd. Rhubarbe, 2016

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Mémoires du Serpent (roman), Éd. Hermann, 2010

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Carnets d’un fou. La Styx Croisières Cie, Chroniques mensuelles (années 2000-2020)

Publication numérique, Les Editions de Londres & La Cause Littéraire

 

Traductions :

Luis de Góngora, La Femme chez Góngora, petite anthologie bilingue, Éd. Alcyone, 2018

Aristophane, Lysistrata ou la grève du sexe (2e éd. 2010),

Aristophane, Ploutos (éd. Les Mille & Une nuits)

Trente poèmes d’amour de la tradition mozarabe andalouse (XIIe & XIIIe siècles), 1ère traduction en français, à L’Escampette (2010)

Jorge Manrique, Stances pour le mort de son père (bilingue) Éd. De l’Atlantique (2011)

Federico García Lorca, Romances gitanes (Romancero gitano), Éd. Alcyone, bilingue, 2e éd. 2016

Luis de Góngora, Les 167 Sonnets authentifiés, bilingue, Éd. B. Dumerchez, 2002

Luis de Góngora, La Fable de Polyphème et Galatée, Éditions de l’Escampette, 2005