Le théâtre comme expérience
En me plongeant dans les entretiens que Heiner Müller a donné entre 1975 et 1995, je me suis immergé dans des souvenirs de cours de théâtrologie que je suivais à Paris III. J’y ai reconnu l’influence de Brecht sur le théâtre occidental, influence qui persistait encore un peu à la fin des années quatre-vingt dans mon université, et aussi et surtout la question du lieu théâtral, qui soulevait encore de grandes controverses – même si la scène à l’italienne revenait en force dans la construction des dramaturgies chez les metteurs en scène de l’époque. Et l’intérêt toujours présent d’un spectacle total – dans ces conversations allemandes, traduites pour la plupart par Jean Jourdheuil – quand Müller évoque Bayreuth par exemple.
Cela dit, je ne connaissais pas vraiment l’attachement du dramaturge de Berlin-Est, pour sa patrie socialiste de l’époque et son respect pour la RDA. Bizarrement, il y a quelques jours, je visionnais un documentaire belge sur la RDA des années 1960, et j’ai été surpris de l’allégeance pacifique et bien fondée de la population de l’Allemagne de l’Est, pour la politique socialiste d’Etat, en trouvant convaincant ce qu’ici on prenait pour une dictature, mais qui était d’abord un projet collectif là-bas. En ce sens, le théâtre est lui aussi essentiellement une affaire collective.