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Les Chroniques

La vulnérabilité ou la force oubliée, Bertrand Vergely (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 08 Octobre 2020. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

La vulnérabilité ou la force oubliée, Bertrand Vergely, Le Passeur éditeur, octobre 2020, 288 pages, 20,90 €

Pour Bertrand Vergely, la vulnérabilité n’est ni fragilité ni faiblesse ; c’est, au contraire, suggère-t-il, la recherche de l’invulnérabilité qui témoigne d’une âme impuissante et triste ! Mais elle est une force ; pas bien sûr n’importe quelle force, mais exactement la force de rester exposé. Ce courage de s’exposer à la réalité de la vie (de ses nécessités comme de ses aléas), il le voit par exemple dans l’honnêteté, qui fait qu’on expose sa noblesse d’âme en prenant le risque de ne pas tricher. Il le voit aussi dans la générosité, qui expose vaillamment sa libéralité, en décidant de donner avant de devoir, ou de faire le premier pas dans l’opportunité commune d’advenue du meilleur. Il le voit encore dans la délicatesse, qui, montre-t-il, se risque à l’innocence du tact et expose, en quelque sorte, la finesse de peau de notre jeu d’humanité. Puisque honnêteté, générosité et délicatesse sont des vertus, l’exposition périlleuse à la présence qui à chaque fois permet celles-ci justifie l’appel social, moral et métaphysique à une vulnérabilité de bonne foi et de bonne volonté. Par exemple encore, la loyauté, montre l’auteur, qui est comme un respect personnalisé de l’exigence d’humanité (« Il y a des moments où seul compte l’honneur de l’humanité », p.276), est aventure rendue risquée par l’horizon même qu’elle se donne : la conquête de la noblesse intérieure.

Ces séparations qui nous font grandir, Anne-Laure Buffet (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge , le Jeudi, 08 Octobre 2020. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Ces séparations qui nous font grandir, Anne-Laure Buffet, éd. Eyrolles, mars 2020, 170 pages, 18 €

 

A chaque séparation, l’être humain ressent la perte d’un petit bout de soi. Ces séparations qui sont autant de deuils de soi-même. Oui, mais de quel « moi » s’agit-il ? Les séparations ne font-elles pas partie d’un long processus d’accouchement de soi ? Notre première séparation, nous la vivons à notre naissance : on est arraché du ventre de sa mère. Et pourtant, cette séparation laisse place à la vie. La vie démarre bel et bien dans la séparation. Ce livre d’Anne-Laure Buffet tente de transformer notre regard sur ces moments compliqués de la vie, qui sont autant de ponts nécessaires pour s’accomplir. Notre vie est un tissage de liens et de séparations pour nous aider à grandir.

D’ailleurs, cette première déchirure qu’est la naissance fait écho à un roman de cette rentrée littéraire (très ordinaire), La vie ordinaire d’Adèle Van Reeth :

« Je vais me séparer de toi. Toi qui n’as rien connu d’autre que l’intérieur de mon ventre, tu vas affronter l’air et l’espace. Tu vas sortir de moi ce sera le traumatisme initial ».

« Ta naissance sera une rupture ». « De cette distance naîtra notre rencontre ».

Ainsi parlait, André Suarès (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mercredi, 07 Octobre 2020. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Ainsi parlait, André Suarès, éd. Arfuyen, septembre 2020, 171 pages, 14 €

 

André Suarès ou La parole exhaussée

Comment définir ma jubilation à la lecture de ce livre où André Suarès apparaît dans sa complexité autant que dans son intégrité intellectuelle ? Cette forme panoramique – à laquelle nous habitue cette Collection Ainsi parlait, chez Arfuyen – permet de jeter une lumière sur ses intérêts artistiques et humains. De plus, j’y ai retrouvé des idées qui me semblent d’une grande justesse, provoquant mon alacrité intérieure. Car le sujet dominant de l’ouvrage réside dans la proposition suivante : comment augmenter la qualité morale et artistique de la poésie et du poète. Donc, quelle nature doit avoir l’artiste, s’il veut augmenter l’homme, lui faire rencontrer ce qui lui est principal ou principiel, en tous cas lui ouvrir le chemin de la quintessence de l’âme, essence qui ne doit jamais faiblir ?

Suarès montre toujours le haut, peut-être à l’image du Saint Jean-Baptiste de L. de Vinci, lequel indique en somme deux voies : l’une vers le ciel et l’autre, plus prosaïque, vers sa houlette. Cette indication soulignant que la voie mystique n’abolit pas la voie pastorale ; donc, c’est quand même toujours l’exhaussement qui reste désiré et désirable. Avec Suarès, la parole est édifiante, elle désigne la vérité haute de soi, de l’homme et de l’art, du poète et du livre.

Wuhan, ville close. Journal, Fang Fang (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 05 Octobre 2020. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Wuhan, ville close. Journal, Fang Fang, traduit du chinois par Frédéric Dalléas et Geneviève Imbot-Bichet, Paris, Stock, collection « La Cosmopolite », paru le 9 septembre 2020, 23 €.

 

 

Le monde entier connaît désormais, pour le maudire, le nom de Wuhan. Le 28 décembre 2019, le Dr Ai Fen, directrice des urgences à l’hôpital central, attirait l’attention de ses collègues sur l’apparition, trois semaines plus tôt, d’un virus à la fois inconnu, dangereux et contagieux. Les éléments qu’elle avait divulgués furent repris et plus largement diffusés par un ophtalmologue du même hôpital, le Dr Li Wenliang, ce qui lui valut des ennuis avec les autorités. Aucune dictature, si rigide soit-elle, ne peut empêcher la propagation d’un virus. La suite appartient à l’Histoire en train de s’écrire et le Dr Li Wenliang mourut à trente-trois ans, emporté par cette nouvelle maladie. Les autorités chinoises décidèrent de placer Wuhan en quarantaine – trop tard pour empêcher le virus de se répandre dans le monde.

Et si on arrêtait de faire semblant ?, Jonathan Franzen (Par Sylvie Ferrando)

, le Vendredi, 02 Octobre 2020. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Et si on arrêtait de faire semblant ?, Jonathan Franzen, L’Olivier, septembre 2020, trad. anglais (USA) Olivier Deparis, 352 pages, 22,50 €

Voici une collection de dix-huit articles publiés au fil des ans, dans diverses revues ou ouvrages, de 2011 à 2019, mais écrits entre 2004 et 2019 par l’essayiste Jonathan Franzen, et traduisant son engagement soit littéraire, soit politique.

Le goût de Franzen pour les oiseaux court de texte en texte, au gré de ses nombreux voyages – que de merveilleux noms cités, tels le Rossignol progné, les Cochevis huppés, la Bondrée apivore, le Pic à raies noires, les Pluvians d’Egypte, les Guêpiers carmin, un Engoulevent à balanciers mâle, le Pygargue à tête blanche, le Loriot d’Europe, et tant d’autres, car Franzen est un ornithologue « listeur », celui qui aime à établir des listes des espèces rencontrées. C’est sa façon propre de s’engager en faveur de la biodiversité et de la protection des espèces en voie de disparition. Toutefois, comme tout bon écrivain qui pense contre la doxa et l’opinion commune, Franzen déploie une pensée à étages, une analyse de sa propre critique : « je me demande parfois si, au fond, mon souci de la biodiversité et du bien-être animal ne serait pas une forme de régression vers ma chambre d’enfant et sa communauté de peluches : un fantasme de câlins et d’harmonie interespèces ».