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Roman

Tous les Vivants, Le crime de Quiet Dell, Jayne Anne Phillips

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 17 Mars 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, L'Olivier (Seuil)

Tous les Vivants, Le crime de Quiet Dell (Quiet Dell), janvier 2016, trad. américain Marc Amfreville, 533 pages, 23,50 € . Ecrivain(s): Jayne Anne Phillips Edition: L'Olivier (Seuil)

 

 

Reconstitution minutieuse et complète d’un fait-divers aussi célèbre que terrifiant, néanmoins roman, voire romance, ce livre captive de bout en bout tant son auteur tricote habilement le réel recomposé et l’imaginaire. On ne s’attend pas à cela pendant les 65 premières pages, consacrées à la malheureuse « héroïne » de l’histoire, la très fleur-bleue et assez sotte mère de famille. Cette assertion vise à avertir le futur lecteur qu’il ne doit en aucun cas se décourager de continuer la lecture, car quand le mal survient, c’est une violente irruption d’une figure somme toute satanique, dans l’univers feutré d’une petite bourgeoisie provinciale très « bovaryenne ». Le fait-divers en soi est assez sordide, pour que Jayne Anne Phillips n’ait eu besoin d’en remettre sur la noirceur. Et le résultat est étonnant et séduisant : le mariage de la bluette et de l’horreur.

Madame est servie, Thomas Morales

Ecrit par Gilles Brancati , le Jeudi, 17 Mars 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Madame est servie, éd. du Rocher, mars 2016, 156 pages, 15,90 € . Ecrivain(s): Thomas Morales

 

Je suis un lecteur exigeant, pas toujours commode – mais pas méchant –, et je vais donc tenter de rester bienveillant.

De quoi s’agit-il ?

Nestor B, pardon Joss B., est détective privé. Il a une secrétaire qui gère ce qu’il n’aime pas faire, assume son célibat, même si vers la fin il se résout au compagnonnage, affiche une attitude un peu désabusée et est copain avec le commissaire de police qui classe vite les affaires quand, lui, le privé, ne veut pas en rester là. Vous savez, ce fameux petit doute que les policiers professionnels n’ont pas et que seuls les privés possèdent.

Faut-il préférer l’original à la copie ? Sans doute, mais le lecteur est juge. Bien sûr il y a des différences, ce n’est pas du copié-collé, mais c’est le même package. Le privé enquête sur mission dans un milieu particulier, ici le showbiz.

Pendant que les mulots s’envolent, Corinne Valton

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 15 Mars 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Paul & Mike

Pendant que les mulots s’envolent, janvier 2016, 190 pages, 13 € . Ecrivain(s): Corinne Valton Edition: Paul & Mike

 

Sutures et reprises

Corinne Valton est une styliste particulière. Elle concrétise ce qu’écrit Bernard Noël : « C’est en défaisant qu’on fait ». Ses nouvelles cependant offrent moins des déconstructions que des transformations du monde à travers ses nouvelles souvent drôles. Les personnages sont parfois reliés d’un texte à l’autre selon divers rapports par accrocs, jointures, coutures. En ce sens l’auteur lutte contre la ressemblance à « façon » (pour parler couture) et par voie de conséquence contre nos constructions mentales.

Les nouvelles sont faites de cambrures et de spasmes. Les personnages sortent des limbes du quotidien pour devenir chimères propres à d’extraordinaires voyages entre le dehors et le dedans. En dépit de la présence du monde contemporain les textes n’en représentent pas le simple miroir mais saisissent ce qui fait du réel un marécage afin d’en faire saillir des envols particuliers.

Schlott, Eléona Uhl

Ecrit par Zoe Tisset , le Mardi, 15 Mars 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Héloïse D'Ormesson

Schlott, janvier 2016, 159 pages, 14 € . Ecrivain(s): Eléona Uhl Edition: Héloïse D'Ormesson

 

Etre dans la tête et le corps d’une femme éprise de deux vies. Deux mondes parallèles qui se croisent et s’entremêlent sans que jamais l’une abolisse vraiment l’autre. Deux personnalités d’un même bloc qui s’énoncent et se racontent au supposé médecin et psychiatre. « Moi, je subis vos pressions ainsi que vos ennuyeuses interrogations, celles qui, de toute manière, ne vous mèneront à rien. A rien de bien ». Comprendre, essayer d’atteindre et de sentir comme celle qui a perdu la surface plane et unifiée du monde réel.

Dans ce roman, nous sommes tourmentés par deux consciences et deux âmes qui s’approchent, se flairent et se reniflent, sans parvenir à s’apprivoiser et à se réconcilier. « Comment j’avais vu tout ça ? Depuis l’extérieur, et planquée derrière mon arbre en fleur (…). Je n’avais qu’elle en tête, la belle demoiselle. Vous avez raison, très cher, j’étais obsédée par cette femme qui, contrairement à moi, était dévergondée et lumineuse à la fois ». Peu à peu, de l’observation de l’autre on passe à une véritable obsession, puis à une possession traversée de scarifications, le corps ne s’appartient plus. Qui est qui ? Mélange d’humanité et d’animalité comme ce félin devenu Bernadette ou Mme Schlott. « Ces monstres me plaquèrent au sol sans aucune pitié, blessant mes poignets, ficelant mes chevilles (…) Un miaulement jaillit de je ne sais où et décolla, pareil à un féroce rugissement. Je venais de miauler ».

L’Amour, Marguerite Duras

Ecrit par France Burghelle Rey , le Lundi, 14 Mars 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Folio (Gallimard)

L’Amour, 144 pages, 6,50 € . Ecrivain(s): Marguerite Duras Edition: Folio (Gallimard)

 

Duras ou l’émotion poétique

Marguerite Duras, dès les premières lignes de L’Amour, par l’économie des moyens, suggère du regard le plus pénétrant, observe ses personnages, leurs mouvements, le paysage dans lequel ils évoluent. Cette simplicité induit une émotion nourrie du dépouillement des êtres devant l’absurde, la même émotion que l’on ressent en lisant de la poésie sauf qu’ici ce n’est pas de la poésie.

« Jour » : une soudaine lumière en un seul mot comme un choc pour le lecteur qui se laisse porter. On entre alors dans autre chose. Même si l’histoire semble banale – mais il est vrai qu’on avance sans vraiment comprendre dans un mystère et un monde nouveaux – Duras ménage presque à chaque page des surprises avec ses flashes inattendus. Mais elle en dit plus qu’elle n’en a l’air. De la femme « pâle » chaque lecteur dégage ce qu’il sent : la maladie, la solitude qui ne sont pas dites, comme s’il y avait absence de vie intérieure. Les yeux « s’ouvrent douloureusement », plus loin le geste de la femme est « d’une tendresse désespérée ». Mais que valent ces hypallages par rapport à une poétique qui est ici celle du corps ? Les mots « crient », « dévorent », « sang », continuent à faire choc comme le mot « enfant » qui contrastent inhabituellement avec « bonheur ».