Schlott, Eléona Uhl
Schlott, janvier 2016, 159 pages, 14 €
Ecrivain(s): Eléona Uhl Edition: Héloïse D'Ormesson
Etre dans la tête et le corps d’une femme éprise de deux vies. Deux mondes parallèles qui se croisent et s’entremêlent sans que jamais l’une abolisse vraiment l’autre. Deux personnalités d’un même bloc qui s’énoncent et se racontent au supposé médecin et psychiatre. « Moi, je subis vos pressions ainsi que vos ennuyeuses interrogations, celles qui, de toute manière, ne vous mèneront à rien. A rien de bien ». Comprendre, essayer d’atteindre et de sentir comme celle qui a perdu la surface plane et unifiée du monde réel.
Dans ce roman, nous sommes tourmentés par deux consciences et deux âmes qui s’approchent, se flairent et se reniflent, sans parvenir à s’apprivoiser et à se réconcilier. « Comment j’avais vu tout ça ? Depuis l’extérieur, et planquée derrière mon arbre en fleur (…). Je n’avais qu’elle en tête, la belle demoiselle. Vous avez raison, très cher, j’étais obsédée par cette femme qui, contrairement à moi, était dévergondée et lumineuse à la fois ». Peu à peu, de l’observation de l’autre on passe à une véritable obsession, puis à une possession traversée de scarifications, le corps ne s’appartient plus. Qui est qui ? Mélange d’humanité et d’animalité comme ce félin devenu Bernadette ou Mme Schlott. « Ces monstres me plaquèrent au sol sans aucune pitié, blessant mes poignets, ficelant mes chevilles (…) Un miaulement jaillit de je ne sais où et décolla, pareil à un féroce rugissement. Je venais de miauler ».
La femme s’adresse à un homme que nous n’entendrons jamais, que nous n’apercevrons pas, comme si c’était un immense monologue qui n’aurait pour interlocuteur qu’elle-même. Effet de réverbération qui peut mettre mal à l’aise le lecteur, dialogue silencieux de l’âme avec elle-même, âme fissurée, hachée qui interroge notre rationalité. Quant aux personnes extérieures à Bernadette, à part les passants ahuris, Mme Schlott nous laisse entrevoir un mari-inspecteur, à moitié pervers sexuel, incapable de saisir ce qui se passe. Construction délirante, teintée d’éléments troublants. Eléona Uhl, à travers ce livre, évoque aussi en filigrane la solitude de ceux qui sont ailleurs, étrangers au monde de la raison.
Zoé Tisset
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