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Roman

Kannjawou, Lyonel Trouillot

Ecrit par Stéphane Bret , le Mardi, 16 Février 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Actes Sud

Kannjawou, janvier 2016, 208 pages, 18 € . Ecrivain(s): Lyonel Trouillot Edition: Actes Sud

 

Le vocable « Kannjawou » signifie dans la culture populaire d’Haïti le partage, la fête, à l’occasion de réjouissances. Dans le roman de Lyonel Trouillot intitulé ainsi, ce dernier met en scène cinq jeunes gens, qui à la veille de leur entrée dans l’âge adulte, osent encore rêver de leurs avenirs : ils se nomment Sophonie, jeune serveuse au Kannjawou, nom d’un bar du quartier de l’Enterrement à Port-au-Prince, Wodné, Joëlle, Popol. Leur soutien quotidien, c’est man Jeanne, mère de substitution un brin protectrice, qui tente de sauvegarder des règles d’humanité et prodigue des conseils à ces cinq adolescents, peut-être déjà en danger de perdition. Un autre personnage, le « petit professeur », tente grâce à sa vaste bibliothèque de leur inculquer des bribes de connaissances, de l’éducation.

Mais comment cela est-il réalisable dans ce pays, Haïti, dont l’auteur nous rappelle, très opportunément, qu’il a été occupé une première fois par les Américains, de 1915 à 1934, et qu’il est occupé une seconde fois par les ONG, les organisations non gouvernementales, depuis le récent tremblement de terre de 2010. Ce que met en relief Lyonel Trouillot, c’est le décalage entre les bonne intentions de ces occupants, et la réalité haïtienne :

Sanguinaires, Denis Parent

Ecrit par Mélanie Talcott , le Samedi, 13 Février 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Robert Laffont

Sanguinaires, janvier 2016, 372 pages, 21 € . Ecrivain(s): Denis Parent Edition: Robert Laffont

 

Sanguinaires de Denis Parent est un bon livre, bien écrit de surcroît. Ce n’est pas anodin de le souligner à une époque où la soupe littéraire nous réserve de piteux bouillons. Mais dire qu’un écrivain écrit bien, c’est une lapalissade, d’autant plus comme dans le cas présent, on parle de la plume d’un journaliste spécialisé dans le cinéma, scénariste et auteur de plusieurs ouvrages. Mais si c’est un bon livre, ce n’est pas néanmoins un grand livre. On est tous capables de conduire une voiture, mais il y a peu d’Ayrton Senna.

C’est un bon livre à plusieurs titres.

Denis Parent a du talent et un style tranché et bien trempé. Cela change des bouquins en mode clonage littéraire. Pas du surfait qui copierait du déjà fait. Non. Le sien porte à la fois l’effort du besogneux et le ciselage du talentueux. On sent qu’il gagne ses mots à la sueur de ses solitudes d’écrivain, noircies de mélancolie, de colères qui couvent sous les cendres de sa lucidité désenchantée qui ne demanderait cependant pas mieux que de s’émerveiller encore. De la bouteille et de l’étoffe. Une affirmation de soi qui s’impose par l’écriture. Chose rare à notre époque d’uniformisation de la pensée (entre autres).

L’état du monde selon Sisco, Pascal Louvrier

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 12 Février 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Allary Editions

L’état du monde selon Sisco, janvier 2016, 200 pages, 17,90 € . Ecrivain(s): Pascal Louvrier Edition: Allary Editions

 

« Les spectateurs pénètrent dans le ventre de la baleine, ils sont Jonas. Le verre sublime le génie du compositeur. Le rouge des parois, l’aluminium moulé, c’est l’écrin de mes songes.

Mon nom à présent peut s’effacer ».

L’état du monde selon Sisco est le roman d’un architecte, de l’art de l’architecture, de son monde, celui qu’il invente tous les jours crayons à la main, mais aussi celui de la dévastation annoncée, des résistances timides ou foudroyées. Marc Sisco est un architecte choyé, un artiste de la courbe, du verre, du béton, de l’aluminium, de la suspension, de l’espace conquis, du mouvement. Après des années de recherches, de lignes et de traces, de calculs, il se voit choisi pour construire ce qui s’annonce comme son chef-d’œuvre, le T40, le nouvel opéra de Venise, un défi à l’espace et au temps. Tout semble sourire à l’architecte romantique, il vagabonde à Paris et à Venise. Son univers : ses dessins, ses équations, son bureau, sa Ferrari, ses cigares. Tout sourit à l’éternel insoumis, sauf l’état du monde, son monde qui se fissure et celui qui l’entoure qui s’effondre.

La Belle et le Fuseau, Neil Gaiman

Ecrit par Didier Smal , le Vendredi, 12 Février 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Albin Michel

La Belle et le Fuseau, octobre 2015, trad. anglais Valérie Le Plouhinec, ill. Chris Riddell, 68 pages, 19 € . Ecrivain(s): Neil Gaiman Edition: Albin Michel

Dans le recueil Miroirs et Fumée, traduit en français en 2000, se trouve une nouvelle extraordinaire, intitulée Neige, Verre et Pommes, dans laquelle Neil Gaiman (1960) réinvente, perturbe et inverse tout à fait l’histoire de Blanche-Neige ; pour s’attaquer à pareil pilier de l’inconscient collectif et sortir vainqueur par transmutation de la confrontation, il faut un talent littéraire plus que certain – ça tombe bien, c’est celui qu’on attribue à Neil Gaiman depuis qu’on a été confronté à sa plume, c’est-à-dire depuis De Bons Présages (1995 en français). Et on le lui attribue aussi pour ses livres à destination de la jeunesse, dont on sait que bien des adultes les lisent en cachette, voire au grand jour, et en retirent un plaisir sans mélange.

Ainsi donc de La Belle et le Fuseau, bref conte (une soixantaine de pages dont bon nombre contiennent des illustrations signées Chris Riddell) qui s’approprie et réinvente au moins deux histoires : La Belle au Bois Dormant, d’évidente façon (quiconque n’a pas souvenir d’une vague histoire de fuseau peut aller voir du côté des frères Grimm, de Perrault ou de Disney de quoi il retourne avant de revenir à Neil Gaiman), et, à nouveau, Blanche-Neige, puisque l’héroïne du présent récit a passé du temps dans un cercueil de verre, s’entend bien avec des nains et a une connaissance intime d’une « Sombre Majesté ».

Le Livre d’Aron, Jim Shepard

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 11 Février 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, L'Olivier (Seuil)

Le Livre d’Aron (The Book of Aron), février 2016, trad. américain Madeleine Nasalik, 231 pages, 21 € . Ecrivain(s): Jim Shepard Edition: L'Olivier (Seuil)

 

Comment peut-on raconter une sorte de « Guerre des Boutons » dans le cadre effroyable du Ghetto de Varsovie en 1943 ? Il faut soit écrire un chef-d’œuvre, soit rien. Jim Shepard a choisi le chef-d’œuvre. En sertissant l’histoire d’Aron et de ses copains et copines dans les rues dévastées et sinistres d’un parc à bétail pour Juifs, l’auteur taille un joyau au cœur de l’horreur.

La bande d’enfants ne « joue » pas vraiment. Leurs aventures quotidiennes visent à trouver la pitance, les couvertures, les casseroles qui manquent de plus en plus à la maison. Mais comme ce sont des enfants, ils en font un terrain de jeux. Ils creusent des trous, font des passages dans les palissades, évitent – autant que possible – les soldats nazis et les collabos polonais. Ils passent de « l’autre côté », celui des non-juifs, plus libres et mieux nantis, pour y gratter ce qu’ils peuvent et le rapporter. A ceux qui souffrent, à ceux qui se meurent, du typhus, de la tuberculose, de la faim, des assassinats réguliers des nazis et des miliciens.