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Roman

Descendre la rivière, Peter Cunningham

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 12 Mai 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Joelle Losfeld

Descendre la rivière (The Trout), traduit de l’anglais (Irlande) par Christophe Mercier, mars 2016, 190 p. 18,50 € . Ecrivain(s): Peter Cunningham Edition: Joelle Losfeld

 

Une plongée dans la mémoire, un voyage âpre dans les replis ombreux d’une vie, d’une famille, avec des trébuchements terribles qui laissent des traces indélébiles. C’est ce que nous propose Peter Cunningham dans ce superbe roman, écrit avec l’apaisement nécessaire à cette équipée mnésique.

Le narrateur, devenu écrivain installé au Canada avec sa femme, entre en vieillesse. Son passé le hante et il prend son baluchon pour aller à son devant, en Irlande, terre de sa naissance et de ses ancêtres. Un personnage, un événement en particulier, l’obsèdent, réveillés par la présence autour du couple depuis quelque temps d’un homme qui, à force d’insistance lourde, finit par l’inquiéter, par le questionner sur l’identité de cet importun. Et par ricochet sur son identité profonde.

Sur les traces de son père – le Docteur – Alex retrouve les lieux de son enfance et les gens aussi, ceux qui vivent encore. La figure des amis d’autrefois le hante. Celle de son père aussi, qui vit son dernier temps en institution. Figures blessées, abîmées par la luxure d’un prêtre ou par sa propre trahison.

Landfall, Ellen Urbani

Ecrit par Guy Donikian , le Mercredi, 11 Mai 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Gallmeister

Landfall, mars 2016, trad. américain Juliane Nivelt, 298 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): Ellen Urbani Edition: Gallmeister

 

Il faut le dire d’emblée, Landfall est un premier roman réussi à différents titres. La quatrième de couverture le présente comme un « roman haletant qui présente le destin croisé de deux jeunes filles ». Ces deux appréciations se révèlent judicieuses quand on entre immédiatement dans le livre. D’un chapitre à l’autre, l’envie de connaître la suite fait qu’on ne lâche pas facilement le volume, tant cette façon d’offrir aux personnages une épaisseur avec la narration progressive de leur histoire est captivante.

Deux femmes roulent en direction de la Nouvelle-Orléans pour porter secours aux sinistrés de l’ouragan Katrina. Nous sommes en septembre 2005, Rose, dix-huit ans, et Gertrude, sa mère, ont des rapports conflictuels comme dans beaucoup de familles. « Bien que Rose eût depuis longtemps oublié les contours du corps de Gertrude, elle soutenait, comme le font beaucoup de filles à dix-huit ans, qu’elle savait tout ce qu’il y avait à savoir sur sa mère. Tu es tellement prévisible ! lâchait-elle avec mépris lorsqu’elle était agacée, reprochant avant tout à Gertrude d’être aussi immuable ».

Le Mort, Pascale de Trazegnies

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 10 Mai 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Le Mort, éd. Weyrich, Coll. Plumes du Coq, février 2016, Préface de Michel Host, 13 € . Ecrivain(s): Pascale de Trazegnies

Il arrive que des fictions soient des lettres d’amour qui ne s’écrivent pas. Et il existe dans ce cas quelque chose d’unique, d’autant qu’il s’agit là d’un amour filial contrarié. De son père comme de sa mère, Lou l’héroïne aura connu la cendre plus que les flammes. C’est pourquoi il existe chez Pascale de Trazegnies du Bettina Rheims et du Catherine Millet mais surtout du Bataille – auquel le titre de son roman (mais pas seulement) fait irrémédiablement penser. La comédie humaine tourne au-delà du drame. Le père qui vient de mourir n’a jamais été présent pour sa fille. D’où lors de cette mort – et le retour en amont qu’elle entraîne – la dérive finale dans (et entre autres) le stupre et la fornication comme ultime parade ou danse macabre. Cela fait penser à La Notte d’Antonioni et La Ronde de Max Ophüls. Le roman échappe à la simple narration pour atteindre une fonction supérieure. Ce n’est en rien une enluminure mais un envoi avec forcément fin de non recevoir par le principal intéressé.

Le roman crée un cairn avec ses pierres rapportées du passé et de la douleur. Il s’arrache à la procédure personnelle (expéditeur-receveur) pour atteindre une portée générale : beaucoup pourront se reconnaître dans une telle histoire sans suivre pour autant le « délire » terminal de l’héroïne.

Barbe rose, Mathieu Simonet

Ecrit par Arnaud Genon , le Lundi, 09 Mai 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Seuil

Barbe rose, mars 2016, 190 pages, 16 € . Ecrivain(s): Mathieu Simonet Edition: Seuil

 

L’ogre-doux

« Je tente d’écrire de l’autobiographie collective ; c’est-à-dire que je mélange mon intimité à celle des autres. Mon écriture à celle des autres. Mon travail est fondé tout autant sur l’écriture que sur le collage de textes ou d’histoires orales qui ne m’appartiennent pas. Je suis un scénographe » (1).

Voici présentée – par lui-même – la singulière entreprise de Mathieu Simonet. Depuis la parution de son premier livre, Les Carnets blancs (Seuil, 2010), il écrit sa vie, la fragmente et la mêle à la vie des autres, à leurs voix. Il orchestre des rencontres, des échanges, il fait circuler des secrets (comme aimait le faire Hervé Guibert). En fait, il propose une nouvelle écriture du « je » qui se construit dans et par le dialogue avec autrui qu’elle convoque, qu’elle provoque. Avec Mathieu Simonet, le « je » devient rapidement un « je » pluriel, un jeu tout court. C’est peut-être la raison pour laquelle son travail nous happe si vite, nous embarque et nous invite à le suivre.

L’Année de la comète, Sergueï Lebedev

Ecrit par Stéphane Bret , le Lundi, 09 Mai 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Russie, Verdier

L’Année de la comète, traduit du russe par Luba Jurgenson mars 2016, 312 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): Sergueï Lebedev Edition: Verdier

1986 est une année décisive pour l’histoire : celle de la catastrophe de Tchernobyl qui précéda l’écroulement de l’URSS, comme système politique. L’action du roman de Sergueï Lebedev, L’année de la comète, se déroule cette même année : un jeune narrateur, l’auteur du roman, évoque des histoires familiales, des souvenirs personnels, comme extraits d’un album de photos sépia. L’évocation de ces souvenirs et événements les plus divers ne reste pas anodine très longtemps : ce jeune soviétique ressent le caractère double de sa vie, celle d’un « octobrien », un membre de l’organisation qui regroupait alors les élèves soviétiques de huit à dix ans, et sa vie cachée, intérieure, celle d’un garçon à l’ascendance incertaine « petit-fils et fils de personne ». Toute la vision du monde du narrateur va en être influencée pour le reste de ses jours : « J’étais même horrifié de la rapidité avec laquelle cet état s’emparait de ma conscience, de l’intensité avec laquelle je percevais ma singularité ».

Ce qui va conditionner largement le destin de ce narrateur, c’est l’origine de ses deux grands-mères : grand-mère Tania et grand-mère Mara. Elles concourent toutes deux à son éducation, mais d’une manière fort différente, presque complémentaire eu égard à leurs origines : Mara est la paysanne, descendante de serfs. L’autre, Tania, noble de naissance, accepte la vie nouvelle tout en la rejetant intérieurement. Cette « mésalliance historique » n’est-elle pas le symbole de la Russie contemporaine ? Une difficile jonction du passé tsariste et du présent révolutionnaire ?