L’Année de la comète, Sergueï Lebedev
L’Année de la comète, traduit du russe par Luba Jurgenson mars 2016, 312 pages, 22,50 €
Ecrivain(s): Sergueï Lebedev Edition: Verdier1986 est une année décisive pour l’histoire : celle de la catastrophe de Tchernobyl qui précéda l’écroulement de l’URSS, comme système politique. L’action du roman de Sergueï Lebedev, L’année de la comète, se déroule cette même année : un jeune narrateur, l’auteur du roman, évoque des histoires familiales, des souvenirs personnels, comme extraits d’un album de photos sépia. L’évocation de ces souvenirs et événements les plus divers ne reste pas anodine très longtemps : ce jeune soviétique ressent le caractère double de sa vie, celle d’un « octobrien », un membre de l’organisation qui regroupait alors les élèves soviétiques de huit à dix ans, et sa vie cachée, intérieure, celle d’un garçon à l’ascendance incertaine « petit-fils et fils de personne ». Toute la vision du monde du narrateur va en être influencée pour le reste de ses jours : « J’étais même horrifié de la rapidité avec laquelle cet état s’emparait de ma conscience, de l’intensité avec laquelle je percevais ma singularité ».
Ce qui va conditionner largement le destin de ce narrateur, c’est l’origine de ses deux grands-mères : grand-mère Tania et grand-mère Mara. Elles concourent toutes deux à son éducation, mais d’une manière fort différente, presque complémentaire eu égard à leurs origines : Mara est la paysanne, descendante de serfs. L’autre, Tania, noble de naissance, accepte la vie nouvelle tout en la rejetant intérieurement. Cette « mésalliance historique » n’est-elle pas le symbole de la Russie contemporaine ? Une difficile jonction du passé tsariste et du présent révolutionnaire ?
Ce que montre Sergueï Lebedev, c’est que l’histoire se découvre et se déroule par l’évocation et la restitution d’éléments intimes, très personnels, confinant aux détails de l’existence, mais qui révèlent au final les caractères de l’histoire soviétique. Celle-ci, nous énonce Lebedev, est marquée par la résistance : celle de la vie intérieure, du libre arbitre que l’on dissimule, que l’on cache par une acceptation apparente du système, comme le fait son propre père : « Mon père accepta l’URSS comme un cadre de vie normal. Cette lourde construction (…) répondait à son besoin profond de vivre dans un temps arrêté ».
Autre aspect d’une société totalitaire mis en relief par Sergueï Lebedev : le mensonge, la réécriture de l’histoire, « L’URSS n’était qu’une imbrication d’images et de mythes emboîtés telles des poupées gigognes. A l’intérieur de cette construction, on pouvait toujours prendre pour la vérité les légendes de l’époque précédente qui accédaient au statut de “véritable passé” en vertu de leur ancienneté ».
Sergueï Lebedev nous livre par ce roman un portrait de l’homo sovieticus véridique, convaincant. Il s’inscrit dans la lignée des auteurs russes ayant déjà abordé le thème des dégâts du totalitarisme sur une société.
Stéphane Bret
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