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Roman

Tenir tête aux dieux, Mahmoud Hussein

Ecrit par Stéphane Bret , le Mardi, 05 Juillet 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard

Tenir tête aux dieux, avril 2016, 167 pages, 18,50 € . Ecrivain(s): Mahmoud Hussein Edition: Gallimard

 

C’est un texte original et pleinement actuel que nous offre Mahmoud Hussein, pseudonyme qui inclut en réalité deux essayistes, Baghad El Nadi et Adel Rifaat. Le narrateur est un jeune étudiant égyptien. Il est idéaliste, rebelle, généreux, avide de justice et d’équité pour les citoyens de son pays. Pour calmer quelque peu les ardeurs de ces révolutionnaires trop bouillants et excessivement impatients, Nasser décide de les interner au cours d’une grande rafle survenue en 1959, dans le camp de concentration du Fayoum. Le récit du narrateur pourrait ressembler à bien d’autres témoignages du même type, ceux des anciens prisonniers ou victimes de régimes autoritaires ; il ne tombe pas dans ce piège et emprunte une autre voie, beaucoup plus efficace, celle d’une autocritique lucide, celle d’une interrogation sur la nature même de ses engagements moraux. Ainsi le narrateur repense-t-il à un vieux paysan, entrevu avant son incarcération, un être humain symbole de ce qu’il veut combattre : la fatalité, le conservatisme, la résignation : « J’aurais dû lui en vouloir, mais je comprenais son indifférence. Au fond, j’éprouvais la même à son égard. Le monde dont je rêvais pour lui répondait d’abord à mes souhaits à moi. Une Egypte indépendante et fière où chacun serait libre de penser et de faire ce que bon lui semblerait, ce n’était pas son souci ».

L’apaisement, Lilyane Beauquel

Ecrit par Theo Ananissoh , le Samedi, 02 Juillet 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard

L’apaisement, mai 2016, 215 pages, 17 € . Ecrivain(s): Lilyane Beauquel Edition: Gallimard

 

D’emblée et de bout en bout, une haute qualité de phrase et d’esprit :

« J’ai quitté la France et suis venu vivre dans ce pays pour ses cinquante façons de désigner la pluie. Je traduisais, je dessinais, j’ai rencontré Itoé, nous avons eu un enfant, Kyō. Je m’occupais peu de lui, je voulais que rien ne soit grave : une vie d’approximation.

Depuis la Vague, ce temps est fini ».

Un sens de la description nette et vraie :

« … avalés routes, maisons, bateaux.

Culbutés les vivants, les lents, les pressés, les attablés, les incrédules.

Emportés les imprudents, les perchés, les curieux, les fuyards.

Engloutis les sérieux, les consentants, les croyants.

Le Destin de Laura U, Susana Fortes

Ecrit par Stéphane Bret , le Samedi, 02 Juillet 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Espagne, Héloïse D'Ormesson

Le Destin de Laura U, traduit de l’espagnol par Nicolas Véron, mai 2016, 202 pages, 20 € . Ecrivain(s): Susana Fortes Edition: Héloïse D'Ormesson

 

Ce pourrait être le récit d’une saga familiale, dans la tradition la plus convenue du genre : le récit d’une ascension sociale, ou d’une décadence provoquée par la génétique familiale. Il n’en est rien. Dès le début du roman le docteur Ulloa contracte mariage le 25 juillet 1917 conformément au souhait de son père, le comte de Gondomar, seigneur de Salvatierra.

Quelque temps plus tard, le frère aîné du docteur, Jacobo, part avec son épouse pour Cuba, dans le but d’y diriger une plantation que possède la famille Ulloa de Andrade dans la province de Camagüey. À Vilavedra, localité de Galice, dans le nord-ouest de la péninsule ibérique, Juana, domestique, est le témoin direct de la vie familiale des Ulloa.

Et c’est vers une plongée dans des univers passablement inquiétants et pervers que nous entraîne Susana Fortes. Le rôle de la peur, comme moteur de conduite, y est omniprésent ; il dicte maints comportements et attitudes des membres de la famille Ulloa : ainsi, Rafael Ulloa se souvient-il avec douleur, des sentiments que lui inspirait son père :

Le mariage de plaisir, Tahar Ben Jelloun

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 30 Juin 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard

Le mariage de plaisir, janvier 2016, 261 pages, 19,50 € . Ecrivain(s): Tahar Ben Jelloun Edition: Gallimard

 

Roman en forme de saga familiale sur trois générations, sur environ soixante-dix ans (des années 40 à nos jours, ce qui coïncide avec la vie de l’auteur, de sa naissance jusqu’au temps de l’écriture du récit), et sur trois lieux principaux (Fès, Dakar, Tanger) avec plusieurs parcours narratifs itinérants entre le Maroc et le Sénégal. C’est dire l’importance de la dimension spatio-temporelle de la narration.

Le récit, en tiroir, est attribué à un conteur, un hlaïqya, lui-même annoncé, dès la première phrase du livre, par la formule traditionnelle du conte.

« Il y avait une fois, dans la ville de Fès, un conteur qui ne ressemblait à personne. Il s’appelait Goha… »

La formule réapparaît, redondante, lorsque Goha entame le récit qui constitue le corps du roman :

« Il était donc une fois, dans la ville de Fès, un petit garçon prénommé Amir, né dans une famille de commerçants dont on disait qu’ils étaient descendants du prophète ».

Les oiseaux de Christophe Colomb, Adrien Goetz

, le Jeudi, 30 Juin 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard

Les oiseaux de Christophe Colomb, mai 2016, 96 pages, 11,50 € . Ecrivain(s): Adrien Goetz Edition: Gallimard

Rêveuse, seule et un peu perdue dans un jardin au bord de la Seine, parce qu’elle vient des Asturies, Alina, qui à treize ans offre « un mélange d’Alice au pays des merveilles et de Zazie dans le métro », s’intéresse à Christophe Colomb. Comme lui, elle découvre, pour son premier trimestre d’élève de troisième, ce Paris de chez sa tante. Heureusement, à deux pas, entre les arbres et les immeubles, à l’ombre de la tour Eiffel, tel « un navire voguant dans les buissons », se trouve le musée du Quai Branly. Dans ses flancs, les peuples du monde dialoguent. Ce qui ne devait être qu’une visite, pour préparer un exposé, devient un voyage initiatique. Mais sur ce schéma que livre peu ou prou la quatrième de couverture, je tairai ici le coup de théâtre qui clôt ce beau conte. Le lecteur au demeurant ne fait pas que découvrir un secret. Il traverse un monde, toute la saveur de l’ouvrage.

La tante d’Alina est architecte. À ce titre, elle « démolit avec rage […] Faire une jolie maquette pour berner le client, tu sais, c’est un métier ». Sur ce même registre, Alina s’entend dire que Colomb est « un menteur […] qui avait ramené des “indigènes” avec lui comme s’ils étaient des perroquets ». Elle va découvrir l’importance de la chambre de photographie, le « pavillon des Sessions que les conservateurs, qui n’en voulaient pas, avaient rebaptisé le “pavillons des concessions” » avec son atmosphère de centrale nucléaire, alors que le musée offre la paix d’une grande maison. La saveur est partout.