L’apaisement, Lilyane Beauquel
L’apaisement, mai 2016, 215 pages, 17 €
Ecrivain(s): Lilyane Beauquel Edition: Gallimard
D’emblée et de bout en bout, une haute qualité de phrase et d’esprit :
« J’ai quitté la France et suis venu vivre dans ce pays pour ses cinquante façons de désigner la pluie. Je traduisais, je dessinais, j’ai rencontré Itoé, nous avons eu un enfant, Kyō. Je m’occupais peu de lui, je voulais que rien ne soit grave : une vie d’approximation.
Depuis la Vague, ce temps est fini ».
Un sens de la description nette et vraie :
« … avalés routes, maisons, bateaux.
Culbutés les vivants, les lents, les pressés, les attablés, les incrédules.
Emportés les imprudents, les perchés, les curieux, les fuyards.
Engloutis les sérieux, les consentants, les croyants.
La digue trop basse. Côte dévorée. Hangars renversés. Voies ferrées désaxées. Bateaux en travers des rues, d’autres échoués sur les maisons.
La Vague sur la Centrale. Les cœurs des réacteurs à vif. L’explosion.
Et la contamination ».
« Apaisement » est un mot précis ; il dit un état donné, et comprend l’idée d’une antinomie qui n’est cependant pas unique. Un dictionnaire en ligne énumère pas moins de vingt-cinq antonymes – bouillonnement, effervescence, déchaînement, colère, ainsi de suite. En face d’apaisement, toutes sortes d’états physiques et moraux donc. Le troisième roman de Lilyane Beauquel décrit plutôt ceux-ci ; très admirablement. Le titre est à comprendre peut-être comme une antiphrase ; ou une quête. Nous sommes au Japon, au lendemain de la Vague – le Tsunami de 2011 –, en pleine catastrophe nucléaire. Destruction et contamination du monde. Jim, dessinateur français établi là, se retrouve seul avec son fils Kyō. Itoé, la mère du garçon, a disparu, emportée par la Vague comme tant d’autres, voisins, parents ou connaissances. Jim, présente la quatrième de couverture, est un « père hésitant et (un) amoureux approximatif ». Euphémismes. La catastrophe le met soudain face à son fils dont il ne savait pas s’occuper et à la mémoire d’Itoé qu’il n’aimait pas ou si mal. Le père et le fils trouvent refuge chez Izumi, la sœur d’Itoé. La Vague a scindé le Temps, la Vie en deux pour ainsi dire. Le roman – grande maîtrise d’écriture – tisse sans aucun déséquilibre le minuscule et le majuscule, l’intime et le collectif. C’est Jim qui raconte – très sobrement, mais pas sans capacité de sentir et de deviner, paradoxalement. L’écriture déployée par Lilyane Beauquel dans ce roman est d’une subtilité telle que le commentaire critique semble sans cesse lourd. Jim est dessinateur, et tout le roman est extrêmement descriptif. Le lecteur est dans ce temps de catastrophe naturelle et nucléaire à la fois. Il le vit – la narration étant au présent. Jim découvre des carnets laissés par Itoé, sa femme, et par Fumiko, la mère d’Itoé. La mère, elle aussi mal mariée en son temps, avait fait une expédition dans des montagnes reculées nommées L’Arbre-Monde. Sa fille l’imitera également sur ce point. La lecture quasi quotidienne des carnets laissés par ces deux femmes va être comme un ferment qui enfin anime Jim. « Ce journal est autant un traité du paysage, un relevé botanique, qu’une hallucination d’un lieu dérobé. Itoé cherche à connaître Fumiko en faisant le cheminement qui a été le sien. Elle lui donne raison d’être partie. Je finis par ne plus les distinguer l’une de l’autre ». A son tour, Jim entreprend la même forte échappée – qui n’est pas sans danger mortel puisque Fumiko n’en est par revenue – dans ces hautes montagnes. C’est le sujet du dernier tiers du roman. Une partie finale proprement épique ! Et hallucinatoire. Pas du tout un apaisement là non plus donc. Quelque chose comme une solitude expiatoire, et régénératrice peut-être. Déjà dans son précédent roman intitulé En remontant vers le Nord (Gallimard, 2014), Lilyane Beauquel développe un récit qui ne se laisse pas saisir comme métaphorique ou pas. Un commentaire affirmatif semble quelque peu imprudent. Ce qui est par contre certain, dans L’apaisement comme dans les autres romans, c’est l’art, l’écriture de l’auteur. Forte, vive. Magistrale dans sa description du monde et de ce que l’homme lui-même ressent de ce qu’il en fait.
Théo Ananissoh
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