Le Destin de Laura U, Susana Fortes
Le Destin de Laura U, traduit de l’espagnol par Nicolas Véron, mai 2016, 202 pages, 20 €
Ecrivain(s): Susana Fortes Edition: Héloïse D'Ormesson
Ce pourrait être le récit d’une saga familiale, dans la tradition la plus convenue du genre : le récit d’une ascension sociale, ou d’une décadence provoquée par la génétique familiale. Il n’en est rien. Dès le début du roman le docteur Ulloa contracte mariage le 25 juillet 1917 conformément au souhait de son père, le comte de Gondomar, seigneur de Salvatierra.
Quelque temps plus tard, le frère aîné du docteur, Jacobo, part avec son épouse pour Cuba, dans le but d’y diriger une plantation que possède la famille Ulloa de Andrade dans la province de Camagüey. À Vilavedra, localité de Galice, dans le nord-ouest de la péninsule ibérique, Juana, domestique, est le témoin direct de la vie familiale des Ulloa.
Et c’est vers une plongée dans des univers passablement inquiétants et pervers que nous entraîne Susana Fortes. Le rôle de la peur, comme moteur de conduite, y est omniprésent ; il dicte maints comportements et attitudes des membres de la famille Ulloa : ainsi, Rafael Ulloa se souvient-il avec douleur, des sentiments que lui inspirait son père :
« Mais le pire n’était pas le tonnerre de sa voix, qui finissait par se briser en quinte de toux sous le poids de son propre effort, c’était le spectacle du courroux biblique d’un père despotique, capable d’infecter comme un aiguillon l’âme innocente de n’importe quel enfant ».
D’autres sentiments troubles sont décrits : celui Du docteur Ulloa, en proie à un désir de plus en plus explicite, impérieux vis-à-vis de Laura, héritière de la ligne Ulloa : « Le docteur Ulloa resta un bon moment à la regarder, debout contre la vitre, le gilet défait, les manches de sa chemise attachées par des élastiques. Pour la première fois de sa vie, il entendit résonner à son oreille, clairement, nettement, le démon ».
Une autre supposition est glissée dans le récit, à l’occasion, entre José, un autre domestique, et Juana : « Ainsi donc, Mademoiselle Laura est la fille du comte (…) Tu veux dire, José ? Que Mademoiselle Laura est la sœur de sang de don Jacobo et du docteur, c’est bien çà ? ».
Le roman de Susana Fortes plonge dans les ténèbres de l’âme humaine, il introduit souvent des descriptions de cauchemars faits par les personnages. La superstition y tient une grande place. On pense à l’ambiance des romans de Bernanos, tels que Sous le soleil de Satan, ou Mouchette, et aussi aux peintures terrifiantes de Jérôme Bosch, très représentatives de l’ambiance de ce roman, très bien écrit, magnifiquement traduit, au style dense, au vocabulaire précis. À découvrir.
Stéphane Bret
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