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La Une CED

Le Thé se boit sans sucre, Marie Hourtoule (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mardi, 25 Janvier 2022. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Essais

Le Thé se boit sans sucre, Marie Hourtoule, éditions Douro, juin 2021, 380 pages, 21,50 €


Ce livre de la journaliste spécialisée en politique étrangère, Marie Hourtoule, propose un véritable art de vivre et ce, dès ces citations en exergue invitant le lecteur à la table d’un festin raffiné en parfums et plaisirs tout en saveurs. Le sous-titre, Chroniques d’un monde épicurien, est explicite et annonce à point les mets en mots qui attendent les lecteurs.

Marie Hourtoule, en convive du monde, curieuse de rencontres offertes par ses voyages et dégustatrice de conversations autour de la table à l’occasion de ses déplacements en tant que journaliste (« Il ne faut pas tant regarder ce que l’on mange que celui avec lequel on mange », affirmait Epicure), nous régale de réflexions sur notre temps, d’anecdotes croustillantes, nous convie à partager des vies aussi multiples que multicolores, ravivées par le partage de l’art culinaire dont l’anthropologue et ethnologue français Claude Lévi-Strauss disait qu’il symbolisait un vecteur de communication, révélateur de la structure d’une société.

Quand j’étais ton père, Guillaume Viry (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 24 Janvier 2022. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Théâtre

Quand j’étais ton père, Guillaume Viry, Les éditions Moires, novembre 2021, 88 pages, 13 €

Au tréfonds

Cette pièce de théâtre de Guillaume Viry m’a beaucoup touché dans le sens où je comprends dans ma chair cette relation du père au fils, qui relate quelque chose qui va aux tréfonds de la psyché, celle du fils tout autant que celle du père. Ma propre histoire familiale ressemble en un sens à celle que narre la pièce. De ce fait j’ai revécu, un peu « cathartiquement », mon rapport au père.

Les trois actes de ce texte filment, si je puis dire, les possibilités et les impossibilités de la conversation entre les deux protagonistes. Ainsi, puisque je viens de parler de catharsis, je me suis remémoré une conversation où nuitamment mon père adossait les destins de poète et d’industriel, avec évidemment un choix radical pour celui-ci. Donc, il s’agissait pour finir d’une fin de non-recevoir.

Ce commerce de la parole finit ici par confiner à la haine, et sans doute aussi à l’amour impossible venant du père, lui-même pris sans doute par une carence, un manque et peut-être, devine-t-on, un secret de famille. Donc : respect et colère, sentiment d’empathie et d’antipathie, d’approche et de rejet, de douceur et de violence, de connaissance et d’aveuglement.

Correspondance, Édition intégrale, Clarice Lispector (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 21 Janvier 2022. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Amérique Latine, Correspondance, Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

Correspondance, Édition intégrale, Clarice Lispector, décembre 2021, trad. portugais, Didier Lamaison, Claudia Poncioni, Paulina Roitman, 400 pages, 26 €

Confidences

Un choix important de la correspondance de 1940 à 1977, nous fait traverser une part du destin de la grande figure des lettres brésiliennes, Clarice Lispector. Ces archives privées contiennent des formes confidentielles d’écrits, et ce qui en résulte est tour à tour une activité d’écrivain qui écrit pour se dire que « ce qu’il offre est un trop-plein qui gonfle sa propre vie (…) qu’il trouve en lui-même ou autour de lui », et d’écrivant, selon la terminologie de Barthes, « lequel est un homme transitif, “celui qui pose une fin de témoigner, expliquer, enseigner”, dont la parole n’est qu’un moyen », une communication (Falardeau, J.-C. (1961), Écrivains et écrivants in Liberté). Corroborant cette analyse, en cela, Clarice Lispector se parle à elle-même, se répond, interroge et s’interroge, se livre et se délivre du trop-plein de son existence d’écrivaine. Par ailleurs, elle se positionne en écrivante quand elle rédige son courrier professionnel. Elle s’adresse à des poètes, dramaturges, romanciers influents tels Lúcio Cardoso, José Lins do Rego, Natércia Freire, Fernando Sabino, Érico Veríssimo, auxquels elle demande des avis sincères.

Sur Le Réseau de Lautréamont de Kevin Saliou (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 20 Janvier 2022. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Classiques Garnier

Le Réseau de Lautréamont, Kevin Saliou, Classiques Garnier

 

Le Réseau de Lautréamont qu’ont publié les Classiques Garnier cet automne est le deuxième volume de la thèse que Kevin Saliou a consacrée à l’auteur longtemps mystérieux des Chants de Maldoror. Autant le dire tout de suite, la lecture en est passionnante : il est rare qu’un essai érudit, rigoureux, qui semblerait réservé aux spécialistes, procure le même plaisir qu’un roman policier – et il y a bien en effet comme une démarche d’enquêteur scrupuleux dans ce livre puisque Saliou, comme l’avait fait Étiemble pour Rimbaud en 1952, s’applique à délégitimer certains mythes construits depuis sa mort autour d’Isidore Ducasse et à éclaircir plusieurs énigmes, tout en admettant que les zones d’ombre demeurent importantes.

Les concepts sociologiques de réseau, de champ et de stratégie littéraires, convoqués par Saliou, sont remarquablement opérants en l’occurrence. Saliou commence par résumer ce que l’on connaît de la biographie de Ducasse avant de réunir les informations fournies par les témoins directs de son existence (camarades de lycée, etc.).

Dans l’ivresse des mots - La voix dans le débarras (The voice in the closet), de Raymond Federman (par Max Fullenbaum)

, le Mercredi, 19 Janvier 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques

Lorsque de grands écrivains, Primo Levi, Jean Amery, Robert Antelme ou encore Imre Kertész, ont évoqué la Shoah, ils l’ont fait dans le langage d’avant, celui-là même qui avait contribué à la falsification de l’horreur. Une horreur qu’un style classique ne peut qu’amoindrir puisqu’il traduit cette horreur en termes mesurés, compréhensibles, maîtrisés, pacifiés, sobres, pour évoquer quelque chose qui ne l’est pas, quelque chose qui ressort d’une ivresse collective, du delirium tremens d’un tribun bientôt suivi par un peuple en état de manque.

Le Mal parle, bafouille, éructe, il est ivre, il a le vin mauvais. La langue usuelle déborde du dictionnaire pour se défausser dans une autre langue que Victor Klemperer nommera la LTI, la langue du 3°Reich, Lingua Tertii Imperii, langue opaque faite de mots écrans destinés à des initiés. Seuls ceux qui manient cette langue peuvent la comprendre, en saisir tous les sens, les sens avoués comme les sens inavoués.

Aussi, vouloir restituer ce travestissement planifié des mots en utilisant les formes et la syntaxe dont il s’est abreuvé pour étancher sa barbarie revient à dialoguer avec le Mal, à le traiter en partenaire, à le normaliser, à le comprendre en utilisant les mêmes mots, la même grammaire, la même syntaxe, la même conjugaison, la même ponctuation que lui.