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Les Livres

Le fils du héros, Karla Suárez

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 20 Mars 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Amérique Latine, Roman, Métailié

Le fils du héros, août 2017, trad. espagnol, François Gaudry, 272 pages, 20 € . Ecrivain(s): Karla Suárez Edition: Métailié

 

Ernesto, l’antihéros cubain de cette chronique d’une enfance et d’une adolescence au temps des guerres de colonie, lorsque l’Angola et Cuba tissaient de sombres échanges de chair fraîche, campe un bien beau personnage, portraituré par Karla Suárez avec toutes les nuances réalistes que ce genre impose.

Voici Ernesto, jamais remis de la perte de son père, entouré d’une fratrie et d’une famille au sens large, les frères des père et mère, le grand-père, les sœurs, qui connaît les heures aussi sombres et/ou exaltantes d’un pays coupé de tout par ses positions idéologiques, dans lequel il faut vivre pourtant.

L’on suit avec intérêt les tribulations politiques et amoureuses d’un gars qui s’est, dès le plus jeune âge, donné un bien beau compagnonnage d’ami(e)s : Lagardère, Tempête… Rosa, Alejandra, Renata sont les figures féminines qui vont aider Ernesto à se construire, au-delà d’une timidité native, au-delà des incertitudes. L’amitié de Berto, Cubain installé à Lisbonne, passionné comme lui par tout ce qui touche au pays natal, va plonger notre Ernesto dans la quête essentielle de ses origines, de Cuba à l’Angola qui a « pris pour toujours le père ».

La Solitude des étoiles, Martine Rouhart

Ecrit par Patrick Devaux , le Lundi, 19 Mars 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

La Solitude des étoiles, Editions Murmure des soirs, octobre 2017, 219 pages, 19 € . Ecrivain(s): Martine Rouhart

 

La première chose qui vient à l’esprit en lisant ce roman, ce n’est pas ce qu’il raconte mais le ton très « humain » qui ramène au quotidien, à la réflexion sur soi, sur autrui : « Je me demande comment j’ai pu fabriquer une fille pareille, plus fermée qu’une huître. Pas facile d’élever un enfant, d’en faire quelqu’un qui sera heureux ».

Tout en racontant ses personnages, il y a parallèlement, chez la romancière, une sorte de permanent discours intérieur qui est davantage de la réflexion que de l’introspection, une sorte de réflexion intérieure qui traverse le quotidien en effleurant la philosophie globale : « lorsqu’on est au fond du trou, il est difficile d’en sortir si l’on n’a pas de véritable raison de le faire ».

La solitude des êtres confrontée à celle des étoiles très éloignées entre elles motive le choix personnel : « Je me demande ce qui nous empêche de rester nous-mêmes, on se sentirait déjà moins seul ».

La Femme qui attendait, Andreï Makine

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 16 Mars 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Points

La Femme qui attendait, 214 pages, 6,50 € . Ecrivain(s): Andreï Makine Edition: Points

 

Sur le bord de la mer Blanche, à Mirnoïé, un village fantôme sibérien où ne vivent que des enfants, des femmes et des vieillards, perdu entre un lac et une forêt, sous le brouillard et la neige, une femme, Véra, attend, depuis trente ans, le retour de l’homme qu’elle aime, parti au front dans les derniers jours de la deuxième guerre mondiale.

Le narrateur, journaliste écrivain chasseur collecteur de traditions folkloriques en voie de disparition, désabusé du régime soviétique et fatigué de jouer, dans le cercle d’artistes qu’il fréquente, « l’occidental de paille », arrive, avec l’idée d’y passer quelques jours, dans ce lieu désolé, isolé, et, comme pris par les glaces, y séjourne, plus longtemps qu’il ne l’avait prévu, fasciné par l’étrangeté de l’endroit « gelé » dans l’espace et le temps, et par la beauté et le mystère de cette femme hors du commun dont, par déformation professionnelle, il cherche à connaître l’histoire et à mettre à nu la psychologie.

Plein emploi, Jean-Claude Pirotte

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 16 Mars 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Le Castor Astral

Plein emploi, 176 pages, 15 € . Ecrivain(s): Jean-Claude Pirotte Edition: Le Castor Astral

 

 

Ouvrage posthume du romancier, poète et peintre Pirotte (1939-2014), Plein emploi propose six sections de poèmes très variés par l’écriture, par les thèmes aussi.

Dans cet ultime opus poétique, les noms d’autres poètes viennent caresser les vers, les baigner (le poète résida les derniers temps à la Mer du nord, sur la côte belge) d’une sérénité qu’il ne trouvait plus : la mort, en voisine encombrante, la maladie, à l’étage, les tracas du grand âge au vestibule, venaient tonner dans l’âme du poète. Alors les noms de Baron, Dhôtel, Fargue, Venaille, Reverdy, Perros… l’ancrent un peu plus en terre de poésie. Et Follain, sans doute le maître incontournable, de simplicité, ranime chez Jean-Claude les reliefs bénis d’une enfance toujours à prospecter, toujours à honorer de quelques vers :

Pavillon Moïana, Gilles Ortlieb

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Vendredi, 16 Mars 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Fata Morgana

Pavillon Moïana, février 2018, 40 pages, 10 € . Ecrivain(s): Gilles Ortlieb Edition: Fata Morgana

 

L’essence de la littérature est d’être obsessionnelle. Mais cette obsession n’est pas forcément celle du plaisir mais de la nécessité. Ortlieb crée ici dans un « présent gnomique », un soliloque hommage au frère. Hommage n’est d’ailleurs pas le mot : il s’agit plutôt d’une longue descente dans les affres de l’agonie. Nulle contemplation pour autant. Ortlieb permet d’entrer en ce qui ne se pense pas vraiment : non que les douleurs soient muettes mais intransmissibles : elles se constatent c’est tout.

Il se peut que pour l’exorciser, l’auteur reconstruise quelque chose du passé qui l’obsède. « Extériorisée » la douleur du mourant et de ceux qui l’accompagnent, ne laisse pas le lecteur en un état de passivité. Ni indemne. Si c’est le cas cela est grave. Car la réalité de la douleur se touche ici  travers la chair et jusqu’aux « os » quasi visibles à mesure que la vie s’efface.

Face à cette présence de l’inconcevable, Ortlieb confronte le lecteur au cœur d’une émotion aux dimensions terribles, là où l’illusion n’est plus possible. Le sac de « peau » montre sa pâleur intérieure au moment où l’échange devient sourd, indicible. Pour l’exprimer, le langage est ramené lui aussi à sa fibre. Il ne supporte pas d’effets de style. Aucune métaphore. Ortlieb sait qu’elle ne soigne rien, ne cautérise pas la plaie du réel.