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L’Eveil, Kate Chopin

Ecrit par Léon-Marc Levy 13.07.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Editions Liana Levi

L’Eveil (The Awakening, 1899), trad. américain Michelle Herpe-Voslinsky, 210 pages, 9,50 €

Ecrivain(s): Kate Chopin Edition: Editions Liana Levi

L’Eveil, Kate Chopin

 

Ce court roman de Kate Chopin brille comme un joyau français au sein de la littérature du Sud des Etats-Unis. L’auteure d’ailleurs, parfaite francophone comme l’aristocratie créole en comptait un grand nombre alors, aurait pu l’écrire en français. Elle y a même pensé un temps, imprégnée qu’elle était de la lecture de Maupassant et de Flaubert. L’influence de ces deux écrivains est d’ailleurs omniprésente dans ce livre, le premier pour le style narratif, le second pour l’ombre portée d’Emma Bovary sur Edna, l’héroïne de L’Eveil. Comme pour Flaubert justement, Kate Chopin dut subir l’hostilité du public à la parution de son livre. Edna fait scandale, comme Emma.

Comme Emma aussi, c’est une provinciale du Sud, grande bourgeoise mariée à un homme d’affaires, vivant dans une superbe maison à colonnades de style sudiste, avec deux enfants intelligents et en parfaite santé. Le bonheur ? Presque, car Edna connaît beaucoup d’ami(e)s, passe les vacances avec eux et sa famille en bord de mer, reçoit beaucoup dans sa demeure, aime la musique et les fins repas. Contrairement à Emma Bovary, elle ne s’ennuie pas et semble filer un parfait bonheur. Mais. Kate Chopin tisse son roman sur le « mais », bien sûr.

Quand Emma Bovary élabore son destin à partir de l’ennui de vivre, Edna Pontellier, elle, le construit comme un acte de pure volonté féminine de liberté. Elle est farouche, sensuelle, et montre une force qui va, peu à peu, s’avérer indomptable. Au moins pour un temps. D’emblée, elle s’avoue « plus femme que mère » et elle se révèlera vite plus femme qu’épouse. Son chemin est frappé au sceau de la révolte contre l’ordre social établi, contre les hommes, contre la condition faite aux femmes. C’est son médecin et ami, le docteur Mandelet, qui sentira le mieux cette métamorphose intérieure qui travaille Edna :

« Celui-ci observait attentivement son hôtesse par-dessous ses sourcils broussailleux. Il remarqua un changement subtil : la femme nonchalante qu’il avait connue était devenue un être qui, pour le moment, semblait frémissant de vie. Elle s’exprimait avec force et chaleur. Ses regards et ses gestes jaillissaient sans retenue. Elle lui rappelait un bel animal à la robe luisante qui s’éveille au soleil ».

Le mari est bienveillant, attentif, relativement patient. Edna n’a rien contre lui, sauf qu’il est symbole d’un asservissement. Aussi, sa révolte prendra-t-elle la forme dans ses manifestations d’une explosion contre les symboles du mariage.

« A un moment elle s’arrêta, ôta son alliance, et la jeta sur le tapis. Lorsqu’elle la vit là, elle la piétina pour essayer de l’écraser. Mais le talon de sa bottine ne laissa pas une entaille, pas une marque dans le petit anneau étincelant ».

Bien sûr, il y aura des hommes, hors son mari. Deux hommes, qui lui seront objets de désir. Mais très vite, Kate Chopin nous fait comprendre que ce ne sont que vecteurs de la révolte d’une femme. L’un et l’autre, ectoplasmiques. D’ailleurs, sa relation à eux restera platonique, au stade du flirt. A travers eux, Edna regarde l’horizon, son horizon. Métaphoriquement et réellement, l’horizon sera son vrai Destin.

L’influence de Maupassant est particulièrement sensible dans l’écriture, dépouillée et réaliste, de Kate Chopin. On pense à Une Vie ou à quelque nouvelle normande. On peut entendre la musique même de la prose de Maupassant :

« L’heure la plus paisible de la nuit était venue, celle qui précède l’aube, lorsque le monde semble retenir son souffle. La lune était basse dans le ciel assoupi, son argent avait changé en cuivre. Le vieux hibou ne hululait plus, et les chênes d’eau avaient cessé de gémir en courbant la tête ».

La belle traduction de Michelle Herpe-Voslinsky nous restitue le texte superbe d’une œuvre qui provoqua l’indignation de la bien-pensance du vieux Sud, mais l’admiration immédiate de ses pairs, comme Willa Cather qui parla du « Bovary Créole » de Kate Chopin et de son style « léger, flexible, souple, et capable de produire des effets évocateurs d’une manière simple et directe ».

Le Sud n’a pas fini de révéler ses joyaux.

 

Léon-Marc Levy

 

VL4

 

NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.

Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.

Notre cotation :

VL1 : faible Valeur Littéraire

VL2 : modeste VL

VL3 : assez haute VL

VL4 : haute VL

VL5 : très haute VL

VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)



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A propos de l'écrivain

Kate Chopin

 

Kate Chopin, née Kate O’Flaherty à Saint-Louis (Missouri) le 8 février 1850 et décédée à Saint-Louis le 22 août 1904, est une écrivaine franco-américaine. D’origine française, elle a cependant écrit en langue anglaise. Elle est l’auteur de nombreuses nouvelles et de deux romans connus pour leur ambiance teintée de culture créole, mais son œuvre est surtout réputée pour être annonciatrice des auteurs féministes du XXe siècle.

 

A propos du rédacteur

Léon-Marc Levy

 

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Directeur du Magazine

Agrégé de Lettres Modernes

Maître en philosophie

Auteur de "USA 1" aux éditions de Londres

Domaines : anglo-saxon, italien, israélien

Genres : romans, nouvelles, essais

Maisons d’édition préférées : La Pléiade Gallimard / Folio Gallimard / Le Livre de poche / Zulma / Points / Actes Sud /