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Les Livres

La rive s’éloigne..., Eliane Vernay (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 08 Janvier 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie

La rive s’éloigne..., Eliane Vernay, éd. La tête à l’envers, décembre 2019, 104 pages, encres de Liliane-Eve Brendel, 18 €

 

La poésie peut-elle absoudre la mort, la vaincre ? Peut-elle nous réconcilier avec l’absence, l’ombre, le vide, l’incompréhensible départ ? Les poèmes des cinq parties qui constituent ce livre de deuil ont pour vertu, quoique éclatés, épars, disloqués, en petites laisses de chagrin ou d’espérance, quoique disséminés sur les pages comme des versets en hommage à la douleur, de dire l’irréparable : « l’ombre de l’ombre », celle des tombes, des cimetières, des lieux de silence.

Eliane Vernay tutoie « la douleur », cherche à lui imposer silence, cerne « l’abîme » et « l’obscur » qui accompagnent tout départ.

Que d’ombres, que de silences, que de déroutes dans ces vers « au plus creux/ de l’obscur » !

La poète sait ajuster sa douleur, creuser une « ligne de vie » à côté de toutes les morts :

L’Affaire Du Collier, Evelyne Lever (par Vincent Robin)

Ecrit par Vincent Robin , le Mardi, 07 Janvier 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Fayard, Histoire

L’Affaire Du Collier, Evelyne Lever, Arthème Fayard Pluriel, 2004, 510 pages, 10 € Edition: Fayard

 

En évoquant intrigues et événements de cour dans la monarchie française finissante, ce récit procède à la reconstitution d’un puzzle historico-judiciaire dont, en dépit du recul éclairant fourni par des archives savamment conservées, l’assemblage n’aura jamais été finalisé. Au XVIIIe siècle, ainsi juste avant que n’éclate la Révolution française de 1789, explosait cette sulfureuse affaire dite « du collier ». L’évènement éclabousserait bientôt de façon retentissante ni plus ni moins que la tête de l’Etat avec l’implication de la reine Marie-Antoinette. Sur ce tableau marqué de prodigalités insensées, de mœurs aristocratiques oisives et dispendieuses, de justice absolutiste, serait également épinglée de façon cinglante et vengeresse l’image rocambolesque du grand aumônier de France, le cardinal de Rohan. D’autres rouages incarnés par de loufoques intrigants ou satellites de cour de piètre reconnaissance viendraient en outre articuler cette sorte de machination révélant la part belle faite à la cupidité et à la révérence malicieuse. Scandale soudain, où ce qui aurait probablement dû rester sous le boisseau s’exposa subitement au grand jour. Voyant la rejoindre de derniers prévenus couverts d’étiquettes et de disgrâce, la célèbre Bastille verrait en même temps l’investir ses tout derniers pans de lumière blafards et brisés.

La Grande Galerie des monstres, Aude Le Pichon (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Mardi, 07 Janvier 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Jeunesse, Seuil Jeunesse

La Grande Galerie des monstres, Aude Le Pichon, octobre 2019, 88 pages, 18 € Edition: Seuil Jeunesse

 

La chimère et l’enfant

Ce très bel album jeunesse de grand format, doté d’un titre intrigant, La Grande Galerie des monstres, et d’une couverture picturale, annonce une sorte de musée imaginaire de l’épouvante et du surnaturel. Trente-sept espèces de prodiges monstrueux sont répertoriées. L’enfant trouvera ainsi plusieurs catégories de créatures extraordinaires, réparties selon les continents, les croyances et les époques – de l’antiquité au monde contemporain –, issues de cultures diverses. Comme l’indiquent le sommaire et la typologie de fantaisie, ces monstres sont soit multiples, hybrides ou uniques. L’ouvrage s’ouvre sur la chimère, qui est sans doute l’archétype de l’animal fabuleux, ici une bête tricéphale, à la fois lion, chèvre et serpent, sculptée à Arezzo, 380-360 av. J.-C.

La visite de la grande galerie commence donc par cette rencontre et se termine par la représentation contemporaine d’une fresque murale urbaine. La chimère, qui est aussi une hallucination et une vanité, se trouve au cœur de l’admirable recueil de Baudelaire, Petits Poèmes en prose, Chacun sa chimère, qui débute ainsi :

Beethoven par lui-même, Nathalie Krafft (par Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Lundi, 06 Janvier 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Biographie, Buchet-Chastel

Beethoven par lui-même, Nathalie Krafft, novembre 2019, 160 pages, 21 € Edition: Buchet-Chastel

 

Beethoven avait pour devise : Nulla dies sine linea (Pas un jour sans une ligne). Ligne de musique, mais pas seulement. Les Lettres et Cahiers de conversation, tenus par le compositeur sourd pour communiquer avec son entourage, témoignent de la nécessité d’écrire, et de préférence selon la spontanéité chaotique de ses humeurs. Les pensées du Maître, à l’image de la ponctuation qui les rythme, nous sont livrées à l’état de fragments. « Plutôt émotion exprimée que peinture descriptive » écrit-il sur la page de titre de la sixième symphonie, dite « pastorale ». Son style écrit obéit à cette injonction musicale : en témoigne l’emploi fréquent des tirets dans ses lettres, « Gedankenstriche » – qui signifie littéralement « tirets de pensée » – si commun à la poésie allemande des XVIIIe et XIXe siècles. Beethoven est musicien jusque dans ses lettres, non seulement dans leur contenu – il était, comme Schumann et Wagner plus tard, ses deux héritiers allemands, autant littéraire que musicien –, mais aussi dans leur forme : sa langue chante et il rassemble ses morceaux de pensées comme il compose ses mélodies.

Smara, Carnets de route d’un fou du désert, Michel Vieuchange (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Lundi, 06 Janvier 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Récits, Libretto

Smara, Carnets de route d’un fou du désert, Michel Vieuchange, 256 pages, 9,10 € Edition: Libretto

« … toute vie qui ne se voue pas à un but déterminé est une erreur », nous dit Stefan Zweig dans Vingt-quatre heures de la vie d’une femme. Si l’on s’en tient à cette affirmation du célèbre écrivain autrichien, incontestablement, la vie de Michel Vieuchange n’aura pas été une erreur. Mais faut-il croire qu’il y avait un prix à payer ? Sa volonté exceptionnelle l’aura amené à une mort précoce : il n’a pas dépassé les 26 ans.

Ces carnets de route nous plongent dans une errance qui semble ne jamais finir, avec pour but ultime Smara, ville-symbole du mirage inhérent au désert, nourrissant abondamment l’imaginaire de l’explorateur français, et néanmoins véritable œuvre de Ma El Aïnin. Autant le dire : la partie est loin d’être gagnée. Ce journal, heureusement récupéré par son frère Jean, avec qui Michel Vieuchange s’est associé pour concevoir et préparer ce projet d’envergure et somme toute dangereux, s’il nous révèle les espérances et l’opiniâtreté de l’intéressé face au but qu’il s’est fixé, fait grandement état des épreuves abominables par lesquelles il passe : douleurs physiques intenses, sommeil continuellement perturbé voire absent, suspicions à l’égard de ses accompagnateurs, nourriture et boissons médiocres, impression d’angoisse devant l’immensité plate du désert… Et pourtant, Michel Vieuchange écrit ; et pourtant, Smara le tient avec fermeté.