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Les Livres

Europe Odyssée, Jean-Philippe Cazier (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 30 Mars 2020. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Poésie

Europe Odyssée, Jean-Philippe Cazier, éditions Lanskine, janvier 2020, 48 pages, 13 €

 

Chant choral des réfugiés

Écrire sur une action dramatique, voire sur une actualité brûlante et sans doute limitée dans le temps, sujette justement au sort de l’événementiel et de son traitement médiatique, représente une difficulté. Ici, traiter du parcours des réfugiés venus d’Asie ou d’Afrique jusqu’aux plages de Calais, ou pour être plus précis, vers tous les lieux de rétention, jungle ou autre colline au crack, ne cesse, ne se finit pas en sa propre description, sauf à trouver une langue qui ne tourne pas court, capable de suivre le temps à la fois ancestral et contemporain de la migration humaine. Ainsi, il est possible d’écrire le voyage et sa part brutale, où les langues justement, tiennent un rôle primordial. Cette expression, ce chant si l’on veut, est une supplique d’hommes qui pérégrinent, qui souffrent, sont incompris, et rejoignent en un sens le vaste langage, le « poème » tragique, le rang du chœur tragique de l’Antiquité d’Euripide ou de Sophocle. Europe Odyssée choisit le camp de l’odyssée, de l’Odyssée, de la rhapsodie, du récit des inconnus de la terre, des réprouvés, du monde épique et tragique des migrants en leur nouvelle définition sociale.

Le Monde selon Napoléon, Jean Tulard (par Vincent Robin)

Ecrit par Vincent Robin , le Vendredi, 27 Mars 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Histoire

Le Monde selon Napoléon, Jean Tulard, Tallandier, coll. Texto, octobre 2019, 320 pages, 10 €

 

Qu’est-ce qui fonde les convictions des hommes d’Etat et, sous leurs effets, leur suggère une particulière façon d’agir ? S’agissant des hommes de pouvoir réputés au sein de l’Histoire universelle, probablement cette question préliminaire ne trouve-t-elle généralement de réponse satisfaisante qu’à l’aide d’un examen ordonné et resserré des choix politiques comparés ensuite aux agissements conduits dans leur logique. A travers son « Monde selon Napoléon » et grâce à un développement soumis aux aléas thématiques du repère alphabétique, le spécialiste et avisé historien Jean Tulard nous invite, de manière incontestablement originale, à nous instruire de la complexe mais singulière mouture humaine qui éleva le célèbre Bonaparte à la considération historique. Son monde : un monde ouvert à tout, auquel, selon ce peigne fin de la rubrique alphabétique, point d’illustration ne semblera faire lacune. Serait-on agacé tout au départ des sauts du coq à l’âne imposés par la lecture de cette sorte d’énumération thématique et rapportée sans liaison significative à une seule et même figure emblématique qu’au fil de cette dispersion devra-t-on admettre cependant que se dégage au final bel et bien la fibre unique, curieuse et synthétique du très ambitieux Corse devenu l’empereur original d’une République.

Féminisme et philosophie, Geneviève Fraisse (par Yasmina Mahdi)

, le Vendredi, 27 Mars 2020. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Féminisme et philosophie, Geneviève Fraisse, Folio Essais janvier 2020, 366 pages, 8 €

 

Identification du féminin

La philosophe Geneviève Fraisse introduit son ouvrage Féminisme et philosophie sous l’angle de l’épistémologie, pour mener une longue étude critique autour de concepts ancrés de façon conventionnelle, dans le trope (par exemple, sensible égal féminin, la catachrèse de « l’éternel féminin »), et la doxa misogyne de la pensée hétérocentrée. Elle écrit que « le politique et l’économique se croisent dans l’espace capitaliste au travers des corps sexués ». « Le corps des femmes » est le sujet/objet de la propagande de l’image et de l’écrit. Ce corps-sujet ne s’avance pas masqué, il surgit d’emblée sans équivoque, offert aux regards (dans le cinéma, les arts visuels), édifié selon les canons esthétiques de l’hétérosexualité dominante. La philosophe compare les situations historiques, à la recherche des impensés de la société, afin de se « défaire [des] pratiques autoritaires (…) du mandarinat » et du savoir institutionnalisé. Tout d’abord, Geneviève Fraisse se définit comme une « colporteuse », quelqu’un qui transporte des marchandises, les échange ou les vend, profession de vendeurs et vendeuses ambulantes, très pauvres, menacés de mort au 18e siècle pour celles et ceux qui diffusaient de la presse clandestine.

Un dernier verre à l’auberge, Emmanuel Moses (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 26 Mars 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Editions Lanskine

Un dernier verre à l’auberge, janvier 2020, 56 pages, 13 € . Ecrivain(s): Emmanuel Moses Edition: Editions Lanskine

L’univers poétique de Moses n’est guère éloigné de celui dans lequel il plonge Monsieur Néant, héros malgré lui de son roman, paru à La Bibliothèque.

On retrouve ce goût d’un réalisme décalé, mâtiné de fantastique ordinaire, d’incongruités de sens, et d’une tendre mélancolie.

Proche de Zbyněk Hejda, le Tchèque, redevable à Supervielle de son réalisme magique et tristounet, Moses flirte avec la nuit, les bars, enfin, une auberge, puisqu’il s’agit de boire (« allons boire quelque part, à l’ombre, en silence », p.14), et l’auberge sera citée elle, plus tard, plus loin (« Tu pars de chez toi pour aller boire un dernier coup à l’auberge/ Pourquoi avoir choisi ce village paumé ? », p.36).

Les présences (un je, un tu, une ombre, quelqu’un) rendent encore plus indécidables ces fantômes de la réalité, chers à Moses ; l’amateur de Prague insinue ici des décors, des atmosphères, des récits, des instants de ville, qui échappent à la pure réalité et y retournent par l’écriture : il suffit d’une notation, d’une image pour faire basculer le poème dans un fantastique un peu glauque, un peu déjanté, forcément poétique.

Tout homme est une nuit, Lydie Salvayre (par Pierrette Epsztein)

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Jeudi, 26 Mars 2020. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Tout homme est une nuit, Lydie Salvayre, Seuil, 2017, 256 pages, 18,50 €

 

Le roman de Lydie Salvayre, Tout homme est une nuit, commence par cette injonction rédhibitoire que le héros énonce : « Plus jamais !… Je n’y remettrai plus jamais les pieds ! ». Le récit peut alors commencer.

Un homme encore jeune apprend qu’il est atteint d’un cancer et qu’il risque de mourir. Dans un mouvement soudain et non prémédité, il décide de quitter son travail de professeur de français, sa vie de petit bourgeois, ses amis, son amour qui tangue, pour se réfugier dans un banal village du sud-est où il sera inconnu de tous. Il pense pouvoir « trouver le repos » et « convertir le désespoir… en œuvre littéraire ».

Mais à aucun moment, il ne peut imaginer que sa venue dans ce lieu va déclencher une foutue tempête chez les habitants.