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Les Livres

Le Drageoir aux épices, Joris-Karl Huysmans (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 09 Décembre 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Le Drageoir aux épices, Joris-Karl Huysmans, Poésie/Gallimard, octobre 2019, 288 pages, 9,30 €

 

Regard

Parcourir les poèmes du Drageoir aux épices est une source continuelle d’interrogations. En effet, ces textes sont une matière poétique profuse, parfois ambiguë où le regard joue un rôle essentiel. Car cette poésie, qui vacille entre le confinement de la description littéraire, telle que Huysmans le pratique dans son œuvre romanesque – et particulièrement dans À rebours – et le réalisme, voire un naturalisme qui viendrait de Zola et des soirées de Médan, d’un Zola non documenté, est juste appareillée d’une vision personnelle du monde. Cette poésie ébranle le statut du texte poétique. Bien sûr on songe au Spleen de Paris qui, à bien des égards, fait le lit d’une matière toute neuve et vive – et qui résiste au vérisme malgré tout et impose une modernité augurale. Ou encore au Gaspard de la nuit, lequel défriche le terrain nouveau de la poésie en prose, et ici sans perdre de l’étrangeté nécessaire à la poésie. Textes donc qui tremblent entre réalisme et refuge confiné. Et ce tremblement de la lecture qui opère aujourd’hui encore fait le lit des questions où on ne cesse de prendre parti de la langue contre la réalité, puis de la réalité contre le langage, acrobatie qui nous conduit dans un Paris de 1870, calfeutré et digne d’un des Esseintes.

Eloge des fantômes, Portraits, Jean-Michel Olivier (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 06 Décembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, L'Âge d'Homme

Eloge des fantômes, Portraits, Jean-Michel Olivier, octobre 2019, 200 pages, 22 € Edition: L'Âge d'Homme

 

« Pour un écrivain, Paris est peuplé de fantômes. Des fantômes familiers, silencieux, bienveillants. Nous sommes dans l’ancien hôtel particulier de Beaumarchais, où l’écrivain, musicien, homme d’affaires, mais aussi marchand d’armes et espion, aimait se réfugier quand les fâcheux le harcelaient » (Simone Gallimard).

Eloge des fantômes est un merveilleux livre, habité de fantômes admirés, rendus à la vie par la plume miraculeuse de Jean-Michel Olivier. Des portraits d’écrivains, de penseurs, d’éditeurs, de graveurs que l’auteur a croisés, longuement ou furtivement, et admirés. Des artistes devenus des amis d’un temps passé, des complices en lettres, et en art éphémère, dont il a partagé des instants de complicité, de travail, qu’il décrit comme l’on décrit un miracle, une visite, un éblouissement, mais aussi une profonde tristesse lorsqu’il apprend leur disparition.

Cavalerie rouge, Isaac Babel (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 05 Décembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Russie, Roman, Gallimard

Cavalerie rouge, Isaac Babel, février 2019, trad. russe Maurice Parijanine, 224 pages, 9,50 € Edition: Gallimard

 

La prose incandescente de Babel introduit sa braise jusqu’au fond de l’âme. Nouvelliste fabuleux – on connaît ses contes d’Odessa – Babel reste nouvelliste dans ce qui ici se présente comme un roman. Le narrateur en effet est toujours le même personnage (largement autobiographique) et le « roman » raconte des épisodes de la guerre révolutionnaire qui conduisit les régiments de partisans au front, pour la défense de la jeune patrie socialiste, sous le commandement de Boudienny, contre les assauts des Blancs, les contre-révolutionnaires.

C’est donc du cœur de l’Armée Rouge que le soldat Babel nous raconte ces récits de guerre. Ce sont de véritables nouvelles, comportant chacune un thème, une histoire, une fin. Le narrateur se fait l’écho d’une Russie en pleine révolution. Pas seulement la révolution que l’Histoire nous rapporte, celle d’Octobre 1917, mais la révolution qui bouleverse les hommes et les femmes de Russie, change leur vision du monde, efface radicalement la faiblesse et l’asservissement pour laisser place à un homme nouveau, avec ce que ça induit de bien et de mal, de progrès et de régression, de Diable et de Bon Dieu.

Les Juifs et la modernité L’héritage du judaïsme et les sciences de l’homme en France au XIXe siècle, Perrine Simon-Nahum (par Gilles banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 05 Décembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Albin Michel

Les Juifs et la modernité L’héritage du judaïsme et les sciences de l’homme en France au XIXe siècle, Perrine Simon-Nahum, octobre 2018, 334 pages, 22 €

Il ne faut pas demander aux analogies plus qu’elles ne peuvent donner. Tout s’est cependant passé comme si, après l’émancipation des Juifs voulue par l’Ancien Régime finissant et mise en œuvre par la Révolution, après leur intégration roide à la société française, les trésors d’énergie, de subtilité et d’intelligence déployés à commenter ou, simplement, à méditer et à lire, dans la réclusion des « juiveries », la Torah, le Talmud, leurs commentaires et les commentaires de leurs commentaires, s’étaient orientés vers d’autres buts. Le processus d’émancipation, moins lisse qu’on ne se le représente, n’était lui-même pas exempt d’ambiguïtés, résumées par le terme de « régénération » qu’avait employé l’abbé Grégoire dans son célèbre mémoire présenté devant l’Académie de Metz. Que signifie cette idée de « régénération », si ce n’est que les Juifs auraient « dégénéré » en se repliant sur eux-mêmes (comme si ce repli avait résulté d’un choix collectif et d’une décision libre…) et que l’abandon de leurs particularismes (au premier rang desquels l’orthopraxie religieuse) les « régénérerait ».

Contes des sages persans, Leili Anvar (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Mercredi, 04 Décembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Asie, Seuil, Contes

Contes des sages persans, Leili Anvar, novembre 2019, 240 pages, 19 € Edition: Seuil

 

Du fabuleux, du révéré

Chacun des trente-deux contes de ce recueil, traduits par Leili Anvar, commence par le leitmotiv « Il était une fois, et il n’était pas, sous la voûte azurée, au pays d’autrefois », litote poétique à la manière de la trame narrative que tisse Shéhérazade au long des Mille et une nuits. Le premier conte persan parle de la beauté absolue d’une reine (brune) dont la vue tue, telle une déesse antique, Méduse qui ensorcelle, stupéfie et foudroie ceux qui la regardent, ou Narcisse au féminin qui ne se noie pas dans son reflet mais le re-duplique afin que rayonne sa splendeur aux yeux de tous, par l’intermédiaire d’un miroir. Plus loin dans l’ouvrage, c’est l’éléphant, révéré par les Bouddhistes, ou bien incarnation de Ganesh, qui est sujet à controverse et admiration : « Ainsi, nous verrons dans l’éléphant le pilier, l’éventail, la gouttière, les branches du trône et davantage… », qui rappelle, en cela, le mythe de la caverne et celui de la révélation :