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Les Livres

Saule abattu, Philippe Fumery (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Jeudi, 12 Décembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Editions Henry

Saule abattu, Philippe Fumery, 2011, 63 pages, 6 € Edition: Editions Henry

 

Il est des poésies qui invitent le lecteur à prendre le temps de regarder le quotidien qui l’entoure. Apprendre à regarder, avoir envie de regarder, par la médiation du poète, la vie de tous les jours dans son environnement, ses menus faits et gestes simples d’hommes. Le poète Philippe Fumery dans ce Saule abattu offre les blasons d’une telle poésie version 21e siècle (dans tous les cas, créatrice de textes a-temporels), une poésie ciselée de poèmes courts telles des pierres blanches (titre d’un recueil de Pierre Reverdy) jalonnant les chemins de notre existence.

Philippe Fumery nous ouvre par la main d’œuvre de ses mots des fenêtres sur l’instantanéité humble des êtres et des choses, de passage, et qui cependant demeurent dans le grenier de notre temps à vivre et revivre, revisité/réinventé, dans le vent, parmi les décombres, imaginé ou réfléchi « sur l’horizon / à perte de vue » aussi.

Ainsi passe la gloire du monde, Robert Goolrick (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 10 Décembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Anne Carrière

Ainsi passe la gloire du monde, Robert Goolrick, août 2019, trad. anglais (USA) Marie de Prémonville, 191 pages, 19 € Edition: Anne Carrière

Dernier opus d’une autofiction en trois parties, Ainsi passe la gloire du monde « rapporte » un enfermement, enfermement de Rooney, le personnage central, dans Le Cabanon – n’était-ce pas le lieu d’isolement des fous dangereux ? – reclus, mis à l’écart du monde parce que ruiné, mais aussi reclus volontaire, que la maladie auto-immune qu’il développe empêche de marcher, le clouant au sol… Mais qui est fou ? cet homme à qui comme l’on dit « tout a souri », qui a contribué à mettre au jour ce monde « argenté », ou ceux qui passent leur vie à paraître, les anciens « influenceurs » d’un monde où l’argent croît et se multiplie monstrueusement, s’engendrant lui-même ?

Le titre original Prisoner, éclaire ces cercles de l’Enfer où évolue Rooney – le cercle des « amis » qui ne répondent plus, le cercle de prédateurs, banquiers, créanciers, avocats… Ses faux amis se détournent de lui, son corps se retourne contre lui-même… tout est, ici, inversé. La chute, qui symbolise habituellement la perte de la virginité, de la décence, de l’humanité, qui porte en soi sa perte, devient ici rédemption, retour dans la matrice – du monde, de la mère. Car Rooney est porteur sain d’une ignominie dont, tout jeune enfant encore, il guette les stigmates sur son corps. Car son père, alors qu’il avait cinq ans, l’a violé dans le lit conjugal, sous les yeux de sa mère, impuissante :

De bonnes raisons de mourir, Morgan Audic (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 10 Décembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, Polars, La Une Livres, Roman, Albin Michel

De bonnes raisons de mourir, mai 2019, 492 pages, 21,90 € . Ecrivain(s): Morgan Audic Edition: Albin Michel

 

Clemenceau disait qu’on ne ment jamais tant qu’avant les élections, pendant la guerre et après la chasse. Il aurait pu ajouter, s’il avait connu ce genre de tragédie : on ne ment jamais autant qu’avant, pendant et après une catastrophe nucléaire. Avant, en affirmant qu’elle ne risque pas de se produire ; pendant, en prétendant que la situation est sous contrôle, et après, en racontant que les retombées radioactives se sont sagement arrêtées aux frontières.

On aurait pu penser qu’une fois les populations évacuées, avec ce mélange d’héroïsme et d’impréparation caractéristique de l’ancienne Union soviétique (mais comment se préparer à un événement dont on refuse d’envisager l’irruption ?), la région de Tchernobyl demeurerait gaste terre, sinon pour l’éternité (notion qui a peu de sens dans notre monde sublunaire), au moins pour quelques siècles, le temps que s’estompent les patientes radiations. C’était sans compter l’appétit de lucre de certains voyagistes, ne demandant qu’à flatter l’impudeur, l’inconscience, l’absence de common decency, la bêtise d’idiots venus par milliers faire des selfies au milieu du monde d’après l’Apocalypse, dans cet état intermédiaire où l’humanité a déjà disparu mais où la nature n’a pas entièrement repris ses droits.

Ma muse n’est pas à vendre, Ivan Kouratov (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Lundi, 09 Décembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Russie, Poésie

Ma muse n’est pas à vendre, Ivan Kouratov, éditions Paradigme, octobre 2019, trad. komi, Yves Avril, 176 p. 19,80 €

Poésie authigène

Ma muse n’est pas à vendre est le titre de l’édition bilingue du chantre de la poésie komie, Ivan Kouratov (1834-1875), en-tête qui indique la volonté de probité du poète. Sébastien Cagnoli, dans sa préface, dresse un portrait rapide et concis de l’histoire du peuple komi ou zyriène, et de ses traditions orales et littéraires. Nous apprenons que la poésie est célébrée en tous lieux, voire « en plein centre commercial, le dimanche » (ce qui n’est, hélas, guère le cas en France !).

Yves Avril, le traducteur, nous renseigne sur le poète ainsi que sur la création « d’une langue littéraire (…) des peuples mal connus ou enfouis dans de puissants ensembles plus ou moins assimilateurs ».

Le premier poème commence par une ode au peuple et à la langue komis – un sonnet d’amour et d’espoir. L’eau, la barque présagent sans doute des péripéties terrestres, et le sapin figé profondément dans le sol, de la pérennité ou du destin. La forme octosyllabique revient souvent, mais les rimes sont irrégulières, il ne s’y trouve pas le même nombre de pieds ; certains vers sont élaborés en rimes croisées, qui alternent. Le sens est parfois prédicatif :

Le Dieu cerf, Philippe Le Guillou (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 09 Décembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Contes, Fata Morgana

Le Dieu cerf, Philippe Le Guillou, novembre 2019, ill. Loïc Le Groumellec, 104 pages, 18 € Edition: Fata Morgana

 

Philippe Le Guillou se fait scribe de ce fragment d’une légende (presque) dorée. Et l’auteur de préciser : « récitant d’une geste dont je module, à mon tour, les accents et les échos, je ressens pleinement ce passage de l’orée, cet état de panique joyeuse que m’a toujours inspiré la seule profération du mot “lisière” ». Dès lors l’auteur invente la psychologie de son héros. Il vit à l’épreuve de celle-ci. Et habitant son personnage de l’intérieur, il l’imagine « rempli de cette frayeur religieuse qui gagne les nomades sacrés et les pérégrins… ».

Néanmoins l’auteur ne se laisse pas envahir totalement par ce sombre héros proche d’un lointain : « mon personnage appartient à l’Antiquité, c’est un vir que ne tourmentent ni la peur physique ni la fragilité si féminine, c’est un homme accompli, dans la splendeur de sa force, un guerrier, un chasseur ». Celui-ci troue l’éternité. Il montrerait facilement à l’assassin le chemin, et laisse au besoin monter la voix de l’animal. Il sait repérer au sol une trace même lorsque des ogres brouillent les cartes et des prélats moulinent leurs orgues à prières.