September September, Shelby Foote (par Léon-Marc Levy)
September September, Février 2020, traduit de l’américain par Jane Fillion, traduction révisée par Marie-Caroline Aubert. 431 p. 21 €
Ecrivain(s): Shelby Foote Edition: Gallimard
Ce roman du grand Shelby Foote, son dernier roman en date de 1978, a été publié pour la première fois en français sous le titre de « Septembre en noir et blanc », traduit par Jane Fillion pour les éditions 10/18 en 1985. Il est réjouissant de voir ce bijou réédité par Gallimard/La Noire, avec la traduction de Jane Fillion toujours, revue et corrigée par Marie-Caroline Aubert.
Décidément, Shelby Foote ne fait rien comme aucun autre écrivain. Dans ce roman, il s’attaque au genre « polar » mais aucun des codes connus de ce genre ne sont ici appliqués. Si bien que, si ce livre est un polar, alors tous les polars n’en sont pas. A travers l’intrigue qui tient September, September Foote va décliner toutes ses obsessions : le Sud bien sûr, son histoire, ses démons, les rapports entre blancs et noirs, la dérive des petits blancs pauvres vers le crime, les rapports sulfureux entre hommes et femmes et, toujours, en fond de tableau, l’Histoire des USA, la monographie du Delta, la mythologie sudiste.
On connaissait les polars violents, ceux où l’action tient en haleine, les polars mystérieux, les polars psychologiques. Foote invente un genre unique : le polar au ralenti. L’intrigue est des plus simples, des plus classiques : trois petits malfrats blancs du Delta, deux hommes et une femme, montent un coup. Ils vont enlever le petit garçon d’une famille noire de Memphis pour rançon. Puis ils le séquestrent et négocient avec les parents. On le voit, rien de bien stupéfiant. Ce qui l’est totalement, c’est la narration de Shelby Foote. Les scènes du drame sont en écho permanent. Dans Tourbillon, Foote nous avait déjà esquissé cette structure : une même scène racontée par différents personnages. Ici, c’est la règle.
Il en découle une formidable exploration des personnages, de leurs espoirs, de leurs peurs, de leurs valeurs. Il en découle aussi une scansion quasi métronomique du récit. Le temps long fait ici la tension du roman, laissant suinter goutte à goutte l’inquiétude du lecteur. Inquiétude renforcée encore par le caractère des kidnappeurs, imprévisibles, et que Shelby Foote s’efforce de nous faire ressentir comme capables de tout, surtout du pire.
Le « Noir et Blanc » de Foote porte bien sûr l’Histoire des USA et du Sud en particulier, dans l’opposition ethnique, l’oppression des Noirs mais aussi, souvent, dans le métissage plus ou moins avéré.
« A côté de lui, mais accroché un peu plus bas, un portrait de sa femme dans un cadre rond. L’air aristocratique, la peau couleur de vieil ivoire, le regard intelligent, le nez busqué, aquilin même, comparé à celui de son époux, charnu, épaté, et dont les narines caverneuses, noires sur noir, évoquaient le double canon d’un revolver braqué entre vos deux yeux. Le rapprochement entre ces deux portraits, aussi différents par le sujet que par la manière de les traiter, laissait à penser que cette femme devait avoir des ancêtres blancs, peut-être une arrière-grand-mère quarteronne ou octavonne ».
Mais September September est d’abord une chronique perlée d’une période sombre de l’histoire du Sud. L’intrigue sert de prétexte à un écho profond d’un épisode dramatique de l’histoire du Sud et, en particulier, de Memphis, « la porte du Delta ». La force originale de ce roman tient dans l’idée géniale de Foote de lier organiquement le fait divers raconté, l’enlèvement d’un enfant noir, et l’Histoire. Le rapt dépend, dans sa réalisation et son timing, des événements de Little Rock. En septembre 1957, dans l’Arkansas, le gouverneur Faubus, ségrégationniste, va s’opposer à l’admission – pourtant décidée par le président Eisenhower – de 9 élèves noirs à la Central High School de Little Rock. Une foule de Blancs, appuyée par la Garde Nationale, assiège l’école et empêche les jeunes noirs d’entrer. De graves incidents raciaux s’enchaînent. Or les trois malfrats ont bâti leur plan sur ces incidents, ont choisi un enfant noir en fonction du contexte social :
« Oui. Ils seraient prêts à casquer, les Nègres, surtout en ce moment avec toute cette agitation causée dans le Sud, par l’arrêt de la cour suprême obligeant les Blancs à accepter les Noirs dans les écoles, et tout ce foin qu’on fait à Montgomery au sujet des autobus, et ce qui va se passer de l’autre côté du fleuve, en Arkansas, avec ce Faubus qui pense qu’à se faire réélire alors que sa cote est au plus bas, à croire qu’elle pourra jamais remonter. Avoue qu’y a de quoi rendre les gens nerveux, spécialement les Nègres. M’est avis qu’on f’rait même pas appel à la police locale et encore moins au FBI ».
Shelby Foote, éternel chantre et historien du Sud nous livre ici encore, comme dans tous ses romans et nouvelles, une ode sudiste, un chant d’amour et de réprobation. Car c’est Foote assurément qui parle quand Eben Kinship, le père de Teddy (l’enfant enlevé) dit :
C’est plutôt qu’un tas de choses me sont apparues qui ne m’avaient pas frappé jusqu’à présent. Ici (1), les Nègres ne votent pas. « Ils sont votés », comme ils disent au Palais de Justice. Et bon Dieu, ce qui se passe dans les tribunaux ! « De quoi tu es accusé, Nègre ? – D’avoir regardé un Blanc dans les yeux. – Insolent avec ça, hein ? ». Il frappe de son marteau et la condamnation tombe comme le Jugement Dernier. « Six ans de travaux forcés ! Ça t’apprendra ! ». C’est peut-être cette ville qui me pousse à bout. La ville de M. Crump (2), ce qu’il permettait et ce qu’il ne permettait pas. Il est mort, mais la ville, il la gouverne encore ».
Alors, jusqu’au bout dans l’histoire du destin du petit Teddy, gronde la sombre et lumineuse histoire du Sud. Et comment imaginer que Shelby Foote puisse évoquer le grand Sud sans évoquer la grande voix de son maître reconnu, la grande voix du Sud ?
« J’allai à la cuisine me préparer une tasse de café et quand je revins Rufus parlait d’autre chose. Ce n’est pas un grand lecteur de journaux, mais quand ça lui arrive, il faut toujours qu’il vous fasse part de ce qu’il lit.
« Faulkner a soixante ans aujourd’hui (3).
– C’est qui ?
– Un écrivain d’Oxford. William Faulkner ».
Léon-Marc Levy
(1) A Memphis (Tennessee)
(2) Edward Hull « Boss » Crump, maire de Memphis et homme politique influent dans le Tennessee de 1915 à 1954
(3) La scène a donc lieu le 25 septembre 1957
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