Ils écrivent ... chez Gallimard (par Philippe Chauché)
Tout est déjà dans les livres, François-Henri Désérable, Gallimard, Tracts de Crise N°7, mars 2020, 8 pages
Lumière continue, Marc Pautrel, Gallimard, Le Chemin N°10, avril 2020, 9 pages
Naufrage, Michaël Ferrier, Gallimard, Tracts de Crise N°59, avril 2020, 10 pages
En l’an 1349, Guillaume de Machaut, Tracts de Crise N°58, Gallimard, avril 2020, trad. ancien français, Jacqueline Cerquiglini-Toulet, 14 pages
La Mort cette abstraction, Catherine Cusset, Gallimard, Tracts de Crise N°61, avril 2020
« Ces voix doivent se faire entendre en tous lieux, comme ce fut le cas des grands « tracts de la NRF » qui parurent dans les années 1930, signés par André Gide, Jules Romains, Thomas Mann ou Jean Giono – lequel rappelait en son temps : « Nous vivons les mots quand ils sont justes » (Antoine Gallimard).
« Je ne suis qu’écrivain, alors j’écris… un ami me rappelle que pendant l’épidémie de peste qui décima Londres en 1603, Shakespeare, réfugié à Stratford-upon-Avon, commença à écrire Le Roi Lear. Y a plus qu’à… » (François-Henri Désérable).
Des voix d’écrivains se font entendre depuis le début de la crise virale qui enflamme le monde, depuis que l’effroi s’impose, que l’on compte les morts et les alités sous respirateur, depuis qu’ici comme ailleurs, tout est sur pause. Le monde du livre est lui aussi alité, sous respirateur numérique. Les maisons d’éditions multiplient les offres gracieuses de lectures en ligne, et elles ont raison, en attendant le déconfinement littéraire, et la rentrée, qui s’annonce pour le moins prudente. Les libraires et les maisons d’éditions devront surmonter ce chaos. Les écrivains écriront comme ils l’ont toujours fait, aujourd’hui ils écrivent, certains dans le silence, loin du tumulte des réseaux sociaux, d’autres dans les journaux, les magazines et leurs maisons d’édition qui les y invitent. Ils écrivent pour témoigner, raconter, interroger, douter, ou plus naturellement pour offrir quelques éclats de leur art romanesque, qui est lui aussi suspendu au Temps des souvenirs présents.
« Elle dit que l’eau ici la berce, partout et toujours, qu’elle soit en vaporetto ou bien à marcher le long des canaux » (Marc Pautrel).
Marc Pautrel est à Venise, en belle compagnie, où une pluie de vie arrose les habitants. Michaël Ferrier se plonge dans des histoires de naufrages anciens où la vie repose sur des hommes honorables (les soignants d’aujourd’hui). Catherine Cusset voit la mort rôder et Guillaume de Machaut s’invite, de très loin, d’un 14e siècle où la mort s’insinue partout – « tout ce qui d’habitude était vert avait changé de couleur ; la bise avait tout décoloré, elle qui a coupé maintes fleurs par la froideur de son épée ». Cette présence, même invisible, des écrivains, est un heureux signe, des romans se façonnent en ce moment, des nouvelles s’affûtent. Demain nous saurons s’ils sont à la hauteur, de l’art littéraire, mais aussi des humeurs du monde.
Philippe Chauché
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