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Les Chroniques

Bou Hmara, faux sultan et vrai rebelle (par Mustapha Saha)

Ecrit par Mustapha Saha , le Vendredi, 30 Août 2019. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

Le véritable nom de Rogui Bou Hmara, l’homme à l’ânesse, est Jilali ben Driss Zerhouni el Youssefi. Il vient au monde en 1860 ou 1865, selon les sources, sur le mont Zerhoun dans une famille pauvre des Ouled Abbou, fraction de la tribu des Ouled Youssef. La date de naissance des marocains, inscrite ou non dans les registres civils, est aléatoire jusqu’à l’indépendance. Driss Chraïbi raconte, dans ses récits autobiographiques, des anecdotes savoureuses à ce sujet. L’incertitude historique alimente le mythe, probabilise l’autofiction reconstructive. Bou Hmara appartient à une longue tradition où la mémoire collective refaçonne les insurgés en héros thaumaturgiques. L’hétéronyme Bou Hmara assure la fonction de l’énigme, habite les mémoires comme une empreinte hallucinatoire, hante les conversations comme un spectre fascinatoire. L’homme à l’ânesse est équivoque, notable et barbaresque, redoutable et canularesque. C’est finalement le compagnonnage de l’ânesse qui le fait entrer dans la légende comme Rossinante, la jument squelettique de Don Quichotte. Plusieurs interprétations circulent sur cette caractéristique burlesque, extravagante, clownesque. Bou Hmara serait un érudit qui ne se sépare jamais de sa bibliothèque qu’il transporte partout sur sa bourrique. Le contraste, dans ce cas, est frappant entre le savant et sa science profuse, et l’ânesse et son ignorance confuse. La symbolique se prolonge au-delà de cette opposition. L’âne n’est-il pas le qualificatif ironique du makhzen ?

Mephisto, Klaus Mann (par Marie du Crest)

Ecrit par Marie du Crest , le Jeudi, 29 Août 2019. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Mephisto, Klaus Mann, Grasset, Coll. Les cahiers rouges, 2006, trad. allemand Louise Servicen, Préface Michel Tournier, 415 pages, 11,40 €

 

Klaus Mann naît en 1906. Il est le fils de Thomas Mann. Il est d’abord critique de théâtre dans sa jeunesse, et participe à la vie intellectuelle de l’Allemagne de la République de Weimar, qui voit grandir inéluctablement le nazisme dans un climat d’agitation politique, sociale et culturelle, fiévreux, et où il assiste à la montée de la violence qui en 1933 fera d’Hitler le dictateur effroyable du pays.

L’écrivain témoigne dans ses œuvres romanesques d’alors d’une incroyable lucidité face à cette montée des périls et s’engage contre les nouveaux maîtres de l’Allemagne, alertant aussi les intellectuels en Europe. Il est déchu de sa nationalité en 1934. Comme son père qui rejoint la France puis la Suisse, il s’exile d’abord aux Pays-Bas où il écrira d’ailleurs Mephisto.

Il gagne Les Etats-Unis dont il devient citoyen en 1943. Après la guerre, il retourne en Allemagne où avec amertume il constate que beaucoup de « collaborateurs » du régime nazi sont toujours en place. Il se suicide en 1949 à Cannes où il est enterré. Son œuvre dense mérite d’être découverte : Klaus Mann n’est pas que le fils de Thomas Mann.

Ordesa, Manuel Vilas (par Jean-François Mézil)

Ecrit par Jean-François Mézil , le Mercredi, 28 Août 2019. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Ordesa, Manuel Vilas, Editions du sous-sol, août 2019, trad. espagnol Isabelle Gugnon, 400 pages, 23 €

 

Un livre inclassable ? Cela est heureux en ces temps de conformité. Être un peu paumé quand on lit fait du bien.

Par quel bout le prendre pour le chroniquer ? J’ai l’impression d’une valise sans poignée.

Une valise remplie de souvenirs, même si « se souvenir, c’est brûler des neurones inutilement ». Quelques photos à l’appui et, en épilogue, onze poèmes – comme pour rehausser l’originalité du recueil.

Souvenirs réels : « Le passé, ce sont des meubles, des couloirs […] des chemises que les morts ont portées ».

Souvenirs inventés : « Je veux me rappeler qu’elle m’a dit ça, mais en réalité elle n’a pas parlé, pas prononcé la moindre syllabe ».

Un regard sur l’enfance, sur la famille, sur la mort et donc, par ricochet, sur la vie dont la mort est « une extension », « l’expression la plus aboutie du mystère de la vie ».

Corps Texte : Esthétique de la lecture à voix haute, Caroline Girard, Franck Magloire (par Mona)

Ecrit par Mona , le Mercredi, 28 Août 2019. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Corps Texte : Esthétique de la lecture à voix haute, Caroline Girard, Franck Magloire, Editions Le Soupirail, mai 2019, dessins Marion Dussaussois, 117 pages, 18 €

 

La lecture à voix haute, un art de funambule.

Corps Texte offre une esthétique de la lecture à voix haute à travers un dialogue concis mais très dense entre la fondatrice de La Liseuse, Caroline Girard, et l’écrivain Franck Magloire. Avec le premier mot de son titre évocateur, « Corps », on comprend d’emblée que lire à voix haute, c’est d’abord lire avec son corps, un corps-outil qui s’approprie un texte. Le lecteur engage un corps à corps avec la matière du langage. Medium, il se met aux ordres du corps pour être au service du texte, tout le texte, rien que le texte. Il travaille le souffle et le tempo non sans rappeler l’acteur-athlète évoqué par Antonin Artaud. Alors, lire à voix haute, une simple histoire d’organes ? Le propos du livre, clair et limpide, renvoie à de lancinantes questions occidentales sur l’acteur et la littérature. Entre l’école de Stanislavski qui recommande à l’acteur de puiser dans ses propres affects et la distanciation brechtienne qui met les affects entre parenthèses, le choix est clair : « il n’y a ni trace ni place pour l’émotion du lecteur » nous dit Caroline Girard.

La Styx Croisières Cie (VI) Juin 2019, par Michel Host

Ecrit par Michel Host , le Mardi, 27 Août 2019. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

 

[Ubu est couronné. La famille royale polonaise est exterminée, sauf Bougrelas et la Reine sa mère. Le peuple a envahi le palais. La cour du palais est pleine de Peuple]

Peuple : – Voilà le roi ! Vive le roi ! hurrah !

Père Ubu, jetant de l’or : – Tenez, voilà pour vous. Ça ne m’amusait guère de vous donner de l’argent, mais vous savez, c’est la Mère Ubu qui a voulu. Au moins, promettez-moi de bien payer les impôts.

Tous : – Oui, oui !

Capitaine Bordure : – Voyez, Mère Ubu, s’ils se disputent cet or. Quelle bataille.

Mère Ubu : – Il est vrai que c’est horrible ! Pouah ! En voilà un qui a le crâne fendu.

Alfred Jarry, Ubu Roi, Acte II, Sc. VII

 

Jules de Montalenvers de Phrysac, noté dans le Livre de mes Mémoires