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Les Chroniques

Ici n’est plus ici, Tommy Orange (par Laurent Bonnet)

Ecrit par Laurent LD Bonnet , le Jeudi, 09 Janvier 2020. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Ici n’est plus ici, Tommy Orange, Albin Michel, Coll. Terres d’Amérique, août 2019, trad. Stéphane Roques, 352 pages, 21,90 €

 

Savoir d’où on vient, sans savoir où on va…

Savoir d’où on vient pour savoir où on va, jamais adage – un quasi-cliché – n’aura été aussi fortement démenti ; jamais évidence n’aura été autant pulvérisée, qu’à la lecture du premier roman de Tommy Orange, Ici n’est plus ici.

Tony Loneman, Dene Oxendene, Opale Viola Victoria Bear Shield, Orvil Red Father et d’autres… Douze femmes et hommes qui constituent l’ossature principale des personnages de ce roman choral, tous issus des populations indiennes californiennes, émigrant  génération après génération de la réserve à la ville, savent tous parfaitement d’où ils viennent. Hélas : « Certains d’entre nous ont grandi avec des histoires de massacres… à Sand Creek, on raconte qu’ils nous fauchaient à coup d’obusier… Avec une milice de volontaires, le colonel Chevington a dansé avec des membres arrachés dans ses mains, des toisons pubiennes de femmes, ivre, il a dansé, et la foule rassemblée devant lui est allée jusqu’à l’applaudir et rire avec lui. Ce fut une célébration ».

Eloge indocile de la psychanalyse, Samuel Dock (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge , le Jeudi, 09 Janvier 2020. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Eloge indocile de la psychanalyse, Samuel Dock, éditions Philippe Rey, septembre 2019, 431 pages, 20 €

 

Alors que la psychanalyse subit actuellement des assauts violents de la pensée conformiste, Samuel Dock nous offre un voyage sincère sous forme d’abécédaire palpitant sur cette « psychologie des profondeurs ». On en ressort tout ébouriffé et enthousiaste… Loin de sentir la naphtaline, Samuel revigore l’indocilité de la psychanalyse que l’on avait oubliée. Il y ressuscite l’inquiétante étrangeté qu’avait su créée Freud lors de sa théorie explosive et adoucit les querelles de chapelle (ou plutôt de divans) entre les freudiens, les lacaniens, les kleiniens ou les jungiens… Son essai refuse le catéchisme dogmatique, les remparts artificiels créés par les différentes obédiences psychanalytiques, disons-le franchement : l’élitisme abscons. Il libère la psychanalyse contemporaine de sa tour d’ivoire bourgeoise, en rendant la psychanalyse lisible et accessible, en prenant même le risque de se dévoiler lui-même.

Retour à Reims, le Retour (par Marie du Crest)

Ecrit par Marie du Crest , le Mardi, 07 Janvier 2020. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

Le texte « inclassable », de Didier Eribon, paraissait il y a dix ans chez Fayard. Texte en quelque sorte trans/genre à la fois autobiographie, essai sociologique et politique, parcours intellectuel et témoignage sur la France ouvrière contemporaine de l’auteur. Thomas Ostermeier, directeur artistique de la Schaubühne à Berlin, s’est emparé de cet objet littéraire si particulier pour lui donner forme sur un plateau théâtral d’abord en allemand en 2017 puis en 2019 en français, créé au théâtre de Vidy à Lausanne. Il s’agit d’un « d’après le texte », d’une mise en forme dramatique « basée » sur le livre de D. Eribon.

Il n’est absolument pas rare que des œuvres littéraires échappant, à l’origine, au genre dramatique, soient adaptées pour la scène. Certains auteurs ont pu même, comme le grand Tchekhov, aller de l’écriture d’une nouvelle à celle d’une pièce. D’autres réalisations scéniques aux sources diverses (contes, correspondances, romans, etc.) ont donné lieu à des créations plus ou moins fidèles à l’œuvre-mère. Pour le pire et le meilleur.

Comment le dire avec circoncision ?, Gérard Ejnès (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 06 Janvier 2020. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Comment le dire avec circoncision ?, Gérard Ejnès, Le Passeur, août 2019, 460 pages, 21 €

Le 12 juillet 1998 et les jours qui suivirent ne furent pas euphoriques pour tout le monde (avant tout pour ceux qui abhorrent le football). La victoire de l’équipe de France en finale de la Coupe du monde sonna le début d’une véritable curée contre les journalistes sportifs et les chansonniers qui, les mois précédents, avaient critiqué sans ménagements et pas toujours de manière loyale le sélectionneur, Aimé Jacquet. Parmi ces journalistes se trouvait Gérard Ejnès, alors directeur adjoint de la rédaction de L’Équipe. « Je n’ai jamais cogné personne, mais je cognerai un jour Gérard Ejnès », avait déclaré « Mémé » Jacquet. L’effondrement de l’équipe de France à la Coupe du monde suivante montrera que les critiques qui lui avaient été adressées n’étaient peut-être pas toutes infondées.

L’esprit souffle où il veut et frappe quand il veut, même lorsqu’on est en train de satisfaire un besoin aussi naturel que pressant non loin d’un terrain de golf. C’est dans cette posture humble et a priori peu propice à l’introspection ou au questionnement métaphysique que Gérard Ejnès prit nettement conscience d’un manque. Cette prise de conscience ne fut pas douloureuse, la douleur remontant à plus loin, quand il avait été circoncis (pratiquée à huit jours, la circoncision juive ne laisse aucun souvenir, contrairement à la circoncision musulmane, qui s’effectue à treize ans). Mais que signifie être Juif ?

Je ne suis pas seul à être seul, Jean-Louis Fournier (par Nathalie de Courson)

Ecrit par Nathalie de Courson , le Vendredi, 20 Décembre 2019. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Je ne suis pas seul à être seul, Jean-Louis Fournier, JC Lattès, octobre 2019, 188 pages, 19 €

 

La solitude, c’est tendance et c’est lourd.

J’ai essayé de faire un livre léger.

Avec plus d’accordéon que de violoncelle, quelques rires ajoutés et quelques facéties quand ça devient vraiment triste.

Par courtes séquences, sur un ton humoristique, voire sarcastique, Jean-Louis Fournier nous donne à lire une série de variations sur le thème de la solitude ‒ notamment la sienne : celle du petit garçon qui réclame sa maman à l’accueil du magasin, ou celle du veuf de quatre-vingts ans, « de plus en plus vieux, de plus en plus moche », à qui la mairie accorde une accompagnatrice deux heures par semaine mais dont l’angoisse est la plus fidèle compagne. Ici et là se dessinent les portraits d’autres solitaires : les moines de Solesmes, une pianiste qui ne veut jouer qu’en soliste, ou Madame Basset, une voisine veuve qui faisait briller sa maison pour s’entourer de tous ses reflets : « Ils la regardaient, ils l’accompagnaient, ils la précédaient, ils la suivaient, parfois ils lui souriaient, elle leur souriait, comme la Joconde ».