Les veines du réel, Jean-Yves Guigot (par Murielle Compère-Demarcy)
Les veines du réel, Jean-Yves Guigot, éditions Littérales, 2015
Via cette ardente et rude traversée (ardoyante) dans Les veines du réel, à la recherche de la source en dépit du poids des pierres, le poète Jean-Yves Guigot nous offre par cet opus poétique (Prix Littérales en 2015) une plongée où s’expérimente la quête de l’unité. Quête du Vivre et du Verbe poursuivie malgré « la fatalité du néant », recherche opiniâtre du réel à même « l’ombre » le traversant, au risque encouru et fécond de rencontrer « en chemin le devenir du doute ». Cet opus s’énonce comme un tableau de George de La Tour peut pénétrer et refléter par le nouveau regard qu’il projette sur elle la réalité quotidienne en sa profondeur, jouant son approche du réel dans un jeu de lumière et d’ombres. Tableau en clair-obscur d’entrée, Les veines du réel nous introduit sur cet autre versant, du côté de la nuit, où êtres et choses dévoilent leur mystérieuse présence, révèlent leur plénitude, acquièrent une autre dimension, propageant une lumière réflexive, comme spirituelle, voire mystique.
« Je perçois une lampe et sa flamme m’endort,
comme s’éveille à soi-même qui s’éveille la nuit. »
L’auteur Jean-Yves Guigot avance et nous introduit d’emblée dans un nocturne où le poète n’allume pas une lampe mais la perçoit et la prend, l’emporte jusqu’à l’autre versant « dans la torpeur d’un jour où s’éteignent les yeux. » Le poète avance dans la nuit, avec la torche vivante des mots éclaireurs d’un chemin recherché, dans un temps qui n’est pas perdu mais exploré
« Je m’inscris pour un temps, dans l’intemporel
symbole, dans ce que le fragment de silex rencontrant
son accord fait jaillir de flamme »,
écrit le poète. Sur le parapet du poème, entre obscurité et lumière (éclaircies de la lucidité, éclairs de la pensée), le texte insère en ses strates sismiques des vérités clairvoyantes, voire des assertions foudroyantes :
« Le marcheur multipliant les pas n’atteindra
jamais la fatalité du néant »
« Le destin n’a pas d’âme.
La mienne quête son double dans la rose de
la nuit. »
« La lucidité abyssale du néant renforce
l’envol de la mélodie à venir »
Les limites du rêve et du réel se fondent dans l’univers mental et sidéral et, tout sens ouvert, le poète « (…) perçoit l’incomplétude et (n’est plus guère) que ce rêve où viennent s’entrechoquer l’essence même et sa pure absence. À quoi bon, dès lors, dans la nuit où j’avance, préserver cette lampe à jamais cendrée ? » Le « voleur de feu » conquiert le feu intérieur dans le for infini où courent et coulent ses veines, voit s’« encendre(r) le vide » sur les braises de l’oubli et « dans le lac de mémoire », sur les douves et le chemin de ronde de son voyage spatio-scripto-spirituel.
Quel sens garder « à déduire de (son) ombre l’inutile destinée ? » —Le sens de pouvoir percevoir le dessin d’’une destinée sur le chemin, quels que soient les impasses, les pas manqués ou gâchés. Cet opus poétique écrit une sorte de (méta-)Poétique de la perception, où le réel se manifeste intensément dans l’ombre même de son absence,
« On n’apprend de la vie qu’en s’en
absentant – qu’en sachant qu’il n’est rien de plus
lumineux que de fixer, la nuit, le désir d’infini.
Nous ne sommes et ne demeurerons,
que reliés à ce qui traverse. »
Le poète est semblable au Graal de sa quête, météore traversant l’esprit de l’univers, approchant la source en même temps que s’en éloignant à chaque absolu de chaque expérience recommencée. Le poème touche ici une métaphysique des perceptions où « l’espace se détache de sa solidité interne », où le flux étoilé, océanique et du sang du grand mouvement du Tout-Cela poursuit son enracinement et ses inflroescences terrestres, cognitives, oniriques et célestes, dans le tréfonds de l’insondable et ravissant mystère qu’« est le réel dans son mouvement ascendant ». L’Écrire, s’extirpant du manque d’air surgi de « l’étouffement de la radicalité », déchire et fait hurler les lèvres du cri poétique pour se mettre au monde.
Si les « chiennes d’impossibilité » d’Artaud aboyaient sauvages dans l’aire où « l’illusion perdure », dans Les veines du réel de Jean-Yves Guigot, « s’écrit l’enfoncement radical de l’être dans le champ du possible ». Et rien ne manque, « quand le néant frappe à la porte du mystère », quand l’aurore porte le flambeau des hommes en devenir, quand le pain noir devient mystique, quand le déracinement du Dire se veut radical pour mieux se déployer « rayonnement créatif du Verbe », quand renaître à l’aurore dans la traversée terrible de la nuit ouvre dans la renaissance à soi-même la rose de réconciliation, la rose céleste révélée par l’expérience extrême du Vivre et l’expérimentation scripturale, dans le champ de nos perceptions, dans « l’au-delà des limites », « vers l’au-delà de l’espoir ». Cet opus poétique de Jean-Yves Guigot nous engage, « flamme(s) noire(s) de l’âme », par-delà l’horizon, dans une « marche mystique » du plus pur ressourcement. La soif dans cette ascension, l’approche du sommet, le désir de se « retrouver dans le vide infini » constituent autant d’étapes fulgurantes et éminentes sur ce chemin de croix que de stations du Poème recréé dans « le commencement absolu » pour qu’ « écrire (demeure) déverser l’éclat de la rose de la nuit ».
Murielle Compère-Demarcy (MCDEM)
Jean-Yves Guigot est poète. Il a fondé à Brest la revue L'Authenticiste qu'il a dirigée pendant 5 ans et est responsable de collection aux éditions Blanc Silex. Il a publié de la poésie : Par-delà le Voile Illuminé (éd. Blanc Silex, 1999) et un essai : Xavier Grall : Lisière d'un voleur de feu (ibid).
Fondateur de la revue Place au sens.
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