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Les Chroniques

La Fabrique des salauds, Chris Kraus (par Mélanie Talcott)

Ecrit par Mélanie Talcott , le Jeudi, 24 Octobre 2019. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Belfond

La Fabrique des salauds, Chris Kraus, Belfond, août 2019, trad. allemand Rose Labourie, 880 pages, 24,90 €

La Fabrique des salauds – titre français du roman Das Kalt Blut (Le sang froid, titre aux milles nuances mais moins dragueur) de Chris Kraus – laisse penser a priori que l’on ne l’est pas par nature, mais qu’on le devient, puisque « fabriqué » avant que d’être estampillé, comme l’on marque du bétail, du sceau de la manufacture idéologique dominante.

Ici, le tampon apposé est le nazisme. Mais tous les ismes et leurs dérivés, courants de pensée laïques ou religieux, philosophiques, politiques, scientifiques et tout le tintouin, qui depuis sa naissance, ont traversé et traversent toujours la cervelle de l’Homo Sapiens, ont le leur.

Là, son histoire événementielle borne le roman de 1905 à 1974.

De la révolution des Bolcheviks jusqu’aux attentats terroristes de Septembre noir, en passant par l’occupation russe de la Lettonie, la montée du fascisme en Allemagne, la deuxième guerre mondiale, l’après-guerre, ses nazis et ses collaborateurs recyclés dans les rouages étatiques, la création de l’État d’Israël, la guerre froide, mai 1968, la bande à Baader, la guerre au Vietnam…

Prière d’insérer suivi de Cote d’alerte / C'est là que j'ai vécu, Lionel Bourg (par Denis Heudré)

Ecrit par Denis Heudré , le Mercredi, 23 Octobre 2019. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

Lionel Bourg, plus qu’écrire, chérit les mots : « Ce noir crissement dans la neige qui tombe ». Il a publié en mai un court recueil intitulé Prière d’insérer suivi de Cote d’alerte, aux éditions La Passe du Vent. Et en octobre, il nous offre à découvrir avec les éditions Quidam : C’est là que j’ai vécu. Il est intéressant de faire le parallèle entre ces deux ouvrages qui semblent flotter dans un même équilibre. Sa vision du travail d’écrire tout d’abord :

« Difficile à éviter, le substantif ne me satisfait toujours pas. “Activité” ne serait pas meilleur, ni “acte”, ni “labeur”. Me résignant à l’utiliser, je garde à l’esprit son étymologie – tripalium, instrument de torture – tout en retenant que l’usage en a fait un concept contradictoire, ambigu, mystificateur ».

Mais en fait, pour Lionel Bourg, écriture ne rime pas avec torture, tous les jours elle est son « unique joie : vaquer, débroussailler un peu, ramasser un caillou et semer ces autres pierres qui sur la page distribuent l’archipel encore aléatoire de ma malheureuse conscience ». Écrire avec souvent pour lui le « sentiment de toucher à des rives insoupçonnables ».

Les Mœurs des Israélites, Claude Fleury (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 22 Octobre 2019. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Les Mœurs des Israélites, Claude Fleury, Honoré-Champion, coll. Sources classiques, édition critique Volker Kapp, 2018, 354 pages, 50 €

Tout livre qui a fait en son temps l’objet de nombreuses rééditions mérite, sinon d’être réimprimé (puisqu’il n’est en principe pas difficile de s’en procurer un exemplaire sur le marché de l’ancien), du moins d’intéresser ceux qui étudient le passé. En effet, ces rééditions nous renseignent sur le goût et le climat intellectuel d’une époque, qu’elles réfractent mieux que les œuvres de tout premier plan, toujours supérieures au siècle qui les vit naître.

Même pour de bons connaisseurs de la littérature française, Claude Fleury (1640-1723) n’est plus guère qu’un nom. Avocat devenu prêtre, corps mineur orbitant dans les gravités bientôt rivales de Bossuet et de Fénelon, précepteur auprès des enfants de la famille royale, successeur de La Bruyère à l’Académie française, il publia de nombreux ouvrages qu’on peut lire sans avoir l’impression de perdre son temps, entre autres Les Mœurs des Israélites. Le livre – qui contient (p.133) un éloge de la paysannerie et c’est déjà en soi une raison de le remarquer – connut de nombreuses rééditions, ainsi que des traductions dans un nombre impressionnant de langues (anglais, italien, néerlandais, allemand, espagnol, latin, hongrois, suédois, portugais, polonais, grec et arménien).

Le Livre jaune, Andreas Unterweger (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 21 Octobre 2019. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Le Livre jaune, Andreas Unterweger, éditions Lanskine, trad. allemand, Laurent Cassagnau, mai 2019, 224 pages, 20 €

 

Jeunesse

Pour se plonger dans le livre de A. Unterweger, traduit de l’allemand par Laurent Cassagnau, il faut accepter un voyage en enfance. Mais, même si l’auteur écrit depuis le point de vue d’un garçonnet, nous ne sommes pas pour autant dans un récit jeunesse. D’une part, parce qu’il s’agit d’un récit en fragments, de focales successives sur les activités de l’écrivain en son jeune âge (le sien ?), ce qui requiert une habileté de lecture à ranger du côté de l’adulte, et d’autre part parce que le niveau de langue, notamment des jeux de mots, nécessite une compréhension de lecteur mature. Cela dit, et pour ce qui me concerne, j’ai partagé ces visions fragmentaires avec assez de bonheur, car il y a une vraie légèreté dans ce livre, évitant le côté sombre de l’âge tendre – quand il y a brutalité ou impossibilité de décrire les traumatismes relevant de situations extrêmes par exemple. Donc, ici pas de spectacle morbide. Pas de violence, sinon le passage de l’été ou d’un été à l’autre, pas de situations extrêmes hormis la rencontre d’une petite fille, soudainement, qui incarne le Grand Autre de tout petit garçon.

« Mon envers inséparable » - À propos de Nathalie Sarraute (par Nathalie de Courson)

Ecrit par Nathalie de Courson , le Jeudi, 17 Octobre 2019. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

« Quand vint la fin, le mardi 19 octobre 1999 au matin, elle se redressa sur son oreiller et déclara : C’est fini », dit Ann Jefferson dans le livre qu’elle consacre à Nathalie Sarraute (1). La biographe ne manque pas de relier ces dernières paroles au très beau texte qui ouvre le recueil L’Usage de la parole (1980), « Ich sterbe » (« je meurs » en allemand), où Sarraute élabore une rêverie poétique autour des deux mots qui furent lucidement prononcés par Tchekhov juste avant de mourir dans une ville balnéaire allemande.

Depuis des années, des mois, des jours, depuis toujours, c’était là, par derrière, mon envers inséparable… et voici que d’un seul coup, juste avec ces deux mots, dans un arrachement terrible tout entier je me retourne… Vous le voyez : mon envers est devenu mon endroit. Je suis ce que je devais être. Enfin tout est rentré dans l’ordre : Ich sterbe (2).