C’est si simple un poème, Patricia Castex Menier (par Murielle Compère-Demarcy)
C’est si simple un poème, Patricia Castex Menier, éditions Pippa, mai 2019, Ill. Joël Pampin, 79 pages, 15 €
C’est si simple un poème quand les mots vont et viennent dans les ressacs, dans le creux et le cri des vagues et que, d’une lame de fond, peut remonter des abysses cette voix de la mémoire prête de crier à son retour : « Nous sommes vivants / dans la paume du temps ». La main de l’Écrire se tend – ici : ailleurs – paume ouverte sur la laisse et, même « s’il ne se passe rien », « la fleur éclose du regard » immanquablement embrase les contours des êtres et des choses…
Nous entrons dans ce nouvel opus poétique de Patricia Castex Menier, voyageurs à ses côtés depuis des recueils-lumière, porteurs dans nos bagages de ses Suites et Fugues (2017), de son Bleu Baleine (2016) chez Henry si conteur des légendes qui nous tiennent entre réel et ses franges sensibles vibrantes sur la crête de l’écume et les vibrations invisibles des profondeurs – ce chant de ces mammifères marins inoubliables où « les pierres viennent / de plus loin /que les hommes » (C’est si simple un poème), où « chaque mot pour le poète est un océan » (Bleu Baleine), jusqu’au lieu inouï où la parole nous touche, nous sort la tête de l’eau et nous parle par la voix d’un chant salvateur.
Patricia Castex Menier est une Poétesse qui nous apporte un ciel de mots pêcheurs dans « l’enfer des chaluts ». Le lecteur ressent le vide « en pure perte » regardé par Orphée lorsqu’il se retourne sur les ombres de ses passages, mais nous savons que la voix des poètes ouvre une voie de lumière risquée, où une fleur éclot sur le seuil de l’inachevé ; où « sur l’estran » du monde qu’il suffit d’observer pour le vivre, « se profile l’unique présence / de l’aigrette ». Qui voit l’oiseau en son espèce sinon celui qui sonde de sa curiosité ardente les saisons en leurs transitions, voyages migratoires comme en leur repos, avant la reprise des rythmes et couleurs chromatiques/cycliques ?
Patricia Castex Menier observe la nature. Évoquer « l’aigrette » (si discrète auprès des marais, si confondante dans son vol), écrire, dans un condensé du poème qui évoque l’essentiel du piqué d’un rapace diurne dont les cercles dessinent nos ciels que si peu d’hommes prennent le temps de regarder, et dont la célérité de faucon ne peut qu’étonner ceux qui savent regarder :
« La paix :
Un trou de musaraigne
Que surplombe l’épervier »
n’est pas évocation abstraite du règne animal, plus précisément d’ornithologue, auxquels hélas se risquent tant de « poètes » ignorants de ce monde qu’ils évoquent uniquement pour prévaloir une beauté esthétique. La poétesse évoque une nature qu’elle scrute, prend le temps de regarder. Qu’elle connaît ou apprend à connaître. Les poèmes en ressacs de Patricia rejoignent dans leur chant de baleines bleues la nostalgie des étoiles, et c’est peu dire, et c’est peu écrire.
Rimbaud, à l’Aube, écrivit avoir rencontré « une fleur qui (lui) dit son nom » et qui signa son « entreprise » d’un réel effectif sous les pas de sa marche sur la route du monde et sous les arcanes du for intérieur tourné vers l’Autre. Si la poétesse Patricia Castex Menier affirme par le titre de ce nouvel opus que « c’est si simple un poème », en même temps qu’elle affirme dans le corps du texte qu’« un poème / vacille, / oublie son chemin » – c’est que l’étincelle est souffle entre le néant et le chant poétique, et qu’il faut, vaille que vaille, continuer le cheminement (« On / sort toujours / plus fort d’une épreuve »). L’isolement suggéré par l’emploi du pronom impersonnel dessine sa condition insulaire, mais la multitude supposée par le pronom indéfini et l’après de la césure, nous rappelle que l’île de chaque singularité n’avance / ne se construit qu’escortée du contrefort de l’archipel, tourné contre vents et marées, tourné résolument vers l’espoir de lendemains fertiles.
Un poète est vigie aussi pour cela, pour nous rappeler qu’un poème n’est pas si simple, et qu’il faut persévérer pour durer, et continuer d’allumer les sentinelles de l’aube :
« L’embellie
déshabille
les heures sombres du monde.
Dans la lumière
l’âme pose nue ».
La lumière donnée par la poétesse n’est pas celle d’une « âme nue » au sens où elle serait dépossédée des prises d’un réel épais, aujourd’hui dépourvu de repères essentiels – ces jalons qui construisaient les digues de valeurs humaines –, mais celle d’une âme offerte « à nu » incarnée par les mots à fleur de peau, habitée par eux.
Les véritables poètes se reconnaissent d’emblée. À quelque page que vous ouvrez, en l’occurrence un livre de Patricia Castex Menier – à l’œuvre poétique inachevée comme toute œuvre véritable – votre regard aux cinq sens (oreille, œil, mains, langue, papilles) s’augmente de perceptions poétiques pétillantes :
« Bulles
de champagne,
Cosi fan tutte,
La musique en nous,
Ses bonds de biche en joie ».
La poétesse n’a pas écrit : « cerf » ou « biche aux abois »…
Seuls les poètes savent ouvrir la flûte enchantée des jours à venir, et recréer cette musique des fougères où les velours de la nature ouvrent des espaces d’arches, d’Infini, de cheminements, « de biche en joie »…
Murielle Compère-Demarcy
Patricia Castex Menier est née à Paris en 1956. Pour elle, la poésie se voudrait une façon de vivre, un regard sur le monde, l’écho des expériences quotidiennes et l’attention à l’humanité. Elle a publié de nombreux textes poétiques chez Cheyne éditeur, les éditions Henry, L’Amourier, Vincent Rougier, Al Manar, Aspect… et un récit aux éditions La Dragonne. Ses dernières parutions : Suites et fugues(2017), Bleu Baleine (2017) et Adresses au passant (2018), aux éditions Henry. Rimbaud design(2017) et Soleil sonore (2018), aux éditions Vincent Rougier, Instantanés (2018) aux éditions Tipazza, et Notes d’Égée (2018) aux éditions La Porte. Un numéro spécial de la revue à l’index (Épouville), Les mots du silence, lui a été consacré en 2017.
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