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Terra Incognita, Une histoire de l’ignorance, Alain Corbin (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 11 Novembre 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Albin Michel, Essais

Terra Incognita, Une histoire de l’ignorance, février 2020, 282 pages, 21,90 € . Ecrivain(s): Alain Corbin Edition: Albin Michel

 

Au VIIe livre de son Histoire naturelle, Pline l’Ancien a formulé le problème en des termes définitifs et qui traverseront les siècles : l’être humain est dépourvu de tous les moyens d’attaque et de défense dont disposent les autres animaux. Il n’a ni griffes, ni rostre, ni carapace, ni même les tentacules urticants de la plus modeste des méduses (qui n’ont pourtant ni cerveau, ni cœur). Il ne possède pas non plus de véritable instinct, de sorte que chaque génération doit laborieusement tout réapprendre. De là le langage, d’abord oral, ensuite écrit, seul moyen de transmettre l’expérience de nos prédécesseurs. Et ce qui vaut pour l’individu vaut pour le genre humain en entier. Au début étaient l’ignorance et donc la peur, semblables à un océan qui recouvrait tout. Puis, petit à petit, des îlots émergèrent, qui devinrent des îles, parfois reliées entre elles par des isthmes. L’espèce humaine avait appris et elle se souvenait. Elle ne sait pas encore tout (serait-ce seulement possible ?), mais – à condition qu’elle ait la sagesse de les conserver – elle dispose des trésors de savoir accumulés au long des siècles dans les bibliothèques.

Abraham, ou La cinquième Alliance, Boualem Sansal (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 03 Novembre 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Maghreb, Roman, Gallimard

Abraham, ou La cinquième Alliance, octobre 2020, 284 pages, 21 € . Ecrivain(s): Boualem Sansal Edition: Gallimard

 

Pour qui s’intéresse à la littérature, c’est-à-dire à un ensemble dynamique (chaque époque produit ses grands écrivains) d’œuvres achevées (il n’y aura plus de nouvelle tragédie de Racine), il est toujours passionnant de voir une œuvre apparaître, à la manière d’une île qui émerge de l’océan. En ce qui concerne Boualem Sansal, nous n’en sommes plus à observer la naissance d’un écrivain de tout premier ordre. Ses romans qui s’alignent sur nos étagères forment d’ores et déjà une œuvre à part entière, qui acquerra le statut de classique. Depuis Boumerdès, sa ville, non loin d’Alger, il a su éviter les pièges de la revendication post-coloniale et de la couleur locale. Son œuvre, d’une ampleur panoramique, obéit à une force intérieure et ne se soucie pas de complaire à des commanditaires, des journalistes ; de flatter l’air du temps ou la prudente doxa en vigueur. Abraham le confirme au besoin.

Pas de défaite pour l’esprit libre, Écrits politiques Inédits (1911-1942), Stefan Zweig (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 02 Novembre 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Albin Michel, Essais

Pas de défaite pour l’esprit libre, Écrits politiques Inédits (1911-1942), janvier 2020, trad. allemand Brigitte Cain-Hérudent, 352 pages, 22,90 € . Ecrivain(s): Stefan Zweig Edition: Albin Michel

 

Il peut paraître surprenant que, près de quatre-vingts ans après sa mort (1942), il demeure encore des textes inédits de Stefan Zweig. Car ce dernier n’eut rien d’un auteur confidentiel, écrivant dans l’indifférence (comme, de nos jours, les auteurs de blogs que personne ne visite), pour les seuls membres de sa famille, ou comme ces personnages inondant les journaux de lettres qui ne seront jamais publiées. Il fut un écrivain connu et reconnu dans le monde entier, fut-ce « le monde d’hier ». Mais, contrepartie ou non de cette renommée mondiale, Zweig publia beaucoup, dans les journaux les plus divers, et il ne signait pas toujours ses articles. Il reste donc possible de faire des trouvailles, comme celles rassemblées dans deux volumes publiés en Autriche (2016) et traduits en français. Ce livre n’ajoute ni ne retranche rien à la gloire posthume de Zweig et tout n’y est pas du premier ordre. Le sous-titre « Écrits politiques » ne rend qu’imparfaitement compte du contenu composite de l’ouvrage.

Le Cafard, Ian McEwan (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 20 Octobre 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Iles britanniques, Roman, Gallimard

Le Cafard, Ian McEwan, Gallimard, mai 2020, trad. anglais, France Camus-Pichon, 154 pages, 16 €

Les cafards dorment-ils ? On suppose que oui, même si on avoue ne s’être jamais posé la question. Quoi qu’il en soit, un cafard s’est réveillé un beau matin dans un corps qui n’était pas le sien, un corps immense, dépourvu de carapace, mais avec une tête volumineuse, sans antennes, et (seulement) deux paires de membres. De surcroît, si ce corps n’était pas le sien, ce n’était pas non plus celui d’un quidam. C’était le corps du Premier Ministre anglais.

Cette histoire de cafard rappellera quelque chose au moins érudit des lecteurs. Ian McEwan le sait et il convoque également les mânes de Swift, maître en satire et en misanthropie. Le Cafard ressuscite deux genres anciens : le roman à clefs et le roman à thèse. Le roman à clefs procure toujours au lecteur un plaisir spécial, fait de connivence, même si – comme ici – les clefs sont plutôt grosses. Jim Sams (le cafard) est bien entendu Boris Johnson (à l’état-civil Alexander Boris de Pfeffel Johnson), ce pur produit de l’élite britannique, lettré et polyglotte, devenu le porte-parole d’un vif (res)sentiment anti-élitaire ; exactement comme Donald J. Trump, l’énergique milliardaire new-yorkais. Dans Le Cafard, ce dernier correspond évidemment à Archie Tupper, le président des États-Unis, qui commence sa journée par écrire des tweets depuis son lit. Ceux qui connaissent les méandres de la vie politique anglaise ne manqueront sans doute pas d’observer d’autres correspondances.

De Sang et d’encre, Rachel Kadish (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 14 Octobre 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

De Sang et d’encre, Rachel Kadish, Le Cherche-Midi, septembre 2020, trad. anglais (USA) Claude et Jean Demanuelli, 564 pages, 23 €

 

« La découverte de manuscrits révèle les pires instincts, même chez des savants normaux par ailleurs » (James B. Robinson). La validité de ce principe se vérifia une fois de plus un jour de l’an 2000, où le professeur Helen Watt, spécialiste de l’histoire du judaïsme, fut appelée dans une demeure cossue, non loin de Londres, afin d’examiner une petite cache remplie de manuscrits anciens, découverte à la faveur de travaux de rénovation. À première vue, le Pr. Watt pensa être devant le contenu d’une genizah, ce tombeau où les Juifs pieux enfouissent les vieux manuscrits liturgiques et autres papiers qu’ils ne peuvent se résoudre à détruire, parce qu’ils contiennent le nom de Dieu (l’exemple le plus célèbre étant celui de la genizah du Caire, découverte en 1896).

En se plongeant dans la lecture de ces manuscrits qui avaient été soigneusement rangés et classés dans leur abri (en soi, cela suffisait à montrer qu’il ne s’agissait pas d’une genizah, où les papiers sont abandonnés en vrac), Helen Watt se rendit compte qu’elle était en présence de tout autre chose. Ces archives appartenaient à un rabbin londonien du XVIIe siècle, venu d’Amsterdam.