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Articles taggés avec: Banderier Gilles

Le français, parlons-en !, Boualem Sansal (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 11 Mars 2025. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais

Le français, parlons-en !, Boualem Sansal, Éditions du Cerf, septembre 2024, 188 pages, 19 € . Ecrivain(s): Boualem Sansal

 

Quoi que l’avenir tienne en réserve, Le français, parlons-en ! aura été le dernier livre publié par Boualem Sansal avant son incarcération dans les geôles de la dictature algérienne, le 16 novembre 2024 – début d’un long cauchemar. Il est difficile de dire si cette déclaration d’amour à la langue française, doublée de flèches acérées lancées à l’Algérie (« qui, de son propre chef et héroïquement, s’est jetée dans la gueule du néant grâce à quatre programmes rondement menés par son gouvernement : l’arabisation importée d’Égypte, l’islamisation importée d’Arabie, la militarisation importée d’Irak, la politique spectacle importée de Bollywood et Disneyland », p.43 ; « Les pays qui n’ont pas de langues ou qui ont trahi la leur n’ont pas d’avenir. Le pouvoir algérien l’ignorait car à sa naissance, prématurée et illégitime, durant l’été 1962, il lui manquait une moitié de cerveau » p.127), a joué ou non un rôle dans ce sinistre engrenage judiciaire, mais elle n’a certainement pas été considérée comme une circonstance atténuante. On ne saurait cependant réduire – ce que firent probablement les hiérarques algériens – ce livre à une charge, si justifiée soit-elle, contre le pays natal de l’auteur.

Le Chemin de Jérusalem, Une théologie politique, Shmuel Trigano (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 04 Mars 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Le Chemin de Jérusalem, Shmuel Trigano, Les Provinciales, avril 2024, 126 p. 15 €

Dans une conférence récemment traduite en français (Textes retrouvés, Gallimard, 2024), Jorge Luis Borges notait que la civilisation occidentale repose sur deux piliers : la Grèce et la Bible. Cela ressemble de prime abord à un de ces lieux communs dont les conférenciers assaisonnent à l’occasion leur propos, mais toutes les conséquences de cette situation n’ont pas été tirées. L’une fut déduite par Borges lui-même : malgré des rencontres occasionnelles avec la Grèce (notamment dans les livres sapientiaux), la Bible appartient à l’Orient. La rhétorique amoureuse du Cantique des Cantiques ne put ainsi être acceptée et « reçue » en Occident qu’aux prix de distorsions considérables.

La centralité et la primauté de Jérusalem sont une autre conséquence. Seule Rome (en tout cas ni Londres ni Paris) put rivaliser. Mais l’effondrement de l’Église catholique en Europe, alors même que renaissait l’État d’Israël (la concomitance des deux événements possède-t-elle un lien secret ?) a remis en cause le statut de Rome, qui n’est plus qu’une destination de week-end comme une autre, au même titre qu’Amsterdam ou Berlin. Lors des audiences hebdomadaires du pape François, l’immense place Saint-Pierre est aux trois-quarts vide.

Et nous danserons encore, Sébastien Spitzer (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 10 Février 2025. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Histoire, Récits

Et nous danserons encore, Sébastien Spitzer, Albin-Michel, septembre 2024, 250 pages, 19,90 €

Il existe une « littérature des camps » suffisamment abondante et de qualité pour remplir un volume de la Pléiade, et on aurait pu en confectionner plusieurs. Il existe une littérature du 11-Septembre (rarement une date se sera gravée aussi vite dans la mémoire collective), avec des ouvrages tels que 11 Septembre, Une histoire orale (Garrett M. Graff), et Le Jour où les anges ont pleuré (Mitchell Zuckoff), malgré la difficulté à se représenter un événement pareil. Il y aura, on peut en être sûr, une littérature du 7 octobre 2023 (même si la télévision a pris une longueur d’avance), faite de témoignages et de fictions. Et nous danserons encore appartient à la première catégorie. Sébastien Spitzer s’est rendu en Israël pour rencontrer des survivants du massacre, des familles d’otages et, dans de trop rares cas, des otages ayant été libérés par le Hamas après son pogrom (« un mot que la langue russe a offert au reste du monde. Un don, si l’on veut, à l’encyclopédie universelle de l’infamie », ainsi que l’écrit si bien Camille de Toledano) perpétré avec la plus froide détermination. De retour en France, Spitzer assista aux lendemains du massacre, avec la récupération cynique de La France Insoumise, la vésanie des étudiants de Sciences-Po, l’émergence de Rima Hassan, tout un monde peu nombreux, mais très présent dans les médias et embarqué dans une sarabande écœurante.

Journal 2011-2019 (tome V), Richard Millet (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 30 Janvier 2025. , dans La Une Livres, Les Livres, Biographie, Récits

Journal 2011-2019 (tome V), Richard Millet, Édition Les Provinciales, août 2024, 602 pages, 32 € . Ecrivain(s): Richard Millet

 

Il ne faut pas sous-estimer la discipline de fer et l’obstination quasi-entomologique requises pour tenir son journal, c’est-à-dire, au sens étymologique, pour noter tous les jours les événements petits ou grands qui se produisent dans une existence, les faits et gestes de la vie quotidienne, les rencontres, les propos échangés, les pensées, etc. Au premier regard, le journal est, avec la correspondance, un genre littéraire à la portée de chacun. Mais on ne doit pas s’y méprendre : il y aura entre le journal tenu par un quidam et celui d’un grand écrivain la même différence qu’entre un film de vacances et une bobine de Kurosawa.

Bien qu’une telle affirmation relève du pari sur l’avenir, Richard Millet est un des grands écrivains de notre temps, par l’ampleur de son œuvre et la diversité des genres littéraires qu’il cultive. Il est également, avec Michel Houellebecq, Boualem Sansal, et quelques autres, un des analystes les plus lucides de l’effondrement en cours, qu’il s’agisse de littérature ou de son vaisseau porteur, la civilisation.

La Passeuse, Michaël Prazan (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 06 Janvier 2025. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Rivages poche, Récits

La Passeuse, Michaël Prazan, Rivages Poche, mai 2024, 366 pages, 9,80 € Edition: Rivages poche

Documentariste d’exception (on lui doit des films qui valent largement des ouvrages de vulgarisation dus à des historiens capés), Michaël Prazan, après avoir consacré son existence à décrire la vie des autres, s’est penché dans La Passeuse sur son propre passé ou, plus exactement, sur le passé de son père, qui avait été un « enfant caché » pendant la Seconde Guerre mondiale.

On sait qu’alors que leurs parents partaient pour un voyage sans retour, ce fut le sort de nombreux enfants juifs, envoyés à la campagne (dans une France encore largement rurale) et plus ou moins dissimulés dans des fermes ou présentés comme de vagues neveux. Un exemple parmi d’autres, celui de cette jeune Alsacienne de confession juive, réfugiée dans le Périgord, accueillie chez des paysans et dûment intégrée aux activités de la paroisse locale – sans perspective de conversion : le curé du village, qui savait très bien à quoi s’en tenir, lui avait appris les prières catholiques les plus usuelles, au cas où elle eût été interrogée par une autorité, et la faisait participer aux processions mariales en « enfant de Marie », histoire de parfaire sa « couverture » et d’éteindre d’éventuels soupçons. Ou, plus célèbre, le jeune et futur Serge Gainsbourg.