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Articles taggés avec: Banderier Gilles

Journal 2011-2019 (tome V), Richard Millet (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 30 Janvier 2025. , dans La Une Livres, Les Livres, Biographie, Récits

Journal 2011-2019 (tome V), Richard Millet, Édition Les Provinciales, août 2024, 602 pages, 32 € . Ecrivain(s): Richard Millet

 

Il ne faut pas sous-estimer la discipline de fer et l’obstination quasi-entomologique requises pour tenir son journal, c’est-à-dire, au sens étymologique, pour noter tous les jours les événements petits ou grands qui se produisent dans une existence, les faits et gestes de la vie quotidienne, les rencontres, les propos échangés, les pensées, etc. Au premier regard, le journal est, avec la correspondance, un genre littéraire à la portée de chacun. Mais on ne doit pas s’y méprendre : il y aura entre le journal tenu par un quidam et celui d’un grand écrivain la même différence qu’entre un film de vacances et une bobine de Kurosawa.

Bien qu’une telle affirmation relève du pari sur l’avenir, Richard Millet est un des grands écrivains de notre temps, par l’ampleur de son œuvre et la diversité des genres littéraires qu’il cultive. Il est également, avec Michel Houellebecq, Boualem Sansal, et quelques autres, un des analystes les plus lucides de l’effondrement en cours, qu’il s’agisse de littérature ou de son vaisseau porteur, la civilisation.

La Passeuse, Michaël Prazan (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 06 Janvier 2025. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Rivages poche, Récits

La Passeuse, Michaël Prazan, Rivages Poche, mai 2024, 366 pages, 9,80 € Edition: Rivages poche

Documentariste d’exception (on lui doit des films qui valent largement des ouvrages de vulgarisation dus à des historiens capés), Michaël Prazan, après avoir consacré son existence à décrire la vie des autres, s’est penché dans La Passeuse sur son propre passé ou, plus exactement, sur le passé de son père, qui avait été un « enfant caché » pendant la Seconde Guerre mondiale.

On sait qu’alors que leurs parents partaient pour un voyage sans retour, ce fut le sort de nombreux enfants juifs, envoyés à la campagne (dans une France encore largement rurale) et plus ou moins dissimulés dans des fermes ou présentés comme de vagues neveux. Un exemple parmi d’autres, celui de cette jeune Alsacienne de confession juive, réfugiée dans le Périgord, accueillie chez des paysans et dûment intégrée aux activités de la paroisse locale – sans perspective de conversion : le curé du village, qui savait très bien à quoi s’en tenir, lui avait appris les prières catholiques les plus usuelles, au cas où elle eût été interrogée par une autorité, et la faisait participer aux processions mariales en « enfant de Marie », histoire de parfaire sa « couverture » et d’éteindre d’éventuels soupçons. Ou, plus célèbre, le jeune et futur Serge Gainsbourg.

La Part du feu, Norman MacLean (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 10 Décembre 2024. , dans La Une Livres, Rivages, En Vitrine, Cette semaine, Les Livres, Critiques, Récits, USA

La Part du feu, Norman Maclean, Payot & Rivages, mai 2024, trad. anglais (États-Unis) Jean Guiloineau, Laure Jouanneau-Lopez, 396 pages, 23 € . Ecrivain(s): Norman MacLean Edition: Rivages

 

C’est le genre de catastrophe qui n’est la faute de personne : les circonstances forment un enchevêtrement tellement compliqué que toute responsabilité directe est diluée. Le 5 août 1949, un groupe de pompiers-parachutistes (smokejumpers) fut lancé au cœur d’un feu de forêt, dans le ravin de Mann Gulch, État du Montana. Si l’on se rappelle de leur intervention (il suffit de taper Mann Gulch dans un moteur de recherches), c’est parce que quelque chose a très mal tourné.

Ces pompiers avaient été « projetés » à proximité du feu sans disposer d’eau ou de pompes et sans autre solution pour arrêter l’incendie que de creuser des tranchées à coups de pelle et de pioche. Parachutée séparément, la radio s’était écrasée au sol (cette impossibilité de communiquer n’est pas sans évoquer ce qui se produira le 11 septembre 2001 : la police de New York et les pompiers de New York utilisant des fréquences radio distinctes et incompatibles, les pompiers opérant à l’intérieur des tours en savaient moins que les journalistes à l’extérieur).

Rothko, peintre mystique (Ressemblances et analogies), Ghislain Chaufour (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 03 Décembre 2024. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Arts

Rothko, peintre mystique (Ressemblances et analogies), Ghislain Chaufour, Les Provinciales, 2023, 62 pages, 12 €

 

À qui s’étonnerait ou s’indignerait de trouver sur un site comme La Cause littéraire le compte rendu d’un ouvrage consacré à un peintre, il serait facile de répondre que Diderot et Baudelaire, pour ne citer qu’eux, ont de longue date donné ses lettres de noblesse à la critique d’art, fut-ce en parlant d’artistes dont le nom ne survit que grâce à des écrivains.

On a dit de Mark Rothko (1903-1970) qu’il voulait rendre visible la shekina, la présence de Dieu qui se tenait dans le Saint des Saints du Temple. Rothko avait d’ailleurs été surnommé « le peintre-rabbin ». Cependant, il en va de lui comme de la plupart des peintres contemporains : des doutes sont permis quant à l’importance de son « coefficient personnel ».

La Tempête (The Tempest), William Shakespeare (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 27 Novembre 2024. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Théâtre, Les Belles Lettres

La Tempête (The Tempest), William Shakespeare, Les Belles-Lettres, 2023, nouvelle trad. Éric Sarner, édition bilingue de Florient Azoulay, Yan Brailowsky, 268 pages, 21,50 € . Ecrivain(s): William Shakespeare Edition: Les Belles Lettres

« Quoi de neuf ? – Shakespeare ! ». Derrière la formule facile pour journaliste en manque d’inspiration se cache une réalité profonde : la capacité de Shakespeare à s’adresser aux lecteurs de tous les pays et toutes les époques : Shakespeare for All Time, suivant le titre du beau livre de Stanley Wells, même s’il faut admettre qu’une partie de son théâtre (les pièces historiques) demeure peu lue hors d’Angleterre et même si, inexorablement, le temps fait son œuvre et éloigne la « culture » des Modernes de celle que déployait le dramaturge dans ses œuvres (on y reviendra).

Autant qu’on puisse le savoir avec certitude, La Tempête est probablement la dernière pièce qu’il écrivit seul, vers 1610-1611, avant son énigmatique retrait à Stratford. De manière curieuse, cette ultime pièce qui ne ressemble à aucune autre ouvre l’édition in-folio de son théâtre, publiée en 1623. De nombreuses théories, allant de la reconstruction à peu près vraisemblable au délire intégral, ont prétendu résoudre le « mystère » Shakespeare, si mystère il y a. Comme toute œuvre baroque, et au fond peut-être comme toute œuvre littéraire, La Tempête est à la fois la somme de plusieurs sources livresques et un ensemble qui dépasse cette somme :