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Roman

Une joie féroce, Sorj Chalandon (par Mélanie Talcott)

Ecrit par Mélanie Talcott , le Mardi, 10 Septembre 2019. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Grasset, La rentrée littéraire

Une joie féroce, août 2019, 320 pages, 20,90 € . Ecrivain(s): Sorj Chalandon Edition: Grasset

 

Tout le monde l’aime, Jeanne… Sauf moi… Bénéficierait-elle de l’empathie éblouie de la plupart, lecteurs et critiques de cette Joie féroce de Sorj Chalandon, si elle n’était pas atteinte d’un cancer du sein ? La réponse est non. Qu’elle soit libraire est accessoire… Car avant qu’il ne lui soit diagnostiqué, elle se contentait, entre facilité, égoïsme, lâcheté et résignation – la pathologie humaine la plus banale qui soit – d’une vie aussi plate qu’une autoroute. D’une rectitude parfaite, sans surprise et sans amour, aux côtés d’un mari insipide. Une vie dont l’issue fatale était sans doute celle d’une vieillesse pépère confite dans un ennui mortel. Elle subissait, elle se soumettait. Fripée, sans féminité, sans séduction et sans passion. La perte de son jeune fils en fut certes l’une des causes, mais cependant pas suffisante pour l’avoir réveillée à elle-même. Il lui faudra sa propre maladie, « son crabe », cette « écharde mortelle » qu’elle dédramatisera en le nommant « camélia » pour que, non sans quelques frilosités embourgeoisées, elle troque sa vie, contre une autre, émaillée de protocoles thérapeutiques, de peurs et de douleurs, vécus par des milliers d’anonymes sans qu’ils en fassent une Joie féroce.

Le Général a disparu, Georges-Marc Benamou (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 06 Septembre 2019. , dans Roman, Les Livres, La Une Livres, Grasset, La rentrée littéraire

Le Général a disparu, août 2019, 240 pages, 19 € . Ecrivain(s): Georges-Marc Benamou Edition: Grasset

 

« Il n’a pas fermé l’œil depuis dix jours ; et cela se lit sur ce masque dont les cernes semblent marquées au burin ; ces yeux rougis, enfoncés, minuscules qui accentuent le caractère éléphantesque de sa physionomie. Depuis les évènements, et son retour de Roumanie, il a passé toutes ses nuits en alerte, dans la pénombre du Salon doré, en robe de chambre où, faute d’un gouvernement capable, il tenait là, en solitaire, ses réunions d’état-major ».

Le Général a disparu est le roman d’un Pays et d’un Vieux militaire. Nous sommes en mai 1968, ce mois qui fait trembler le Général, un mois de barricades et de révoltes, un mois où les pavés dansent, et où le doute se glisse dans les pensées du Président. Il consulte, il écoute. Ils sont tous là, autour du Général : Louis Joxe – allure chic du grand serviteur de l’Etat – Messmer – un légionnaire pour la vie –, Fouchet – cette âme molle dans une enveloppe de rugbyman –, et lui De Gaulle. De plus en plus seul, s’isolant, et cherchant une solution pour sortir de cette crise, de cette révolution, pour en sortir enfin.

Gaeska, Eiríkur Örn Norðdahl (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 05 Septembre 2019. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays nordiques, Métailié, La rentrée littéraire

Gaeska, septembre 2019, trad. de l’Islandais, Éric Boury, 274 pages, 18 € . Ecrivain(s): Eiríkur Örn Norðdahl Edition: Métailié

 

Un livre inattendu, totalement déjanté dans sa forme, son style et son propos. Voilà de quoi animer cette rentrée littéraire. Les femmes tombent des immeubles et se fracassent sur les trottoirs, les députés se réunissent en session sous les cris des manifestants, les volcans d’Islande grondent et les tempêtes de sable s’abattent sur le pays. Il n’y a aucune limite à l’imagination de Eiríkur Örn Norðdahl, aucune limite à son humour, aucune limite à son insolence. Ce livre fait du bien.

A travers le Maelström délirant des phrases de l’auteur, se compose peu à peu un vaste tableau critique, virulent, de notre époque et de nos sociétés occidentales. De la classe politique à ses opposants, des conservateurs aux révolutionnaires, des vieux aux jeunes, des intellectuels aux prolétaires, personne n’échappe à la vindicte de Norddahl. Il épingle avec une égale jouissance le ridicule des acteurs sociaux, soulignant les comportements collectifs et individuels dans leur absurdité.

Embrasements, Kamila Shamsie (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Jeudi, 05 Septembre 2019. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Asie, Actes Sud, La rentrée littéraire

Embrasements, septembre 2019, trad. anglais (Pakistan) Éric Auzoux, 320 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): Kamila Shamsie Edition: Actes Sud

 

La réfutation

Embrasements, de l’anglo-pakistanaise Kamila Shamsie, débute sur une scène d’humiliation provoquée par un interrogatoire kafkaïen mené sans ménagement par des fonctionnaires anglais de l’immigration. La vie d’Isma, la protagoniste, est passée au crible, et le lecteur est averti d’emblée de la façon dont les Européens traitent ceux qu’ils désignent comme Arabes et musulmans (les questions posées par cette police sont par ailleurs d’une rare stupidité). Isolée aux États-Unis, c’est depuis l’ordinateur que la jeune femme reprend contact avec les siens. Le mode opératoire de correspondance se fait par « la fenêtre Skype ». Les remarques d’Isma se trouvent souvent en contradiction, entre réfutation et assentiment. Il est difficile de déterminer où débute la fiction et où commence le réel, ce qui corrobore à une sorte de récit-reportage, mi-inventé, mi-réaliste. Le ton est amer, parfois caustique. Par exemple, un idéal de beauté masculine est prôné par la locutrice, une « chevelure brune bien fournie, un teint bien clair ». La chevelure est chargée d’un pouvoir de séduction et d’exhibition de son intimité sexuelle, sous le poids d’un interdit (d’où le port du voile). Paradoxalement, la couleur noire, dans la symbolique des rêves en Islam, est le signe de la luxuriance, de la force ; en rêver est présage de bonheur.

Jour tranquille à Vézelay, Xavier Gardette (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 05 Septembre 2019. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Jour tranquille à Vézelay, La Chambre d’échos, avril 2019, 96 pages, 13 € . Ecrivain(s): Xavier Gardette

 

En une seule journée, on est en juin, à Vézelay, vœu de tous les touristes, et une dizaine de personnages s’entendent à se croiser, passent par le même cimetière, frôlent les mêmes pierres, s’interrogent tout doucement sur leur passé, sur leur avenir. Selon une logique imparable, chaque individu est très limité dans le nombre de rencontres vraies et durables qu’il pourra enregistrer sur une vie. L’art de Gardette est de nous faire croire que tout est possible et qu’il y a des impondérables, des situations aléatoires et tout le mystère avec.

Jour tranquille à Vézelay est une belle mécanique stylée de rencontres insolites dans un cadre d’été. Ce disciple d’Echenoz et de Toussaint aime jouer avec les possibilités narratives mais surtout une langue précise, très soignée, tient registre des secousses, des sensations, des sursauts d’émois et d’humeurs. Si une narration narquoise relate faits et gestes, l’humour n’est jamais loin ni le sarcasme ni l’âpre analyse psychologique.