Clemenceau disait qu’on ne ment jamais tant qu’avant les élections, pendant la guerre et après la chasse. Il aurait pu ajouter, s’il avait connu ce genre de tragédie : on ne ment jamais autant qu’avant, pendant et après une catastrophe nucléaire. Avant, en affirmant qu’elle ne risque pas de se produire ; pendant, en prétendant que la situation est sous contrôle, et après, en racontant que les retombées radioactives se sont sagement arrêtées aux frontières.
On aurait pu penser qu’une fois les populations évacuées, avec ce mélange d’héroïsme et d’impréparation caractéristique de l’ancienne Union soviétique (mais comment se préparer à un événement dont on refuse d’envisager l’irruption ?), la région de Tchernobyl demeurerait gaste terre, sinon pour l’éternité (notion qui a peu de sens dans notre monde sublunaire), au moins pour quelques siècles, le temps que s’estompent les patientes radiations. C’était sans compter l’appétit de lucre de certains voyagistes, ne demandant qu’à flatter l’impudeur, l’inconscience, l’absence de common decency, la bêtise d’idiots venus par milliers faire des selfies au milieu du monde d’après l’Apocalypse, dans cet état intermédiaire où l’humanité a déjà disparu mais où la nature n’a pas entièrement repris ses droits.