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Roman

L’aveuglement, José Saramago (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 28 Novembre 2019. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue portugaise, Points

L’aveuglement (Ensaio sobre a Cegueira), trad. portugais Geneviève Leibrich, 366 pages, 7,80 € . Ecrivain(s): José Saramago Edition: Points

 

Si vous cherchez un roman confortable, qui entre dans les codes du genre, passez votre chemin. Il est sans doute peu de livres aussi profondément dérangeants, qui suintent autant le malaise, le mal-être, que ce roman du premier Nobel lusophone de littérature. Le flux d’écriture, serpentant et serré, étreint le lecteur, le fascine jusqu’à l’hypnose. Saramago ne pratique pas vraiment la phrase longue, il invente plutôt une ponctuation inédite, préférant la virgule au point, mais une virgule suivie d’une majuscule. La scansion de la phrase est ainsi à la fois très nette et complètement fluide. On se laisse mener par ce rythme. Comme un aveugle par son chien.

« Vous avez peur d’être seul, voilà tout, des fois qu’un ogre, de ma connaissance, vous tomberait sur le paletot, Ça suffit, s’écria le médecin avec impatience, Hé, ho, petit docteur, gronda le voleur, dites-vous bien qu’ici nous sommes égaux, vous n’allez pas me donner d’ordre, Je ne vous donne pas d’ordre, je vous dis seulement de laisser cet homme en paix, D’accord, d’accord, mais il ne faut pas me chercher des poux dans la tête, la moutarde me monte vite au nez et je deviens méchant comme un âne rouge, je peux être bon garçon comme tout le monde mais je suis un ennemi qui ne fait pas de cadeaux ».

Braves gens du Purgatoire, Pierre Pelot (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 27 Novembre 2019. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Héloïse D'Ormesson

Pierre Pelot, Braves gens du Purgatoire, Paris, 2019, 508 pages, 22 €. Edition: Héloïse D'Ormesson

 

Le Purgatoire où vivent ces « braves gens », personnages du dernier roman (on reviendra sur cet adjectif) de Pierre Pelot n’est pas le lieu théologique, mais un village du massif vosgien, à flanc de montagne, non loin de l’Alsace et de la Haute-Saône ; en fait un lieu-dit de la commune du Thillot, près de Saint-Michel-sur-Moselle, où gîte l’écrivain. On se gardera bien entendu de faire de ce roman un ouvrage à clef.

Pour qui a lu le livre de Pierre Pelot (où l’influence de Giono est manifeste) en connaissant quelque peu le département des Vosges, le Purgatoire évoque des villages sinistres et sinistrés tels que Moussey ou Lépanges-sur-Vologne, théâtres de crimes effrayants et plus ou moins médiatisés. Un crime, précisément, s’est produit au Purgatoire : un couple de vieillards a été retrouvé dans sa maison, elle abattue d’un coup de fusil, lui pendu au bout d’un fil électrique, dans le grenier. La gendarmerie locale et les enquêteurs de la police judiciaire, venus de Nancy, concluent au « drame familial ».

Joris-Karl Huysmans Romans et nouvelles en la Pléiade - Les Sœurs Vatard (par Yann Suty)

Ecrit par Yann Suty , le Mardi, 26 Novembre 2019. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, La Pléiade Gallimard

Joris-Karl Huysmans Romans et nouvelles, septembre 2019, 1856 pages, 66 € jusqu’au 31/03/2020 . Ecrivain(s): Joris-Karl Huysmans Edition: La Pléiade Gallimard

 

Ce n’est pas parce qu’on est sœurs qu’on se ressemble. N’y a-t-il d’ailleurs rien de plus différent que deux sœurs ? Comme si l’une se construisait par rapport à l’autre ou que leurs parents essayaient de corriger avec la cadette ce qu’ils n’ont pas réussi avec la première. Les sœurs Vatard, Céline et Désirée, sont comme l’envers et l’endroit d’une même pièce, aussi bien en termes d’apparence physique que de caractère. L’une est blonde, l’autre brune. L’une est délurée et enchaîne les relations, alors que l’autre se montre bien plus sage et se préserve pour le mariage. Désirée est « une galopine de quinze ans, une brunette aux grands yeux affaiblis, pas très droits, grasse sans excès, avenante et propre, et Céline la gouailleuse*, une grande fille aux yeux clairs et aux cheveux couleur de paille, une solide gaillarde dont le sang fourmillait et dansait dans les veines, une grande mâtine** qui avait couru aux hommes, dès les premiers frissons de sa puberté » (*débauchée, **femme ardente). Elles travaillent dans un atelier de satinage et de couture pour le compte de la maison Débonnaire et Cie. Les deux sœurs ont toutefois un point commun : elles vivent mal leur situation. L’incapacité de Céline à se fixer durablement avec un homme la fait souffrir.

Deux manches et la Belle (Sans paroles, ni musique), Milt Gross (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 22 Novembre 2019. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, La Table Ronde, Albums, Bandes Dessinées

Deux manches et la Belle (Sans paroles, ni musique), Milt Gross, La Table ronde, octobre 2019, 288 pages, 28,50 € Edition: La Table Ronde

 

Le silence est d’or

L’auteur de Deux manches et la Belle (He Done Her Wrong), Milt Gross, né dans le Bronx en 1895, décédé en 1953, précurseur du roman graphique américain, a utilisé le yinglish (mélange de yiddish et d’anglais parlé par les immigrants juifs), dans ses livres et ses bandes dessinées. Il fut également gagman pour Charlie Chaplin. Deux manches et la Belle, pour le coup, est un roman graphique composé sans un mot, sans un phylactère. L’histoire commence de nuit dans un speakeasy de campagne, dans lequel sont mélangés quelques trappeurs, des hobos et des filles délurées. L’héroïne, la jeune blonde sentimentale, une sorte de petite starlette, convoitée de tous les hommes, apparaît au milieu de rires gras et de désirs à peine dissimulés. Sa plastique impeccable est celle des jolies filles sauvées par Charlot de la déchéance ou de la misère, ou bien celle de vendeuses de fleurs que le vagabond courtise naïvement.

Pedro Páramo, Juan Rulfo (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 21 Novembre 2019. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Amérique Latine, Folio (Gallimard)

Pedro Páramo (1955), trad. espagnol (Mexique) Gabriel Iaculli, 184 pages, 7,90 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Comme un ruban tressé, Juan Rulfo déroule une histoire à plusieurs voix venues des vivants et des morts, du passé et du présent, du réel et du fantasme. La virtuosité de ce roman est époustouflante : la complexité du récit est rendue d’une simplicité biblique par la maîtrise de Rulfo, sa capacité rare à rendre infiniment fluide une lecture qui joue sur les temps, les locuteurs, les lieux.

Peu importe qu’on nous annonce la mort de Pedro Páramo au début du récit, quand son fils oublié, Juan, arrive au village de Cómala. C’est bien lui le héros du roman, qui écrase de sa présence tyrannique son monde, morts et vivants, dans un même mépris, une même violence, une même cruauté. Il est la figure latine américaine du tyran local, sorte de seigneur qui règne par la richesse et la brutalité. Il est le frère littéraire des micro-dictateurs de Gabriel Garcia Marquez, Mario Vargas-Llosa, Miguel Ángel Asturias et bien d’autres. Sa haine de vivre, sa vision amère du monde est alimentée par le souvenir obsédant de la seule femme qu’il a vraiment aimée, Susana San Juan. Sa mort, décortiquée dans le moindre moment de l’agonie, hante Pedro, ses jours et ses nuits, ses crimes et ses délires.