Si vous cherchez un roman confortable, qui entre dans les codes du genre, passez votre chemin. Il est sans doute peu de livres aussi profondément dérangeants, qui suintent autant le malaise, le mal-être, que ce roman du premier Nobel lusophone de littérature. Le flux d’écriture, serpentant et serré, étreint le lecteur, le fascine jusqu’à l’hypnose. Saramago ne pratique pas vraiment la phrase longue, il invente plutôt une ponctuation inédite, préférant la virgule au point, mais une virgule suivie d’une majuscule. La scansion de la phrase est ainsi à la fois très nette et complètement fluide. On se laisse mener par ce rythme. Comme un aveugle par son chien.
« Vous avez peur d’être seul, voilà tout, des fois qu’un ogre, de ma connaissance, vous tomberait sur le paletot, Ça suffit, s’écria le médecin avec impatience, Hé, ho, petit docteur, gronda le voleur, dites-vous bien qu’ici nous sommes égaux, vous n’allez pas me donner d’ordre, Je ne vous donne pas d’ordre, je vous dis seulement de laisser cet homme en paix, D’accord, d’accord, mais il ne faut pas me chercher des poux dans la tête, la moutarde me monte vite au nez et je deviens méchant comme un âne rouge, je peux être bon garçon comme tout le monde mais je suis un ennemi qui ne fait pas de cadeaux ».