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Roman

Deux manches et la Belle (Sans paroles, ni musique), Milt Gross (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 22 Novembre 2019. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, La Table Ronde, Albums, Bandes Dessinées

Deux manches et la Belle (Sans paroles, ni musique), Milt Gross, La Table ronde, octobre 2019, 288 pages, 28,50 € Edition: La Table Ronde

 

Le silence est d’or

L’auteur de Deux manches et la Belle (He Done Her Wrong), Milt Gross, né dans le Bronx en 1895, décédé en 1953, précurseur du roman graphique américain, a utilisé le yinglish (mélange de yiddish et d’anglais parlé par les immigrants juifs), dans ses livres et ses bandes dessinées. Il fut également gagman pour Charlie Chaplin. Deux manches et la Belle, pour le coup, est un roman graphique composé sans un mot, sans un phylactère. L’histoire commence de nuit dans un speakeasy de campagne, dans lequel sont mélangés quelques trappeurs, des hobos et des filles délurées. L’héroïne, la jeune blonde sentimentale, une sorte de petite starlette, convoitée de tous les hommes, apparaît au milieu de rires gras et de désirs à peine dissimulés. Sa plastique impeccable est celle des jolies filles sauvées par Charlot de la déchéance ou de la misère, ou bien celle de vendeuses de fleurs que le vagabond courtise naïvement.

Pedro Páramo, Juan Rulfo (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 21 Novembre 2019. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Amérique Latine, Folio (Gallimard)

Pedro Páramo (1955), trad. espagnol (Mexique) Gabriel Iaculli, 184 pages, 7,90 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Comme un ruban tressé, Juan Rulfo déroule une histoire à plusieurs voix venues des vivants et des morts, du passé et du présent, du réel et du fantasme. La virtuosité de ce roman est époustouflante : la complexité du récit est rendue d’une simplicité biblique par la maîtrise de Rulfo, sa capacité rare à rendre infiniment fluide une lecture qui joue sur les temps, les locuteurs, les lieux.

Peu importe qu’on nous annonce la mort de Pedro Páramo au début du récit, quand son fils oublié, Juan, arrive au village de Cómala. C’est bien lui le héros du roman, qui écrase de sa présence tyrannique son monde, morts et vivants, dans un même mépris, une même violence, une même cruauté. Il est la figure latine américaine du tyran local, sorte de seigneur qui règne par la richesse et la brutalité. Il est le frère littéraire des micro-dictateurs de Gabriel Garcia Marquez, Mario Vargas-Llosa, Miguel Ángel Asturias et bien d’autres. Sa haine de vivre, sa vision amère du monde est alimentée par le souvenir obsédant de la seule femme qu’il a vraiment aimée, Susana San Juan. Sa mort, décortiquée dans le moindre moment de l’agonie, hante Pedro, ses jours et ses nuits, ses crimes et ses délires.

Un monstre et un chaos, Hubert Haddad (par Mona)

Ecrit par Mona , le Mardi, 19 Novembre 2019. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Zulma

Un monstre et un chaos, août 2019, 368 pages, 20 € . Ecrivain(s): Hubert Haddad Edition: Zulma

 

Une belle leçon d’humanité

Hubert Haddad nous conte une « histoire pleine de bruit et de fureur », pas juste celle du monde juif mais celle d’une humanité tout entière qui a sombré. Le monstre et le chaos du titre nous plongent dans la transgression des normes humaines, « folle mécanique sans contour », et le un, déterminant indéfini, souligne la valeur générale de cette « monstruosité sans faille bientôt universelle ».

L’auteur joue habilement avec le double registre du réel et du fantastique auquel appartient le monstre. Il ressuscite le shtetl défunt et fait revivre le deuxième plus grand ghetto de Pologne, le ghetto de Lodz appelé Litzmannstadt par les nazis, transformé en énorme centre industriel sous le règne corrompu du « roi Chaim », le doyen Rumkovski. Cet homme au passé humanitaire pourtant irréprochable a prononcé le discours monstrueux « donnez-moi vos enfants », retranscrit par l’auteur. Appel terrifiant à la population juive pour livrer 20.000 enfants aux monstres du Reich dans la folle illusion d’assurer la survie des autres.

Nous étions nés pour être heureux, Lionel Duroy (par Arnaud Genon)

Ecrit par Arnaud Genon , le Mardi, 19 Novembre 2019. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Julliard

Nous étions nés pour être heureux, août 2019, 240 pages, 20 € . Ecrivain(s): Lionel Duroy Edition: Julliard

Il y a trente ans, en 1990, Lionel Duroy publiait Priez pour nous (éd. Bernard Barrault, 1990, réédité chez J’ai lu en 2011), son premier roman autobiographique. Il y relatait son enfance chaotique, entouré de ses neuf frères et sœurs qui subirent, à ses côtés, la tyrannie maladive de leur mère (qui n’est pas sans rappeler la Folcoche d’Hervé Bazin) et les maladroites tentatives de leur père, « Toto », de sortir la famille de ses multiples déboires. L’écriture de ce livre fut pour lui salvateur. « J’ai organisé ma vie autour de l’écriture de mes livres, déclare Paul, le personnage principal de Nous étions nés pour être heureux, je peux dire aujourd’hui que je suis fait de mes livres, qu’ils m’ont construit, qu’ils m’ont sauvé ». Il mit des mots sur ce qu’il lui était arrivé, il tenta de comprendre le désastre de cette enfance qui lui avait été volée. Mais s’en sortir eut un prix. Ses frères et sœurs, qui avaient pourtant subi les mêmes violences, se désolidarisèrent de lui et l’accusèrent d’être indirectement responsable de la mort de ses parents qui ne supportèrent pas de voir ainsi étalé ce qu’ils avaient tenté, toute leur vie durant, de dissimuler. Ils coupèrent les ponts lui reprochant notamment son égoïsme et d’avoir ainsi dévoilé la honte familiale qui aurait dû, selon eux, rester silencieuse. Même ses enfants n’eurent plus le droit de voir leurs cousins et grandirent dans la conscience de l’hostilité de leurs oncles et tantes.

Encre sympathique, Patrick Modiano (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Lundi, 18 Novembre 2019. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard

Encre sympathique, octobre 2019, 138 pages, 16 € . Ecrivain(s): Patrick Modiano Edition: Gallimard

 

« Si vous avez parfois des trous de mémoire, tous les détails de votre vie sont écrits quelque part à l’encre sympathique ».

 

Modiano, qui a fondé son œuvre sur la mémoire, ses béances et ses obsessions, est-il bien sérieux lorsqu’il fait dire à son narrateur : « Il avait employé le passé. Et, brusquement, j’ai éprouvé une grande lassitude à évoquer le passé et ses mystères » ?

À moins qu’il n’adresse un clin d’œil à ses lecteurs fidèles pour souligner l’originalité de cette Encre sympathique. Car s’y déploie crescendo une légèreté qui ronronne d’abord dans les rues d’un Paris aux trottoirs presque usés par les pas de tous ses héros précédents, jusqu’à la surprise finale, à Rome. Car si Rome est la ville éternelle que Paris n’est pas, c’est qu’elle constitue un décor dans lequel passé et présent se confondent, comme dans l’esprit du narrateur : « Le présent et le passé se mêlent l’un à l’autre dans une sorte de transparence, et chaque instant que j’ai vécu dans ma jeunesse m’apparaît, détaché de tout, dans un présent éternel ».