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Roman

Les Fantômes de Théodore, Martine Rouhart (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Jeudi, 19 Mars 2020. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Les Fantômes de Théodore, éditions Murmure des soirs, mars 2020, 118 pages, 16 € . Ecrivain(s): Martine Rouhart

 

D’emblée le roman nous propose, et dès les premières pages, une ambiance progressive digne des grands maîtres du suspense.

Dans cette réalité pensée sans cesse en trois dimensions, comme souvent au théâtre ou au cinéma, la géométrie de l’instant arpente un décor construit autour d’une idée principale : Théodore a disparu.

« Ah non, le vide ce n’est pas rien, c’est bien plus vertigineux. Sa parka n’était pas accrochée au porte-manteau. Ses pantoufles, abandonnées sur le paillasson m’ont bêtement serré la gorge ».

La façon de penser les personnages oblitère le temps et l’espace d’une façon originale et inhabituelle dans ce roman conçu comme une sorte de « script-journal » où les protagonistes semblent se regarder jouer leurs propres intrigues, l’auteur agissant depuis l’extérieur en endossant la psychologie de chaque individualité à tour de rôle, ce qui demande une maîtrise absolue dans l’évocation des sensibilités évoquées suivant leur caractère et le contexte.

Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas, Imre Kertész (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 18 Mars 2020. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays de l'Est, Babel (Actes Sud)

Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas, trad. hongrois, Natalia Zaremba-Huzsvai, Charles Zaremba, 142 pages, 6,60 € . Ecrivain(s): Imre Kertész Edition: Babel (Actes Sud)

Chaque livre d’Imre Kertész est un livre important, essentiel. On le sait bien sûr pour son Être sans destin, témoignage incroyable sur Auschwitz, regard radical et inattendu sur la plus vaste horreur que le monde ait produite dans les temps des temps. Ce Kaddish – qui en est vraiment un – ne fait pas exception. Le Kaddish c’est la prière que l’on fait pour les morts chez les Juifs. C’est une prière de peine et de renoncement aux vanités du monde. Ce livre – comment pourrait-on l’appeler roman ? – est complètement, définitivement un Kaddish : dans son propos et dans sa forme.

Yitgaddal vèyitqaddsh sh’meh rabba

Bè’alma di vèra khir’outeh

Vèyamlikh malkhouteh

Veytzmakh pourqaneh

Viqarev meshi’heh …

Trois réputations, Jérémie Gindre (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Mercredi, 18 Mars 2020. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Zoe

Trois réputations, Jérémie Gindre, janvier 2020, 128 pages, 15 € Edition: Zoe

 

L’illustration de couverture, signée Simon Roussin, nous révèle un aspect fondamental du livre : la place qu’y tient la nature. Ses couleurs lumineuses s’accordent même au caractère fantasque, éclaté, à la fois réjouissant et étrange, de ces trois destins qui nous sont narrés, définitivement hors norme.

D’une certaine façon, le lien avec la nature, dont notre époque nous fait valoir l’importance et le retour, Jeannie Plantier, Epke Janssen et Bill Ronson le possèdent mieux que quiconque. Paradoxalement, c’est parce qu’ils ont appris et connaissent cette connivence privilégiée avec les espaces naturels qu’ils sont parmi les plus éloignés de leurs semblables – le rapprochement avec la terre rendrait-il moins humain ?

C’est une des réflexions que l’on peut se faire à la lecture de Trois réputations de Jérémie Gindre, dont l’humour, et même la causticité à certains moments, n’a d’égal que la fantaisie et l’austérité de ses trois protagonistes.

Terre brûlée, Paula Vézac (par Christelle Brocard)

, le Lundi, 16 Mars 2020. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Le Rouergue

Terre brûlée, Paula Vézac, janvier 2020, 208 pages, 18,80 € Edition: Le Rouergue

 

La narratrice et auteure (elle insère de vraies photos de famille dans son récit) revient sur le décès accidentel de sa mère. Elle s’effondre, pleure à chaudes larmes, sans retenue ni pudeur. La douleur abyssale de la perte motive, à elle seule, la prostration et l’anéantissement. Mais très vite, on comprend que sa souffrance ne relève pas seulement du manque et de l’absence de l’être cher, irremplaçable, mais plus encore, d’un sentiment de culpabilité qui, de longue date, a sapé les fondements de l’amour filial. Assurément, la femme handicapée de soixante-et-un an, retrouvée morte asphyxiée dans son appartement, fut une très mauvaise mère : prostituée, alcoolique, droguée et souffrant de troubles mentaux, elle n’a pas pu, durant sa vie, offrir un cadre de vie décente et bienveillante à sa fille unique. Cette dernière, en toute légitimité, s’est donc non seulement éloignée de la toxicité maternelle mais a développé un sentiment de vive rancœur et même de haine à l’égard de celle qui n’a jamais su la protéger de sa violence résiduelle, à la fois physique et psychologique.

La Petite apocalypse, Tadeusz Konwicki (par Yann Suty)

Ecrit par Yann Suty , le Vendredi, 13 Mars 2020. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays de l'Est, Editions du Typhon

La Petite apocalypse (Mala apokalipsa, 1979), Tadeusz Konwicki, février 2020, trad. polonais, Zofia Bobowicz, 328 pages, 18,90 € Edition: Editions du Typhon

 

Quand on boit beaucoup, c’est souvent le lendemain que c’est le plus difficile. « Une cigarette à jeun n’arrange certainement pas la santé, mais cent grammes de vodka par-dessus, c’est la mort certaine. Après tout, ce ne serait pas plus mal » (p.33). Le narrateur est en pleine déprime, il fume cigarette sur cigarette, boit de l’alcool plus que de raison. D’ailleurs, le matin où l’on fait sa rencontre, il se réveille avec une sévère gueule de bois. Il est aussi écrivain qui a eu un jour du succès, mais ça fait un moment qu’il n’a pas écrit une seule ligne. Ce matin-là, il n’a pas le temps de récupérer ses esprits que deux de ses amis viennent chez lui. Ils lui font une étrange proposition. Ce n’est d’ailleurs pas tout à fait une proposition, mais plutôt un commandement : « Que ce soir, à huit heures précises, tu te fasses brûler vif devant le comité central du Parti ».

Le narrateur est d’abord un peu incrédule, mais se laisse très (trop ?) vite convaincre. Son spectaculaire sacrifice pourra contribuer à saper le régime, expliquent ses comparses. Et pas n’importe quel régime, mais le régime communiste polonais, sous domination soviétique, quelques années avant la montée en puissance de Solidarnosc.