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Roman

Les clairvoyantes, Kaye Gibbons (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 09 Juin 2020. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Christian Bourgois

Les clairvoyantes (Divining Women, 2004), Kaye Gibbons, trad. américain, Mona de Pracontal, 256 pages, 19,95 € Edition: Christian Bourgois

 

Et là, assez inattendu tant par l’histoire que par le style, émerge un précieux petit roman qu’on pourrait croire droit sorti de l’époque victorienne ou du Sud gothique, mais qui en fait a été écrit en 2004 par une auteure américaine encore méconnue aujourd’hui et pourtant à la tête d’une œuvre conséquente, débutée en 1987 (elle avait alors 27 ans) par un superbe roman, Ellen Foster. Il faut dire que Kaye Gibbons est sudiste, née en Caroline du Nord. Elle est imprégnée du style de ses prédécesseurs illustres, Margaret Mitchell ou Eudora Welty. Elle nourrit aussi son travail de la lecture des sœurs Brontë ou de Thomas Hardy. Dans sa préface, Kaye Gibbons cite d’ailleurs Eudora Welty – à sa demande même – d’une manière particulièrement spirituelle et poignante :

« Je pense à Eudora Welty, qui m’a récité un poème tiré de ses souvenirs de l’impact de la grande épidémie de grippe de 1918 sur sa ville et sa famille. Elle m’a dit : « Le voici : “j’avais un petit oiseau, il s’appelait Inza. J’ai ouvert la fenêtre, et in-flew-Inza*. Tu devrais t’en servir dans ton livre. C’est comme ça qu’ils aidaient à expliquer aux petits enfants ce qu’est la mort. Vois-tu, il y en avait tant” ».

Cow-Boy, Jean-Michel Espitallier (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 05 Juin 2020. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Inculte

Cow-Boy, Jean-Michel Espitallier, janvier 2020, 132 pages, 15,90 € Edition: Inculte

 

« Il y a trop à regarder, à apprendre, à explorer, il y a trop à faire, ici. Il y a trop à vivre. Avec tout ça, pas une minute à soi pour rêvasser. De toute façon, les hommes qui s’occupent des vaches sont rarement de la catégorie des rêveurs, sauf dans les livres où il est question d’hommes qui s’occupent des vaches ».

Cow-Boy est le roman de ce regard, de cet apprentissage, de l’exploration du Nouveau Monde par Eugène, le grand-père de l’écrivain, parti aux Amériques avec son frère Louis, au début des années 1900. Des Alpes à la Californie, Eugène le Cow-Boy devient le héros du roman de son petit-fils. Jean-Michel Espitallier savait peu de choses d’Eugène, de son voyage, de son arrivée là-bas, de son travail avec les vaches, de sa vie, et de son retour tout aussi énigmatique. De tout cela, il a fait un roman éblouissant, qui donne vie à ce grand-père des ranches et des plaines.

Nos corps érodés, Valérie Cibot (par Yann Suty)

Ecrit par Yann Suty , le Jeudi, 04 Juin 2020. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Inculte

Nos corps érodés, mars 2020, 124 pages, 14,90 € . Ecrivain(s): Valérie Cibot Edition: Inculte

 

Les Anciens ne voulaient pas non plus y croire. Dans la mythologie grecque, Cassandre avait hérité d’Apollon le don de voir l’avenir. Mais comme elle n’avait pas cédé à ses avances, il avait jeté sur elle une malédiction : ses prédictions ne seraient jamais crues, y compris par les membres de sa famille. Le deuxième roman de Valérie Cibot, Nos corps érodés, peut apparaître comme une variation sur ce mythe de Cassandre, avec l’histoire de Mona qui revient dans l’île où elle a grandi, là où avait été installé le Mur de l’Atlantique lors de la deuxième guerre mondiale. Elle s’installe dans la maison de sa grand-mère, décédée il y a peu.

Le don de Mona, ce sont ses connaissances en géologie, grâce auxquelles elle a obtenu un poste à la mairie. « Si je n’avais pas été géologue, spécialiste de l’érosion, je ne serais pas revenue ». A peine arrivée, elle va tout de suite pouvoir appliquer son savoir à la pratique. Elle se rend compte en effet que l’océan s’est beaucoup trop rapproché. « Si nous ne réagissons pas, ce qui nous attend c’est l’exil ». « Rien n’est encore survenu, mais très vite il sera trop tard ».

Vies minuscules, Pierre Michon (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 03 Juin 2020. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Folio (Gallimard)

Vies minuscules, Pierre Michon (1984), 249 pages Edition: Folio (Gallimard)

On peut facilement imaginer que Pierre Michon, en choisissant le titre de cet ouvrage, dût avoir un sourire amusé au fond des yeux. Un fin latiniste comme lui n’a pu résister au plaisir malin de « répondre » au fameux « De Viris Illustribus (Urbis Romae) » qui a accompagné les années de lycée de bon nombre de latinistes en herbe. On peut aussi évoquer d’autres « Vies » – ce fut un genre littéraire à part entière autrefois – Vies des douze Césars de Suétone par exemple. Toujours des vies notoires. Les vies minuscules évoquées ici n’ont rien d’illustre ou de lumineux, elles sont ombreuses comme la Creuse, mais n’en sont pas moins nobles et finalement souvent aventureuses, étonnantes, étranges.

La Creuse. Omniprésente dans cette galerie de portraits, encadrement de ces personnages infimes qui y sont nés, y ont vécu et y sont morts. La Creuse d’ombre et de lumière, de froid et de chaleur, avec ses hivers longs, rigoureux, déprimants et ses étés brefs mais brûlants, chantants, joyeux. Pierre Michon est ancré dans un territoire dont les habitants, naguère, réduisaient à l’envi l’étendue, lui donnant des limites familières au-delà desquelles commençait l’inconnu, le « pays barbare au-delà de Limoges ».

Watership Down, Richard Adams (par Ivanne Rialland)

Ecrit par Ivanne Rialland , le Mardi, 02 Juin 2020. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Monsieur Toussaint Louverture

Watership Down, Richard Adams, juin 2020, trad. anglais Pierre Clinquart, 544 pages, 12,50 € Edition: Monsieur Toussaint Louverture

 

Le roman de Richard Adams, revêtu par Monsieur Toussaint Louverture pour cette réédition d’une élégante jaquette métallisée verte et blanche, s’ouvre sur une carte de Watership Down qui donne d’emblée le ton : c’est une épopée au ras de l’herbe que nous proposent les aventures des lapins Fyveer, Hazel et Bigwig – pour ne citer que les plus marquants de ces personnages aux longues oreilles. Cette carte – qui évoque les codes de l’heroic fantasy –, les citations empruntées à Eschyle, Tennyson, à la Bible, à l’épopée de Gilgamesh pourraient suggérer un contraste plaisant entre les grandes orgues épiques qu’elles convoquent et les exploits de ces petits héros en fourrure. Mais ce serait sans aucun doute mal lire le roman de Richard Adams qui, par-là, nous indique au contraire la juste réception de ces aventures vécues au travers des champs et des prés : les lapins de Watership Down, pas plus que les elfes et les nains de Tolkien, ne doivent être cantonnés au domaine de la littérature enfantine. Ils appartiennent à un espace imaginaire qu’adultes et enfants peuvent pleinement partager. C’est dire aussi qu’il ne s’agit pas d’abord de chercher dans ce roman la satire, ou d’y voir le voile d’une fable politique – même si de politique il est bien question dans Watership Down : les personnages, le monde décrit, les obstacles rencontrés y ont une richesse et une saveur qui n’exigent pas l’adjuvant de l’interprétation pour les goûter.