Point trace de nostalgie chez Joseph Roth. Son œuvre romanesque, essentiellement nourrie de la fin programmée de l’Autriche et de la Mitteleuropa, est plus souvent un constat accablant de la chute de ce qui avait fait de son pays le centre de l’intelligence et de la créativité européenne. On est loin de la nostalgie naïve de Stefan Zweig. Roth écrit au scalpel.
Dans le Berlin grondant du début de la montée du nazisme – on est en 1922 – un Berlin dévoré par les démons qui vont bientôt l’emporter vers le cataclysme universel, Joseph Roth situe un roman aux accents du désespoir qui s’apprêtait à saisir l’Europe.
Le héros – jamais terme ne colla plus mal à un personnage – Theodor Lohse, est un profond minable animé d’une ambition démesurée. Ancien petit officier de l’armée, il s’introduit pas à pas, à la suite de rencontres flatteuses, dans les réseaux glauques d’une ville gangrénée par les cercles, les sectes, les groupuscules de toutes obédiences, plus douteuses les unes que les autres. Il faudrait imaginer un Julien Sorel pataugeant dans les cloaques idéologiques et moraux de l’Allemagne en nazification. L’abandon de toute morale, de toute référence à des valeurs, au bien et au mal, est condensé dans ce personnage capable de tout, trahir, changer d’avis, n’adhérer à aucun code, assassiner ceux qu’il considère à un moment comme gênants pour sa carrière, sa soif de gloire.