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Roman

Fille, Camille Laurens (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Mardi, 18 Août 2020. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard

Fille, mars 2020, 240 pages, 19,50 € . Ecrivain(s): Camille Laurens Edition: Gallimard

 

Camille Laurens se livre ici à l’exercice ardu de l’œuvre autobiographique, dans sa version récit d’enfance et de jeunesse, exercice ardu parce que le texte doit être – ou apparaître – à la fois sincère et pas ennuyeux. L’équation est réussie, grâce au style si personnel de l’auteure, à la structure du livre et au mode d’énonciation choisi.

Ainsi, le roman est constitué de trois parties correspondant aux trois âges de la vie de la narratrice : Laurence-fille (la plus longue) ; Laurence-femme (la plus courte) ; Laurence-mère, suivie d’un court épilogue. Trois voix énonciatives s’entremêlent : le « je » de l’autobiographie, le « elle » de la narration, le « tu » de la complicité et de la confidence. « Tu nais d’un mot comme d’une rose, tu éclos sous la langue » ; « Enfin, elle a ses règles, presque un an après tout le monde » ; « Je me regarde dans le miroir de la salle de bains, les cheveux mouillés, sans maquillage, je ressemble de plus en plus à mon père ». Le roman commence et se termine avec le « tu », l’adresse directe au « moi » qui parcourt les pages : « Tu cherches à comprendre mais tu ne sais pas quoi ».

Le Temps et le fleuve, Thomas Wolfe (par Yann Suty)

Ecrit par Yann Suty , le Vendredi, 10 Juillet 2020. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, L'Âge d'Homme

Le Temps et le fleuve (1935), trad. USA Camille Laurent, 782 pages . Ecrivain(s): Thomas Wolfe Edition: L'Âge d'Homme

 

Ce livre est un fleuve, un fleuve en crue qui déborde de partout. Pendant près de 800 pages, son cours ne s’interrompt jamais et la pression du courant ne se relâche pas sur le lecteur. Thomas Wolfe donne l’impression que c’est lui-même qui n’est pas capable d’endiguer le flot de mots qui le submerge. Et pourtant quelle maîtrise. Il déverse des longues phrases, comme s’il voulait rendre compte du réel dans ses moindres détails. Chaque rencontre avec un personnage est le prétexte à dresser un portrait qui s’étend sur trois, quatre, cinq pages, voire plus. Et quels personnages ! A l’instar de ce père tailleur de pierres atteint d’un cancer, mais qui ne meurt pas, ou du truculent oncle, un prédicateur, qui est aussi érudit qu’il a l’air fou.

Tous les lieux sont décrits avec minutie, comme s’il fallait les assécher, qu’il n’existe plus aucune autre possibilité de les saisir. On en fait un tour si complet qu’il ne reste plus rien à dire. On sait tout, on visualise tout, sous tous les angles possibles. De même, une conversation peut s’étendre sur des pages et des pages, comme s’il fallait rapporter tout ce qui a été échangé.

L’usurpateur, Jørn Lier Horst (par Jean-Jacques Bretou)

Ecrit par Jean-Jacques Bretou , le Vendredi, 10 Juillet 2020. , dans Roman, Les Livres, Critiques, Polars, La Une Livres, Pays nordiques, Folio (Gallimard)

L’usurpateur, Jørn Lier Horst, février 2020, trad. norvégien, Céline Roman-Monnier, 346 pages, 8,49 € Edition: Folio (Gallimard)

 

À l’approche de noël, William Wisting, le commissaire de police de Larvik, et son équipe (Espen Mortensen (police scientifique), Nils Hammer, Torunn Borg, Benjamin Fjeld, Christine Thiis (substitut du procureur), se retrouvent à enquêter sur deux morts découverts dans la petite ville de Stavern au sud-est de la Norvège. Ces deux personnes sont décédées depuis quatre mois. L’une, Viggo Hansen, qui habitait à deux pas de la maison de Wisting est retrouvée momifiée, la peau desséchée, chez elle devant sa télévision allumée. L’autre en cours de décomposition, à moitié dévorée, gisait près du Lac Farris dans une sapinière où elle a été trouvée par des personnes venant couper un sapin pour noël.

Line, la fille de Wisting, journaliste, est très émue par le sort de la première personne, morte dans la solitude oubliée du voisinage, à quelques maisons de chez elle, et décide de faire une enquête à connotation sociologique sur les personnes seules, pour le quotidien VG (Verdens Gang).

La Fin de Bartleby, Thierry Bouchard (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 09 Juillet 2020. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres

La Fin de Bartleby, Thierry Bouchard, Éditions Fario, février 2020, 147 pages, 16 €

 

« Je recopiais avec une intense application, une patience on ne peut plus active, une précision scrupuleuse des passages de mes lectures dans de grands carnets de notes couverts, bien entendu, de moleskine noire, comme s’il me fallait ensuite les collationner avec d’autres versions du même texte » (La Fin de Bartleby).

La Fin de Bartleby prouve, s’il en était besoin, que Bartleby de Herman Melville continue d’inspirer, d’aspirer, comme Moby Dick, lecteurs et écrivains. Dans cet étrange roman à la langue précise et volage, le narrateur vit en lecteur et en écrivain, sans contraintes et sans entraves, dans le calme, le silence et la solitude, sa zone de confort. Contrairement au scribe Bartleby, il lit beaucoup, entouré de livres protégés des offenses du temps, par du papier cristal – Ils bruissaient quand je les ouvrais avant de parler leur propre langue…

En un monde parfait, Laura Kasischke (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Jeudi, 09 Juillet 2020. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Folio (Gallimard)

En un monde parfait, Laura Kasischke, février 2020, trad. anglais (Etats-Unis) Eric Chédaille, 384 pages, 5,30 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Quelle étrange faculté de prémonition ont les écrivains, créateurs de mondes fictifs qui parfois anticipent une réalité à venir ! Laura Kasischke dépeint dans ce roman une Amérique dans laquelle « Personne n’avait jamais encore prononcé le mot d’épidémie, ni celui de pandémie. Nul ne parlait de calamité ». L’épisode de la contamination par le sars-cov2 ou covid-19 semble répondre en écho à une partie de ce récit paru en langue anglaise en 2009, et récemment traduit et publié par Gallimard, dans la collection Folio, début 2020.

Qui sont les insidieux ennemis de Jiselle, dans le monde parfait de son récent mariage avec Mark Dorn ? Certes, les trois enfants de son mari, au début du roman, lui mènent la vie dure, mais peu à peu, au fil de l’absence de Mark, ceux-ci deviennent plutôt des alliés, des adjuvants, tandis que Mark se change en opposant, froid et lointain, avant de s’estomper et de sombrer dans l’oubli. Chez Kasischke, les faits prennent un sens symbolique : on apprend que la première épouse de Mark, Joy, mère et épouse parfaites, est morte renversée par l’autocar dont elle voulait sauver son fils de la collision. Elle incarne le sacrifice maternel ; Jiselle va-t-elle subir son ascendant, son emprise ?