Fille, Camille Laurens (par Sylvie Ferrando)
Fille, mars 2020, 240 pages, 19,50 €
Ecrivain(s): Camille Laurens Edition: Gallimard
Camille Laurens se livre ici à l’exercice ardu de l’œuvre autobiographique, dans sa version récit d’enfance et de jeunesse, exercice ardu parce que le texte doit être – ou apparaître – à la fois sincère et pas ennuyeux. L’équation est réussie, grâce au style si personnel de l’auteure, à la structure du livre et au mode d’énonciation choisi.
Ainsi, le roman est constitué de trois parties correspondant aux trois âges de la vie de la narratrice : Laurence-fille (la plus longue) ; Laurence-femme (la plus courte) ; Laurence-mère, suivie d’un court épilogue. Trois voix énonciatives s’entremêlent : le « je » de l’autobiographie, le « elle » de la narration, le « tu » de la complicité et de la confidence. « Tu nais d’un mot comme d’une rose, tu éclos sous la langue » ; « Enfin, elle a ses règles, presque un an après tout le monde » ; « Je me regarde dans le miroir de la salle de bains, les cheveux mouillés, sans maquillage, je ressemble de plus en plus à mon père ». Le roman commence et se termine avec le « tu », l’adresse directe au « moi » qui parcourt les pages : « Tu cherches à comprendre mais tu ne sais pas quoi ».
Comme toujours chez Camille Laurens, mais davantage encore dans ce récit de vie, les noms propres et les expressions font sens, le patronyme Barraqué porté par Laurence (Laurens) fait écho à la déception du père qui espérait un fils, et au surnom « Groc » (= Gros Cul) donné à l’héroïne par la peu charitable sœur aînée, Claude, au prénom épicène ou androgyne ; Tristan, l’aimé, le nouveau-né si tôt disparu, qui marque de son empreinte la famille que fonde à son tour Laurence – Christian, l’époux absent, Alice, la fille, celle qui « a envie », qui « est en-vie ».
On trouve beaucoup d’humour – voire d’ironie – dans ce travail d’exhumation du souvenir d’enfance, d’adolescence et de jeunesse, comme si l’auteure/narratrice se moquait perpétuellement d’elle-même, dans une forme d’auto-dérision, comme si elle souhaitait maintenir une certaine distance, une sorte de dignité dans des situations qui relèvent parfois du grotesque ou du ridicule : « Heureusement, ma sœur a des lumières plus sûres, elle a seize ans ». D’autres fois, on verse dans l’émotion pure et on ressent une grande tendresse pour les personnages, en particulier envers le père, Matthieu, le fils, Tristan, la fille, Alice : « Papa nous emmène l’une après l’autre, ma sœur et moi, jamais ensemble ».
Voici un livre qui serait comme un premier – ou un nouveau – testament de Camille, mais aussi un hymne à l’enfance et à la maternité.
Sylvie Ferrando
Camille Laurens, née en 1957, a publié une quinzaine de livres (romans, récits, essais). Agrégée de lettres modernes, elle a enseigné à Rouen, puis au Maroc, où elle a vécu douze ans. Depuis septembre 2011, elle enseigne à l’Institut d’Études Politiques de Paris. Elle a notamment publié en 2000 Dans ces bras-là, roman pour lequel elle obtient le prix Femina et le prix Renaudot des lycéens. Son essai, La petite danseuse de 14 ans (2017), reçoit le prix David de l’expertise et le prix Eve-Delacroix de l’Académie Française en 2018. En 2019, Celle que vous croyez, roman paru en 2016, est adapté à l’écran par Safy Nebbou avec Juliette Binoche dans le rôle principal. Elle est membre de l’Académie Goncourt depuis le 11 février 2020.
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