Régression, Fabrice Papillon (par Patryck Froissart)
Régression, Fabrice Papillon, octobre 2019, 455 pages, 20,90 €
Edition: BelfondC’est pure coïncidence évidemment si ce gros roman qui met en scène une forme originale de possible fin du monde, publié en octobre 2019, m’a été envoyé par l’éditeur peu avant le déclenchement de la pandémie due au Covid-19.
Rien à voir donc avec la triste actualité, simple hasard éditorial.
Toujours est-il que l’ambiance générale inquiétante de ce printemps 2020 résonne étrangement à la lecture de ce récit d’apocalypse dont l’avant-dernier épisode est daté… le 25 février 2020, soit 4 ou 5 mois après la publication du livre. Bon ! N’allons pas croire à la prémonition ! Mais la concomitance devait être signalée.
L’histoire commence en 36483 avant notre ère avec le meurtre, au fond d’une caverne, des derniers représentants d’une espèce humaine particulière par une horde d’hommes d’une autre espèce, devenue dominante.
Après ce premier et bref épisode s’opère un gigantesque saut dans le temps avec l’arrivée de la capitaine de gendarmerie Vannina Aquaviva, le 7 février 2020, sur le théâtre d’un crime barbare dans un site escarpé de la côte corse.
C’est le départ d’une enquête policière haletante, sur fond de rivalité entre gendarmerie et divers services de police et des Renseignements Généraux, jalonnée de mille et un rebondissements qui entretiennent habilement la mise en haleine, et qui conduit les enquêteurs, en nombre croissant, aux quatre coins de l’Europe et de l’Eurasie, selon une mystérieuse cartographie cardinale, sur les pistes entrecroisées de tueurs au physique, à la force et à l’intelligence surhumains.
L’intrigue qui se déroule sur trois semaines de ce fatal mois de février 2020 est entrecoupée de brutales ruptures chronologiques au cours desquelles on assiste aux dernières heures de Socrate s’entretenant en secret avec Platon, à une rencontre entre Rabelais et Olaus Magnus, à une scène surprenante entre Nietzsche, sa sœur Élisabeth et son amante Lou, à une cérémonie initiatique nazie organisée par Himmler, à une conversation inédite entre Jésus et Jean juste avant la crucifixion, et cetera.
Quel est le lien entre ces personnages, ces époques, ces situations ?
Au hasard des circonstances narratives et des multiples coups de théâtre, certains protagonistes et éléments adjuvants font émerger le postulat de la transmission d’une part plus ou moins importante du patrimoine génétique de l’homme de Neandertal et de l’homme de Denisova jusqu’à nos jours par les maillons successifs d’une chaîne générationnelle comportant un nombre indéterminé d’individus tout au long de centaines de milliers d’années.
Parallèlement à cette circulation biologique héréditaire existerait un réseau vertical de communication secrète, initiatique, de génération en génération, entre les descendants présumés, porteurs de cette spécificité génétique, des derniers néandertaliens massacrés par l’homo sapiens.
Ces héritiers attendraient, depuis la nuit des temps, le moment où ils seraient redevenus assez nombreux, et suffisamment présents dans les hautes sphères sociales, pour prendre leur revanche, sachant que ces temps idéaux verraient simultanément l’homo sapiens subir les effets d’une mutation brutale qui le ferait régresser (d’où le titre) à un stade pré-sapiens.
Ces hypothèses intra-diégétiques se retrouveront-elles, se recouperont-elles, seront-elles décisives dans l’enquête que mènent, avec maintes péripéties, Vannina et les autres services d’investigation ?
Le flou, le trouble et le doute sont magistralement entretenus.
Le dernier chapitre, l’épilogue, sur rupture elliptique, décrit brièvement ce qu’est devenue l’humanité seize ans plus tard, en 2036.
L’intrication des investigations policières, des scènes sanglantes dont Vannina et ses partenaires sont témoins et, pour certains, victimes, des situations intertextuelles et inter-historiques que théâtralise l’auteur qui exploite talentueusement son éblouissante érudition historique, scientifique et littéraire tout en faisant montre de sa maîtrise confondante du suspense narratif, aboutit à un roman époustouflant, propice à déconfiner efficacement l’esprit des lecteurs.
Patryck Froissart
Journaliste scientifique, producteur de nombreux documentaires, Fabrice Papillon est l’auteur de huit ouvrages de vulgarisation scientifique, avec d’éminents savants dont Axel Kahn. Pour son premier roman, Le Dernier Hyver (Belfond, 2017), il a reçu le prix du Meilleur Polar 2018 des lecteurs de Points.
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