Bolchoï confidentiel, Simon Morrison (par Jean-Jacques Bretou)
Bolchoï confidentiel, Simon Morrison, novembre 2019, trad. anglais (USA), Luba Jurgenson, 414 pages, 21 €
Edition: Belfond
Sur la couverture de ce livre ne figure aucun étiquetage qui pourrait nous permettre de le classer dans un genre. Mais on peut se référer à la théorie paratextuelle, un des fondements de l’école de Constance dans sa doctrine de réception de la lecture, et à son concept de l’horizon d’attente (Erwartungshorizont) qui constitue un système de référence objectivement formulable à l’acte de lecture. Système de référence dont l’un des facteurs est : « l’expérience préalable que le public a du genre dont l’œuvre relève ».
Pour faire simple, le titre du livre Bolchoï confidentiel n’est pas sans évoquer L.A. Confidential de James Ellroy, et le mot confidential des séries télévisées policières. Par ailleurs, la quasi-totalité de l’introduction de Simon Morrison se rapporte à l’attentat à l’acide qu’à subi le directeur artistique du ballet au Bolchoï, Sergueï Filine, le 17 janvier 2013. L’accroche est peut-être un peu grosse, mais le lecteur peu avisé, même si la traduction est signée par l’excellente Luba Jurgenson, pensera avoir entre les mains un livre de fiction, voire un roman policier.
Ainsi, bien que les premiers chapitres soient assez fertiles en évènements et se déroulent dans une atmosphère plutôt obscure. – Il nous est conté qu’en 1776 la Grande Catherine confia la création de la troupe du Bolchoï au prince Ouroussov et que ce dernier abandonna ses droits à un aventurier exerçant la profession de funambule, Michel Maddox. Puis que celui-ci s’empressa de faire travailler au Bolchoï, dans son théâtre le Petrovsky, les orphelins de la Maison d’éducation de Moscou. Ensuite, que malgré le grand nombre de ballets qui y fût monté, plus de quatre cents y compris La Flûte enchantée, en 1794, Maddox n’arriva pas à rentabiliser son théâtre qui fut mis en liquidation par l’impératrice Marie en 1802. Enfin, il fut dévoré par les flammes en octobre 1805, avant les invasions napoléoniennes de 1812 et le grand incendie de Moscou allumé par Rostopchine, le père de la Comtesse de Ségur.
Le rythme est plat, linéaire, nous ne sommes pas dans une fiction, rien n’est romanesque malgré ce que pouvait en dire le titre ou l’introduction. La structure narrative devient vite indéfinissable. On se rapproche un peu du récit historique dans la mesure où le développement est chronologique mais aucun style particulier correspond à ce texte. Quels que soient les évènements qui nous sont contés, la tension narrative reste faible.
Mais revenons au paratexte qui, selon Genette, serait aussi une zone de transaction dans laquelle les préoccupations commerciales occuperaient une place prépondérante, « lieu privilégié d’une pragmatique et d’une stratégie, d’une action sur le public ». Et l’on comprend qu’il s’agissait de donner à cet ouvrage un genre plus vendeur qu’il ne l’est.
En effet, la suite du livre porte sur la reconstruction par Joseph Beauvais du théâtre qui fut rouvert en 1825 après une cérémonie de bénédiction, et porta lui aussi le nom de Bolchoï. Le nouveau Bolchoï, le « Grand Théâtre », allait marquer avec des noms comme Wahlberg, Glouchkovski, Hullen, Glinka, l’émergence de la russité : de l’esprit patriotique russe et de sa tradition musicale. Le théâtre va acquérir un renom international tant par le nombre des pièces jouées et leur diversité que la qualité de ses danseurs. On peut déjà citer Ekaterina Sankovskaïa dont la rapidité émerveillait les spectateurs, mais il faudrait nommer aussi Ekaterina Gueltzer, Maïa Plissetskaïa, et tous les danseurs qui firent dissidence au XXe siècle. Le Bolchoï fut un théâtre où l’on intriguait, un théâtre qui fut secoué par la révolution d’Octobre, la censure, un théâtre unique, une vitrine de l’URSS à l’étranger.
C’est une mine importante d’éléments concernant le Bolchoï, accompagnée d’un cahier photos, non sans intérêt, loin de là, mais dont la tonalité est peut-être universitaire. Pour le lecteur ordinaire c’était la promesse de quelque chose de brillant, c’est un peu comme un soufflé qui retombe.
Jean-Jacques Bretou
Simon Morrison est professeur de musique à l’Université de Princeton, et écrit régulièrement pour le New York Times et le Times Literary Supplement. Il a déjà publié plusieurs ouvrages en Angleterre et aux États-Unis, et a travaillé sur différents projets de restauration de ballets. Il vit actuellement à Princeton, dans le New Jersey.
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