Un éléphant, ça danse énormément, Arto Paasilinna (par Catherine Blanche)
Un éléphant, ça danse énormément, septembre 2019, trad. finnois Anne Colin du Terrail, 304 pages, 7,90 €
Ecrivain(s): Arto Paasilinna Edition: Folio (Gallimard)
12 septembre 1986, triste jour en Finlande : Il est « désormais interdit, y compris dans les cirques, de présenter des spectacles mettant en scène des animaux sauvages. […] Mieux valait un éléphant mort qu’un éléphant exploité, tel était le mot d’ordre du jour ». Ainsi, Emilia, bébé éléphante de 7 mois, se retrouve privée de sa mère vendue en RDA. Lucia, sa soigneuse, décide de tout tenter pour la sauver.
Dans ce roman de Arto Paasilinna, on apprend beaucoup sur la gente éléphantesque. Par exemple :
– qu’ils font partie de la famille des proboscidiens ou périssodactyles ;
– que les plus grands représentants peuvent atteindre sept tonnes ;
– qu’ils « ont une large tête, avec une boîte crânienne composée d’os alvéolés au tissu spongieux pneumatisé » ;
– que « leurs sinus sont en partie tapissés de muqueuses et contribuent à la finesse de leur odorat » ;
– qu’ils « ne dorment que quelques heures par jour [et] sont aussi capables de se reposer debout et ronflent comme des sonneurs » ;
– que la « lèvre supérieure et le nez se sont réunis et allongés pour former une trompe qui est donc totalement distincte de la cavité buccale » ; et que, dixit le vétérinaire, « les éléphants n’ont pas de canines. Les incisives de leur mâchoire supérieure, extrêmement développées, forment deux défenses recourbées vers le haut. […] Les molaires et prémolaires sont toutes ovales, avec une couronne basse » ; et, ignorantissimes sont ceux qui l’ignorent : « l’éléphant ne rumine pas, il engloutit ses aliments à la manière d’une moissonneuse-batteuse ».
L’anatomie, comme on le voit, est passée au peigne fin !
Encore ne s’agit-il là que de hors-d’œuvre ! On peut aussi apprendre que la trompe est le résultat « d’une fusion de la lèvre supérieure et du nez […] organe plus épais que la cuisse d’un cheval » qui « se termine par deux excroissances semblables à des doigts ». Deux narines s’y nichent à l’intérieur. Cette trompe est « non seulement souple et tactile mais aussi d’une force colossale ». Et pour parfaire notre connaissance pachydermique, il convient d’ajouter :
– que la cheville de l’éléphant correspond un peu à notre genou et qu’ainsi, lorsqu’il se met sur ses chevilles c’est comme si nous nous mettions à genoux ;
– que « leurs paupières sont dotées de longs cils souples qui leur donnent un regard doux et émouvant » ;
– qu’en agitant leurs oreilles, ils parviennent grâce aux vaisseaux sanguins qui les irriguent « à abaisser leur température et à supporter ainsi les fortes chaleurs ».
Ah ! que nous voilà savants maintenant… Sans compter moult autres détails que je vous épargne, mais qui vous permettront de faire la distinction entre l’éléphant africain et l’éléphant asiatique… élémentaire, mon cher Watson. Romain Gary, dans Les racines du ciel, est très loin de nous en apprendre autant !
Et ce n’est pas tout ! L’ouvrage recèle aussi des recettes de cuisines. Deux sont particulièrement alléchantes et décrites de A à Z : celle de l’esturgeon au four à la sibérienne et celle du särä, un agneau cuit dans un plat en bois. On devient également expert du gopak qui, comme chacun sait, est une danse cosaque, couramment apprise aux éléphants, en tout cas à la jeune Emilia.
Tout cela fait-il un BON roman ?
Soyons franc : ceux qui ont goûté, suprême civet, Le Lièvre de Vatanen du même auteur, auront plus de difficulté à avaler (même par petites bouchées) l’éléphante que l’écrivain finnois nous a mitonné dans Un éléphant ça danse énormément. Quant à vouloir aborder Arto Paasilinna en commençant par ce roman, ce serait une erreur : on risquerait d’en rester là – alors même que son œuvre (de plus de 40 titres traduits dans le monde entier) renferme d’authentiques bijoux littéraires. Celui-ci n’en est pas un… ou alors de pacotille : contrairement au Lièvre, Un éléphant ça danse énormément, gentil roman, est bien loin du chef-d’œuvre. On s’y ennuie passablement. Sans rythme, ça se traîne et ça rabâche. Il y a de l’enlisement. Lourd, très lourd… À l’image de la mignonne pachyderme ?
Emilia, l’éléphante, et sa jolie maîtresse acrobate Lucia sont pourtant bien des enfants d’Arto. Elles en ont l’originalité, le pittoresque, la générosité, la tendresse. Et les ingrédients chers à l’auteur sont bien là : de grands déplacements (on en voit du pays ! on en passe des frontières !), des aventures cocasses, de drôles de rencontres avec des êtres un peu bizarres ou même franchement loufoques et la main sur le cœur. Et puis des sexes qui se mélangent joyeusement. Et puis de bons gueuletons bien arrosés ! Les bombances n’étant pas réservées aux seuls hommes, témoin :
– ces passereaux, jaseur boréal et bouvreuil, qui perdent complètement le nord, « tombent littéralement sur la tête, se heurtent aux arbres et aux vitres et roulent par terre » après l’ingestion de baies de sorbier ;
– et Emilia, notre éléphante, qui finit « bourrée comme un coing » pour avoir englouti un quintal de pommes blettes.
Eh bien, il faut croire que cela ne suffit pas. La recette a mal tourné. La sauce n’a pas pris. Mais encore une fois, l’esprit et le charme de Paasilinna planent assurément sur cette histoire rocambolesque. Il serait bien venu d’en faire une bande dessinée ou d’en tirer un conte pour les enfants. Le résultat serait tout autre et le succès assuré.
Catherine Blanche
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