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Les Livres

Moby Dark, Jacques Cauda, Editions de l’Âne qui butine (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 09 Décembre 2021. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Moby Dark, Jacques Cauda, Editions de l’Âne qui butine, Coll. Xylophage, 2020, 174 pages, 22 €

Les Editions de L’Âne qui butine !

Voilà un label qui a de quoi intriguer. Notre magazine se devant d’explorer tout ce qui peut relever du domaine des Lettres, se pencher sur l’anatomie de cet étrange animal littéraire et artistique franco-belge devenait, dès l’heureuse découverte de son existence, une nécessité et un devoir.

L’Âne qui butine est l’œuvre éditoriale bicéphale d’Anne Letoré, écriveuse d’histoires et maquettiste, et de Christoph Bruneel, relieur et restaurateur de livres, auteur et plasticien, qui en font eux-mêmes cette alléchante présentation :

« Créé en 1999, au croisement de la Picardie française et de la Flandre belge, L’Âne qui butine publie à compte d’éditeur. L’Âne qui butine papillonne d’une écriture minutieusement stricte à un débordement verbal, d’une histoire de Q à un récit de dame-π π, en passant par un conte boréal… d’une logorrhée amoureuse à une parole boueuse, du lexique à mi-mots à l’enfance à pleins maux, de l’humour de cour à la friction d’amour. Depuis 1999, de notre fret tout cru de grenouille de grenadier qui tire sur tout, L’Âne qui butine se meut sur l’autel du fantasque et du bigorneau réunis ».

La plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mbougar Sarr, Philippe Rey (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 08 Décembre 2021. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Philippe Rey

La plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mbougar Sarr, août 2021, 448 pages, 22 € Edition: Philippe Rey

 

« On ne rencontre pas Elimane. Il vous apparaît. Il vous traverse. Il vous glace les os et vous brûle la peau. C’est une illusion vivante ».

« Mais, par-dessus tout, ce qui m’avait lié à lui était la même foi désespérée qu’on plaçait dans l’entéléchie de la vie qu’incarnait pour nous la littérature. Nous ne pensions pas du tout qu’elle sauverait le monde ; nous pensions en revanche qu’elle était le seul moyen de ne pas s’en sauver ».

On ne rencontre pas un roman d’une telle intensité, d’une telle force, d’une telle tenue, d’une telle originalité, il vous apparaît. Les grands romans sont des apparitions qui fondent, et troublent l’Histoire de l’art romanesque, comme ils troublent des générations de lecteurs. La plus secrète mémoire des hommes vous traverse, comme vous traverse un roman fondateur, saisissant, vibrant, qui vous comble à le lire, et que vous reprenez, pour à nouveau vous en nourrir, comme l’on se nourrit d’une nourriture céleste, que vous l’ouvrez à nouveau, pour y glisser votre regard attentif entre deux lignes et trois phrases, qui restaient suspendues dans votre mémoire.

S’adapter, Clara Dupont-Monod, Stock (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mercredi, 08 Décembre 2021. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman, Stock

S’adapter, août 2021, 171 pages, 18,50 € . Ecrivain(s): Clara Dupont-Monod Edition: Stock

 

Il a dix ans quand il s’éteint, comme la flamme vacillante d’une bougie. L’enfant entend et sent, mais ne voit pas, ne manifeste pas. Son corps se développe, pas son esprit, reclus, muré. Un petit filet de voix, de son, s’échappe de lui pour dire son bien-être, ou son inconfort, pas sa joie, ni son déplaisir. Ce ne sont pas des sentiments mais une modulation, comme celle d’une rivière, sur le fil.

Mais cet enfant « inadapté », qui ne convient pas à la vie, va cependant faire enfler autour de lui, révéler et réveiller ce qui se tapit, se cache en profondeur en chacun des membres de sa famille : ils sont cinq avec lui, ils seront cinq après lui, quand la mère donnera naissance, pour réparer la place de l’enfant mort, à un frère empreint de lui.

Cet enfant fragile, désarticulé tel un pantin, non fini, prend pourtant, pour chacun de ceux qui l’entourent, à sa manière, une place prépondérante.

L’Imposture & La Joie, Georges Bernanos, Points/Seuil (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 08 Décembre 2021. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Roman, Points

L’Imposture & La Joie, Georges Bernanos, Points/Seuil, septembre 2021, 312 et 288 pages, 7,60 € chaque volume

 

 

On a parfois l’impression, tant l’œuvre romanesque de Georges Bernanos est majestueuse (même si elle semble moins lue aujourd’hui que son œuvre d’essayiste et de polémiste), qu’elle est pléthore – il n’en est rien, elle consiste en neuf romans publiés de son vivant, pas un de plus, le premier, Madame Dargent, étant un coup d’essai publié alors en revue et aujourd’hui disponible uniquement en la Pléiade, à juste titre. D’un autre côté, cette œuvre romanesque, dès Sous le soleil de Satan (1926), est marquée au coin d’une immense maturité réflexive, d’un regard à la fois profond et féroce porté sur la foi et sa place dans le monde moderne – il est vrai que Bernanos est alors âgé de trente-huit ans, ce n’est pas un jeune homme qui s’essaie à penser le monde le temps d’une fiction – c’est un homme mûr qui met en fiction la complexité de sa pensée.

Le pouvoir du chien (The Power of the Dog, 1967) Thomas Savage, Gallmeister (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 07 Décembre 2021. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Gallmeister

Le pouvoir du chien (The Power of the Dog, 1967) Traduit de l’américain par Laura Derajinski. 284 p. 9,90 € . Ecrivain(s): Thomas Savage Edition: Gallmeister

Roman dérangeant, au sens le plus radical qui soit : qui brise le rang, surtout celui des romans trop souvent convenus des années 60 qui égrènent révoltes, Vietnam, musique et folklore (le roman de Savage date de 1967). La noirceur du propos, la noirceur des âmes, nous rapprocheraient plutôt des grands sudistes, Faulkner en tête, dont nous retrouvons en ombre les grandes familles terriennes décadentes, les personnages cyniques et désespérés. On pense aussi irrésistiblement à Cormac McCarthy et la noirceur, la cruauté de ses personnages. Et pourtant Savage est plus proche par son enfance du Montana, où se tient ce terrible roman. Un personnage en particulier semble droit sorti des figures de l’enfer et qui pourrait être l’un des Snopes de Faulkner, Phil Burbank, cow-boy quadragénaire qui gère, d’une main de fer, avec son frère George, le grand ranch hérité des parents.

Univers d’hommes, d’éleveurs de bétail, rudes, taiseux, le ranch semble fonctionner comme un grand mécanisme dont les rapports interpersonnels sont absents, comme une addition hiérarchisée des solitudes des gens qui viennent travailler un temps, puis s’en vont, remplacés par d’autres, anonymes.