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Les Livres

La Gloire des Pythre, Richard Millet (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 30 Août 2022. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard)

La Gloire des Pythre, Richard Millet, Folio . Ecrivain(s): Richard Millet Edition: Folio (Gallimard)

 

Les vingt-deux premières pages de ce roman effarant et terrible suffisent à se convaincre que l’on est au début de l’un des plus grands ouvrages français de notre époque. La noirceur qui sourd du village perdu de Millevaches, portée par les volutes macabres des morts de l’hiver, est chargée du destin funeste des petites gens du pays que la misère écrase et qui colle à leurs sabots comme la glaise de Corrèze au début du siècle XX. Le style de Richard Millet, éblouissant d’élégance et de puissance, nous mène au plus profond de ce monde oublié.

En mars, ils se mettaient à puer considérablement. Ça sentait bien toujours un peu, selon les jours, lorsque l’hiver semblait céder et que ça se réveillait, se rappelait à nous, d’abord sans qu’on y crût, une vraie douleur, ancienne et insidieuse, que l’on pensait éteinte, qu’on avait fait mine d’oublier et qui revenait, par bouffées, haïssable comme les vents d’une femme aimée ;

Rachilde, Homme de lettres, Cécile Chabaud (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge , le Mardi, 30 Août 2022. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Rachilde, Homme de lettres, Cécile Chabaud, éditions Ecriture, août 2022, 240 pages, 18 €

 

La vie d’artiste est souvent vallonnée d’ombre et de lumière. Mais celle des femmes artistes du XIXème siècle était redoutablement chaotique tant l’énergie, l’audace, voire la folie étaient nécessaires pour s’échapper de la gangue fangeuse. C’est toute l’œuvre et le talent de Marguerite Eymery, femme de lettres autoproclamée « Rachilde », que retrace avec brio Cécile Chabaud, professeur de lettres.

C’est toujours dangereux de convoquer les morts quel que soit le siècle. Et pourtant le spiritisme était à la mode au XIXème siècle. Était-ce lié à l’influence du spirite Allan Kardec ? Comme le pratiquait Victor Hugo dans l’espoir de retrouver sa fille Léopoldine, les grands-parents de Marguerite, Urbain et Isoline, avaient l’espoir d’entrer en communication avec leur fils défunt. Le spiritisme était une façon de prolonger la vie et l’espoir des retrouvailles.

Un soir, lors d’une séance de spiritisme où le ciel était insondable et voilé, Marguerite entendit un fantôme lui parler… C’était un certain « Rachilde », comte Suédois né en 1523 à Göteborg. La sonorité étrangère et exotique de ce nom lui plut et elle décida d’en faire son nom de plume. La musicalité des mots joue parfois la partition du virage d’une vie.

Guerre aux démolisseurs !, Victor Hugo (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 29 Août 2022. , dans Les Livres, Recensions, Essais, La Une Livres, Rivages poche

Guerre aux démolisseurs !, Victor Hugo, Éditions Payot et Rivages, juin 2022, préfacier Andrea Schellino, 96 pages, 6,50 € Edition: Rivages poche

 

Comme Voltaire, Victor Hugo est en grande partie enfoui sous sa propre légende, dissimulé par sa propre statue. L’institution scolaire, à qui semble incomber le monopole de la survie des textes classiques, a réduit ses œuvres à deux ou trois livres (Les Misérables, Les Contemplations), même pas lus, encore moins étudiés, dans leur entièreté. Celui qui fait plus ou moins figure d’écrivain national français ne dispose pas de ses œuvres complètes dans la Bibliothèque de la Pléiade, sorte de canon semi-officiel de la « grande littérature ». L’édition donnée par Jean Massin et ses collaborateurs au Club français du livre, à la fin des années 1960, n’a pas été remplacée. Des merveilles s’y cachent parmi les sections les moins explorées.

On a rappelé, au soir du 15 avril 2019 et dans les jours qui suivirent, ce que Notre-Dame de Paris devait au roman éponyme de Victor Hugo, qui avait attiré l’attention du public sur ce monument alors délaissé, lui évitant le sort de bien des églises dont ne subsistent que des vues anciennes.

L’homme qui peignait les âmes, Metin Arditi (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Lundi, 29 Août 2022. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Grasset

L’homme qui peignait les âmes, juin 2021, 292 pages, 20 € . Ecrivain(s): Metin Arditi Edition: Grasset

 

Qui a réellement peint le Christ guerrier attribué à tort, par la tradition, à Théophraste le grec, et exposé aujourd’hui dans une église au sud de Bethléem ? Indiscutablement « un iconographe de génie » dont Metin Arditi nous raconte, en sept dates décisives, l’existence vécue entre Acre, Mar Saba et Capharnaüm.

En 1079, Avner, adolescent juif, livre au monastère orthodoxe le poisson que pêche son père. Il goûte dans ce Petit Paradis la joie de l’accueil toujours chaleureux et gourmand que lui réserve frère Thomas et découvre l’art des icônes. Seule sa cousine Myriam avec laquelle il a grandi connaît son rêve, devenir à son tour peintre. Mais il lui faudrait alors se convertir au christianisme, rompre avec ses parents qui ne lui pardonneraient pas cette trahison et surtout renoncer à épouser Myriam.

L’art vaut pourtant tous ces sacrifices. Avner va même lui sacrifier la sincérité. Ainsi, le jour de son baptême, devenu Petit Anastase il « savait qu’il trichait » car il « avait lu et relu les Textes. Il les avait étudiés, commentés. Il avait été ébloui par leur intelligence, leur finesse, leur concision. Mais il n’avait pas réussi à croire à la Révélation ».

Zone franche, Jacques Ancet (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 29 Août 2022. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Poésie

Zone franche, Jacques Ancet, éditions Tarabuste, avril 2022, 216 pages, 14 €

 

Dénuder

Ici la cendre du poème – sa combustion tardive, son altération intérieure – se manifeste par des effets graphiques, des décrochés, des blancs au milieu du vers, avec pas ou peu de ponctuation, sans aucune majuscule et parfois des occurrences en langue étrangère. Le poème va comme en une zone non atteinte, indépassable, voire hors d’atteinte. La poésie ne vaut que pour ce qu’elle a d’essentiel. Le rêve du poète est-il peut-être celui de récréer la langue entièrement, sans poids, toujours nouvelle, profonde et ductile ? Tel est là le projet de ce recueil, à mon sens. J’y distingue la cendre de la cendre (comme le signifie Jacques Derrida).

J’ai dressé dans mes notes une petite liste d’épithètes qui pourraient correspondre à mon impression première de lecteur : effacer, retirer, ôter, enlever et enfin, dénuder. Cette prosodie, où la quantité de vide se calcule grâce à la quantité de tentatives pour créer un langage personnel, se réduit à des cercles de vocabulaire stricts, voire pauvres.