Qu’eurent en commun André Breton, Franz Werfel, Marc Chagall, Hannah Arendt, Victor Serge, André Masson, Lion Feuchtwanger, Jacques Hadamard, et quelques centaines d’autres personnes dont l’Histoire n’a pas retenu le nom (on pourrait y ajouter Walter Benjamin, passé en Espagne, mais finalement refoulé – voir les pages 73-82) ? Ils doivent à un Américain oublié, Varian Fry (1907-1967), d’avoir pu quitter la France occupée pour des cieux plus cléments. Fry avait voyagé en Allemagne dès 1935 et compris ce qui allait se produire. Depuis Marseille, aidé notamment par le vice-consul américain Hiram Bingham (homonyme de son père, qui avait découvert en 1911 le site du Machu Picchu), soutenu d’abord et lâché ensuite par Eleanor Roosevelt, Fry organisa plusieurs filières d’évasion et de fabrication de faux papiers. Contraint de rentrer aux États-Unis, déçu et amer, il chercha en décembre 1942 à porter à la connaissance de l’opinion américaine le processus génocidaire qui se déroulait en Europe ; sans succès, la dénonciation de la Shoah passant alors pour de la propagande complotiste (même si l’épithète infamante n’avait pas encore été forgée). Fry abandonna le journalisme, devint professeur de latin et mourut dans l’oubli complet. En 1996, pourtant, il fut le premier citoyen américain honoré du titre de « Juste parmi les nations ».