Rue des fleurs, Jean-Michel Maulpoix (par Philippe Leuckx)
Rue des fleurs, Jean-Michel Maulpoix, Mercure de France, février 2022, 88 pages, 10,50 €
Ecrivain(s): Jean-Michel Maulpoix Edition: Mercure de France
Près de cinquante livres : vingt-cinq livres de poésie et presque autant d’essais ; sur le lyrisme, sur « les mots de la poésie », sur Verlaine.
Le poète est aussi professeur d’université, spécialiste du lyrisme et grand connaisseur des poètes contemporains de premier ordre.
Je retrouve dans ce beau livre de poèmes, les grandes qualité de regard et de scansion qui m’avaient déjà tant frappé dans Le Voyageur à son retour, ou L’Hirondelle rouge.
L’écriture instille une mélancolie douce et prenante à l’égard du réel frôlé, ressuscité, au fil des saisons, au gré des images de rues ou de banlieue « pauvre ». Tout en s’interrogeant sur son art, sur cette « fonction » du poète dans un monde devenu sans regard, Maulpoix déploie, en de brefs poèmes – il affectionne le douzain –, une vision d’un monde perdu, qu’il faut sauvegarder de l’oubli.
En quatre mouvements (Banlieue pauvre – En automne au fond du jardin – Dans le silence de la chambre – Rue des fleurs), le livre est d’abord une radiographie d’un monde traversé du regard par un enfant qui ponctue sa poésie de brefs éclats du réel pour en lire la blessure, le manque, le peu, les jardins des exclus, les cartons du pauvre, « le mufle des automobiles », les filles éconduites, les cafés anonymes quand « naguère chaque petit vieux par son prénom » était connu.
Et pourtant il fait doux
Dans l’embellie du soir
Aux étages différents
De nos vies (p.38)
Quel déchirant aveu de voir ainsi la beauté, toujours à conquérir, réduite aux acquêts. Le bleu de l’été (couleur favorite du poète) laisse souvent place au froid bleu de l’hiver, qui glace le promeneur.
Quand il ne reste même plus de langue douce au poète ni de traces et que l’état des lieux sombre s’insinue, le poète retient « la lumière » qui pleure ou l’aube « qui supplie ». Il faut alors déplorer les poussières, les départs, « le cœur de la terre irrespirable ».
« Nanterre » rappelle la jeunesse estudiantine de l’auteur, et les « enfants font des boules/ Avec leur cœur » : sans cesse le passé « macère dans son vieux jus » et le poème sauve parfois quelques scènes « Contre la fenêtre/ Qui pleure/ Sans essuyer ses larmes ». Avec une délicatesse et une profondeur qui ne sont pas sans évoquer celles d’un Jaccottet, Maulpoix dessine son traité de tristesse, avec une économie de moyens et d’images qui font vibrer le lecteur de ses textes.
Aucun pathos, pourtant, aucune enflure, aucune métaphore brillante ne viennent abîmer ce ton veiné d’une mélancolie jamais feinte.
Si la vie « défait les visages », si le « cœur va pourrir sur la paille », le poète sait que dans sa chambre d’écriture « les petits riens » deviendront des frissons de mots ; oui, « chacun est fait de mots » et « les baisers ont un goût de cendre ». Le poète qui croit son « encre-là/ D’une couleur si pauvre/ Qu’elle n’éclaire plus rien » ne nous leurre pas, se trompe sûrement car le lecteur, à le découvrir, se nourrit de ce qui fait la beauté de perdre, tout en écrivant sa conquête.
Un très beau livre de poèmes.
Philippe Leuckx
Jean-Michel Maulpoix, né en 1952, est un auteur français, poète et essayiste. Citons de lui : Ne cherchez plus mon cœur ; Une histoire de bleu ; Journal d’un enfant sage ; L’Hirondelle rouge ; Les cent mots de la poésie ; etc.
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