Le piéton de Naples, Dominique Fernandez (par Philippe Leuckx)
Le piéton de Naples, octobre 2021, 224 pages, 19 €
Ecrivain(s): Dominique Fernandez Edition: Philippe Rey
Pour son cent unième ouvrage, Fernandez, italianiste invétéré, spécialiste de Pavese, Pasolini, traducteur de l’italien, professeur, romancier, essayiste, a voulu donner de Naples, une vision multiforme et complexe. Cette ville, que nous connaissons surtout par les ouvrages érudits de Schifano, mérite, en effet, tous les détours.
Tout ici attire l’œil du voyageur, du touriste, du simple amateur : la baie, l’ordonnance de la ville, les églises nombreuses, les hauteurs, Spaccanapoli, l’histoire politique d’une ville souvent conquise par l’étranger et toutes les traces laissées des passages.
Sait-on que « la napolitude est quelque chose de si particulier, de si fragile, de si précieux, qu’elle se dissout, s’évapore au contact d’un milieu qui n’est pas le sien » ? Ainsi, « la spécificité napolitaine », chaque Napolitain l’a dans la peau, par son histoire, par ses coutumes, par sa langue. A l’étranger, il se sent perdu, oublié, ignoré.
Naples n’est pas une mais un ensemble d’univers, où la Grèce, la France, l’Aragon, l’Anjou ont pesé et posé des pierres. L’art y est multiple, mais comme la peinture napolitaine, souvent négligé sinon inaperçu.
Ville à la fois aristocratique, bourgeoise ou superbement prolétarienne, Naples allie les contraires et le baroque échevelé qu’elle a su créer n’en est qu’une des facettes.
De grands artistes ont laissé à Naples de subtiles empreintes : Caravage et Les Sept Œuvres de miséricorde, Mattia Preti, Luca Giordano, etc.
Stendhal, qui louait via Toledo comme la plus belle rue du monde, De Sica, qui y a tourné L’Or de Naples, le romancier Domenico Rea, tant d’autres ont perçu en Naples le lieu qui leur fallait pour exprimer tout à la fois splendeur, baroque, jovialité, appétit de vivre. Ils ont été sensibles à ce que Naples est au fond : « en rue, un spectacle permanent ». Délire de gestes, de voix, ostentatoires, volonté de s’afficher, bariolé, audacieux, passionné.
Autant que les églises, les Musées y sont étonnants : Capodimonte, Musée archéologique, les places admirables (Piazza Dante), les quartiers singuliers (Chiaia, Monte di Dio), les chansons inoubliables (chant de lavandières du Vomero).
Rien n’échappe à l’érudition de Fernandez, ni la singularité d’une ville, près d’un volcan, ni l’âme napolitaine ancrée à vif dans les contradictions, ni l’être de la rue (les « scugnizzi », ceux qui « ont fait de la rue leur campement ») car le Napolitain se sent enfermé chez lui, entre quatre murs ; ce qu’il lui faut, c’est l’air libre, la rue, la ruelle, les escaliers de la ville.
Fernandez n’oublie pas non plus de relater sa malencontreuse aventure de l’Institut oriental, où il avait été nommé, et dont il fut exclu pour une conférence sur Vailland et l’érotisme, qui ne plut pas à son Directeur. C’était en 1957 et les mœurs étaient frigides.
L’ouvrage passe en revue toutes les rues, toutes les places dignes d’intérêt et il serait vain de mentionner, pour chaque site, pour chaque église, la beauté singulière.
Le livre se lit comme un guide, amoureux, bien dans l’esprit du Promeneur amoureux, que l’auteur publia jadis sur l’Italie.
Un très bel album, magnifiquement illustré, très bien écrit.
Splendides photographies de Ferrante Ferranti, complice habituel.
Philippe Leuckx
Dominique Fernandez, né en 1929, écrivain français, membre de l’Académie française, est l’auteur d’essais sur Pavese, l’Italie, le baroque ; de romans (Porporino, Dans la main de l’ange, etc.), Prix Goncourt, Médicis.
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