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La Une CED

Traduire Hitler, Olivier Mannoni (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 14 Mars 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Essais

Traduire Hitler, Olivier Mannoni, Éd. Héloïse d’Ormesson, octobre 2022, 124 pages, 15 €

Peu satisfait de la mise en scène d’une de ses pièces en Allemagne, Éric-Emmanuel Schmitt fit remarquer que le Rhin ne marquait pas seulement une limite entre deux pays, mais entre deux civilisations. Dans la lignée d’Albert Kohn, Maurice Betz, Henri Plard ou Philippe Jaccottet (qui pouvait encore revendiquer d’autres titres de gloire), Olivier Mannoni est un des grands traducteurs depuis l’allemand, avec Bernard Lortholary ou Jean-Pierre Lefebvre. Il a notamment traduit (sous le titre Historiciser le mal. Une édition critique de “Mein Kampf”, un volume énorme et hors de prix) – parce qu’il fallait bien que quelqu’un le fît – Mein Kampf, ce puits noir d’énergie négative dans lequel la langue allemande a disparu, selon la thèse polémique soutenue en 1959 par George Steiner (Le miracle creux, Langage et silence, Les Belles-Lettres, 2010, p.91-111). On sait ce qu’il advint. Stefan George, l’immense écrivain à qui Hitler avait proposé la direction de sa nouvelle Académie allemande de poésie (Deutsche Akademie für Dichtung), refusa avec mépris, s’exila et mourut fin 1933. D’autres grands écrivains quittèrent l’Allemagne : Thomas Mann, Stefan Zweig, Hermann Broch, Berthold Brecht, etc. D’autres encore (Ernst Wiechert, Ernst Jünger, Ernst Robert Curtius, etc.) se réfugièrent dans une « émigration intérieure » qu’on peut estimer parfois ambiguë, mais il est facile de les juger depuis son fauteuil et en vivant au milieu de conditions politiques (heureusement) différentes.

Ainsi parlait, Stefan Zweig (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 13 Mars 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Arfuyen

Ainsi parlait, Stefan Zweig, éditions Arfuyen, janvier 2023, trad. allemand, Gérard Pfister, 192 pages, 14 €

 

Humanisme

Comprendre Zweig, c’est comprendre l’être humain. Bien sûr parce que l’écrivain est une créature, mais surtout parce que lire Zweig nous place au cœur d’une vision humaniste de l’être, fait la place à qui se dresse depuis la Renaissance – vision de l’homme qui semble s’achever de nos jours (avec l’importance croissante des machines et des intelligences mécaniques). De ce fait on est loin de Nietzsche et plus près de Montaigne. Cette créature que Zweig décrit, avec l’aisance d’un lettré témoin de deux guerres mondiales, est prise dans l’histoire, dans le déroulement historique de l’Europe à laquelle il appartient (notamment avec son amitié indéfectible pour Romain Rolland).

Le plus évident reste que la vie de Zweig revient à penser, à faire agir un discernement aigu sur les sociétés et les hommes – jusqu’à sa fin tragique au Brésil où son désespoir le conduit au suicide. Je dis discernement mais je ferais mieux d’écrire intelligence, à la fois dans l’acuité du jugement, et aussi intelligence de la personne humaine exerçant son talent d’écrivain au service de grandes idées humanistes qu’il porte en lui comme un bien précieux.

La vie est une affaire personnelle, Valérie Fauchet (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge , le Vendredi, 10 Mars 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

La vie est une affaire personnelle, Valérie Fauchet, Editions Ipanema, octobre 2022, 167 pages, 17 €

 

J’ai rencontré Valérie Fauchet grâce à La Cause Littéraire au moment de la sortie de son premier livre, Une voyante passe aux aveux, cet hymne aux rencontres. C’était précisément rue Saint Benoît dans le sixième arrondissement de Paris, tout près du 5 rue Saint-Benoît où Marguerite Duras résida jusqu’à sa mort. Les détails sont importants car Valérie loue une profonde admiration pour les grands écrivains de la même veine que Marguerite Duras. « Il reste toujours quelque chose de l’enfance, toujours… » (Marguerite Duras). L’enfance, ce parfum poétique qui irrigue toujours l’envie d’écrire et d’en découdre. D’en découdre de quoi exactement ? Personne ne sait, tel est le mystère de l’enfantement. Car écrire, c’est enfanter des personnages et encore des rencontres.

Dans le tournis de ces folles jolies rencontres, Valérie m’a confié la préface de La Cheville, le premier opus de la trilogie de La vie est une affaire personnelle. Roman dans lequel l’été est invincible, où les maisons peuvent être roses et noires, comme dans un défilé d’Yves Saint Laurent et où les parfums sont aussi puissants que le bleu Majorelle. J’ai été tout de suite séduite par cet effluve d’élégance.

Pourriture !, Philippe Lacoche (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Jeudi, 09 Mars 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Pourriture !, Philippe Lacoche, Éditions Les Soleils bleus, novembre 2022, 88 pages, 10 €

 

Il y avait eu L’Écharpe rouge, drame policier burlesque publié en 2014 par Le Castor Astral, interprété et mis en scène par le Théâtre de l’Alambic. Sélectionnée en différentes régions pour être produite à l’occasion de multiples manifestations événementielles comme des Festivals du théâtre, cette pièce nous avait fait rire et nous nous grattions la tête en nous disant : « mais oui… c’est ça… c’est tout à fait ça », comprenant que l’auteur mettait le doigt sur des choses sensibles de notre actualité pas tous les jours glorifiante, pas tous les jours reluisante. La réalité ne dépassait plus la fiction, mais c’est bien la fiction qui braquait un affolant projecteur sur les multi-facettes d’un réel dont nous sommes à nos dépens plus souvent les marionnettes que les acteurs. Un coup d’œil roboratif que braque derechef le romancier, journaliste et parolier, Philippe Lacoche, avec cette nouvelle pièce en trois actes, Pourriture !, dont une lecture théâtralisée a été présentée à La Comédie de Picardie à Amiens (direction Nicolas Auvray), le 6 avril 2022, sous la direction artistique de Jean-Michel Noirey (avec Le Théâtre du Monde Entier). Politiquement incorrecte, Pourriture ! nous interpelle comme nous avait interpelés L’Écharpe rouge et, sous les éclats de rire, incite à la réflexion…

Une longue route pour m’unir au chant français, François Cheng (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 08 Mars 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Albin Michel

Une longue route pour m’unir au chant français, François Cheng, Albin Michel, octobre 2022, 252 pages, 17,90€

Le « chant français » ne devrait rien avoir de spécial, puisque toute langue vivante chante, toute langue parlée se fait entendre d’elle-même et vit ainsi au contact de ses sons modulés. Quand on chante – même mal – on fait forcément entendre au-dehors, dans l’extériorité matérielle, quelque chose de la vie de son propre corps (comme une sorte de gargouillis articulé), on crache ou expulse quelque chose de la première personne d’une chair en propre : en ce sens tout chant est, par nature, lyrique ; mais chanter, c’est aussi, à l’inverse, faire résonner en l’intime de soi, dans le « for intérieur », quelque chose de la sonorité d’abord extérieure, publique, d’abord spatio-physique, d’une langue, c’est faire retentir en soi, dans son praticien et locuteur même, faire vibrer dans l’étroit, fragile et fatigable canal bucco-laryngé de quelqu’un, le « logos » à la fois abstrait, collectif et anonyme d’un idiome donné. Toute épopée est donc faite de chants, parce que même la geste d’exploits impersonnels et le cours socio-public magnifié d’une nation doivent entrer dans des morceaux « chantables », dans des séances délimitées de possible exécution de la célébration par le célébrant. Il faut que la gorge (qui les fait seule vivre) puisse suivre, et, comme disait Michaux à l’auteur au début des années 80 :