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Céline, Romans en La Pléiade (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché le 13.07.23 dans La Une CED, La Pléiade Gallimard, Les Chroniques, Les Livres, Roman

Céline, Romans 1932-1934 (1), Romans 1936-1947 (2), Album Louis-Ferdinand Céline, Frédéric Vitoux, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, mai 2023, 1552 pages, 1952 pages, 149 € le coffret jusqu’au 31/12/2023

Céline, Romans en La Pléiade (par Philippe Chauché)

« Le travail, l’écriture sous le signe de la grand-mère, on ne saurait mieux dire. L’écriture pour distinguer le vrai du faux. Ou l’émotion du frelaté. La modeste besogne du styliste à l’écart des charlatans de la littérature… Tout est là ! » (Frédéric Vitoux).

« Les intervalles provoqués par la dislocation de la phrase sont partout là pour suggérer ce que les mots sont impuissants à dire. Qu’il s’agisse de laisser vibrer une note, de suppléer ce qui n’a pas été dit, ou seulement d’attendre, en retenant son souffle, que la parole reprenne, ces silences si spectaculaires dans l’écriture célinienne sont une des justifications les plus sûres du nom qu’il lui donne de musique » (Henri Godard, Préface).

« C’est la première fois dans cette mélasse d’obus qui passaient en sifflant que j’ai dormi, dans tout le bruit qu’on a voulu, sans tout à fait perdre conscience, c’est-à-dire dans l’horreur en somme. Sauf pendant les heures où on m’a opéré, j’ai plus jamais perdu tout à fait conscience. J’ai toujours dormi ainsi dans le bruit atroce depuis décembre 14. J’ai attrapé la guerre dans ma tête. Elle est enfermée dans ma tête » (Guerre).

Comment écrire sur les romans de Céline sans évoquer ses pamphlets antisémites, qui restent dans l’ombre, qui circulent sous le manteau, qui se vendent au plus offrant sur le marché, impubliables pourrions-nous dire, tant ils ridiculisent par leurs outrances son œuvre romanesque ? Trois pamphlets bâclés, revanchards, troubles, fidèles aux pires proses antisémites des années 30, fidèles à la haine, au complot, au mensonge, et à la peur. Dans ces textes, Céline succombe à la phobie des Juifs, les phobies d’ailleurs ne le lâcheront pas, même à la fin de sa vie il se sent traqué, il se voit mort, assassiné. Est-ce Céline écrivain, ou Céline pamphlétaire ? Est-ce l’homme qui se laisse emporter, ou l’écrivain, qui ne cesse de retoucher ses romans, de les réécrire, de les délester de toute lourdeur ? Encore une obsession, la lourdeur, mais là, romanesquement justifiée, il mise sur la légèreté contre la lourdeur, qu’il voit partout, dit-il en 1957 à Pierre Dumayet, dans Lecture pour tous. Son obsession sera d’alléger ses romans de la lourdeur, il trouvera son style, cette signature qui le rend écrivain, où la douleur se mêle au rire. Et la lecture de ses romans vérifie cette obsession littéraire. L’Album Céline qui accompagne cette livraison, à l’occasion de la Quinzaine de la Pléiade 2023, brille lui aussi par sa légèreté, l’érudition brillante et vivante de Frédéric Vitoux, sa justesse de ton, c’est un romancier qui nous livre la vie et les vies d’un autre romancier, comme il avait livré La vie de Céline (3).

La grande valeur de cette nouvelle édition des romans de Céline, c’est notamment d’y avoir inclus les romans retrouvés, dont Guerre, dont nous apprenons qu’il s’agissait pour l’écrivain de la seconde partie d’une trilogie, composée d’Enfance, qui deviendra Mort à créditGuerre et Londres. Le manuscrit publié de Guerre n’est que partiel, amputé et inabouti, et pourtant il trouve ici sa place, sa juste place romanesque, au cœur de l’œuvre de guerre de Céline. Ferdinand est sur le front de la guerre, blessé – Des morts par-ci par-là –, il s’en extrait avec un Anglais, avant d’être transféré vers l’hôpital. Tout y est précis, précieux et sec, point de lourdeur, dans ce court roman blessé et souffrant, souvent drôle et grinçant. Pour Céline, la guerre ne s’arrête jamais, avec ses trahisons, ses règlements de compte, ses fanfaronnades, mais aussi ces instants suspendus de joie, sur le bout des lèvres en feu de Ferdinand. Céline est en guerre, alors il raconte, invente, réécrit sa guerre, avec une force qui n’appartient qu’à lui, qui tient et s’appuie sur sa langue. Il en est en guerre dans ses romans retrouvés, en guerre dans ses trois derniers romans : D’un château l’autre (titre le plus ironique Céline), Nord et Rigodon, sa trilogie de la fuite, des rancœurs, et des colères, en guerre lors des entretiens qu’il accorde, contre l’épuration, contre ceux qui le volent, l’abandonnent, le laissent dans le dénuement, il sera toujours une victime ne cesse-t-il de dire, mais son instinct littéraire, difficile de le nommer autrement, sauvera le Céline en folie et en détestation, pour lui ouvrir les portes de l’art français du roman. Il y entre presque par effraction, avec comme seules armes la langue et le style, une langue sans cesse travaillée, sans cesse affûtée, sans cesse éclaircie et allégée. Toujours lourdeur, ennemie déclarée du roman célinien, à jamais effacée.

« Faudrait bien que je vous donne ici l’impression du paysage. C’était surtout la question de brumes fragiles, libres et pressées qui passaient comme des danseuses pressées à la surface des eaux, en leurs voiles comme un miroir mouillé » (Londres).

Londres fait donc partie des écrits retrouvés, surgis du passé, échappés peut-être à quelques faux-monnayeurs, mais qu’un heureux hasard a permis qu’aujourd’hui nous puissions le lire. La prostitution qui hante Londres est une autre guerre que livre Céline. Ferdinand est témoin de cette nouvelle folie des hommes, sans juger, il déploie son roman acide, brutal, si inspiré – la rue si pianotante dès 11 heures du matin. Comme d’ailleurs, les scènes retrouvées de Casse-pipe.

Cette édition établie par Henri Godard brille par sa richesse, ses lumineuses découvertes accueillies par le papier bible de la Bibliothèque, elle nous permet de relire ou tout simplement de lire Céline dans ses aventures guerrières et romanesques, d’en saisir toute la force, d’en voir les éclats de folie de style, qu’il a lettre à lettre, phrase à phrase inventé, taillé et poli.

 

Philippe Chauché

 

(1) Ce volume contient : Voyage au bout de la nuit et Appendices ; Textes retrouvés : La Volonté du Roi Krogold, suivi de La Légende du Roi René et Appendices (Guerre) ; Londres, Edition établie par Henri Godard, avec Pascal Fouché et Régis Tettamanzi.

(2) Ce volume contient : Mort à crédit et Appendices ; Casse-pipe et Appendices ; Guignol’s band-I Guignol’s band-II Le Pont de Londres et Appendices, Edition établie par Henri Godard et Pascal Fouché.

(3) Gallimard, Folio

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A propos du rédacteur

Philippe Chauché

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, espagnole, du Liban et d'Israël

Genres : romans, romans noirs, cahiers dessinés, revues littéraires, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Minuit, Seuil, Grasset, Louise Bottu, Quidam, L'Atelier contemporain, Tinbad, Rivages

 

Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit et écrit à St-Saturnin-les-Avignon. Journaliste à Radio France durant 32 ans. Il a collaboré à « Pourquoi ils vont voir des corridas » (Editions Atlantica), et récemment " En avant la chronique " (Editions Louise Bottu) reprenant des chroniques parues dans La Cause Littéraire.

Il publie également quelques petites choses sur son blog : http://chauchecrit.blogspot.com