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La Une CED

Une longue route pour m’unir au chant français, François Cheng (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 08 Mars 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Albin Michel

Une longue route pour m’unir au chant français, François Cheng, Albin Michel, octobre 2022, 252 pages, 17,90€

Le « chant français » ne devrait rien avoir de spécial, puisque toute langue vivante chante, toute langue parlée se fait entendre d’elle-même et vit ainsi au contact de ses sons modulés. Quand on chante – même mal – on fait forcément entendre au-dehors, dans l’extériorité matérielle, quelque chose de la vie de son propre corps (comme une sorte de gargouillis articulé), on crache ou expulse quelque chose de la première personne d’une chair en propre : en ce sens tout chant est, par nature, lyrique ; mais chanter, c’est aussi, à l’inverse, faire résonner en l’intime de soi, dans le « for intérieur », quelque chose de la sonorité d’abord extérieure, publique, d’abord spatio-physique, d’une langue, c’est faire retentir en soi, dans son praticien et locuteur même, faire vibrer dans l’étroit, fragile et fatigable canal bucco-laryngé de quelqu’un, le « logos » à la fois abstrait, collectif et anonyme d’un idiome donné. Toute épopée est donc faite de chants, parce que même la geste d’exploits impersonnels et le cours socio-public magnifié d’une nation doivent entrer dans des morceaux « chantables », dans des séances délimitées de possible exécution de la célébration par le célébrant. Il faut que la gorge (qui les fait seule vivre) puisse suivre, et, comme disait Michaux à l’auteur au début des années 80 :

Carnets secrets du Boischaut, Catherine Dutigny (par Martine L. Petauton)

Ecrit par Martine L. Petauton , le Mardi, 07 Mars 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Carnets secrets du Boischaut, Catherine Dutigny, Maurice Nadeau éditions, mai 2022, 275 pages, 19 €


A n’en pas douter, Catherine Dutigny doit aimer les millefeuilles, ces gâteaux moelleux et craquants à la fois, tout en étages secrets beige-bruns, un peu difficiles à découper, mais quel régal au bout. Son livre n’a-t-il pas tout du gâteau : multiple et complexe agencement de « façons » de nous ouvrir son histoire. Façons, au sens noble de ce qu’en fait un architecte, et bien plus un savant maçon de la Creuse, si proche du Boischaut…

Selon le goût, on pourra se laisser aller à l’histoire folle des ensorcellements avec ou sans fumées, à la magie si présente (même encore aujourd’hui) dans ces campagnes ouvertes aux diableries – « la mare au diable » de George Sand est à deux pas ; brumes, forêts, haies secrètes protégeant un bocage à l’habitat émietté, tout concourt au surnaturel et les « sorciers » de l’Indre restent parmi les plus renommés.

Le mélange de l’eau, Ariel Spiegler (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 06 Mars 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie

Le mélange de l’eau, Ariel Spiegler, éditions de Corlevour, février 2023, 96 pages, 15 €

 

Attachement/détachement

Après ma lecture d’hier et d’avant-hier du nouveau recueil d’Ariel Spiegler, j’ai trouvé le motif clé de son univers, ou plutôt ce qui vient affleurer çà et là sa prosodie, son style. Tout d’abord en considérant le détachement de chaque vers, au sens primaire, c’est-à-dire non lié au reste du poème dans sa destination globale, dans sa signification, car ces vers fonctionnent de façon autonome dans leur nudité détachée, esthétique, de la saccade, du bout, du fragment, du sème de sens. Mais aussi de l’attachement compris comme fusion des réalités de la langue et de la vie. Fusion de l’univers physique de la poète et correspondance des éléments linguistiques dans le poème lui-même pris jusqu’à son unité la plus petite. Cela fait donc musique, chaque note côtoyant une autre note d’un autre ton, de façon fuguée.

Les Émotions contre la démocratie, Eva Illouz (par Guy Donikian)

Ecrit par Guy Donikian , le Jeudi, 16 Février 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Essais

Eva Illouz, Les Émotions contre la démocratie, Éditions Premier Parallèle, octobre 2022, 331 pages, 22,90 €


Intuitivement, partiellement, nous sommes tous, à différents degrés, persuadés que les émotions guident aujourd’hui nos comportements plus que la réflexion, qu’il s’agisse de nos vies quotidiennes pour lesquelles l’immédiateté est requise, c’est tout et tout de suite selon l’expression galvaudée, ou qu’il s’agisse de la vie démocratique, quand les électeurs sont peu enclins à prendre connaissance des programmes des candidats aux présidentielles par exemple. La « société de spectacle » n’est pas pour rien dans ces comportements, tout autant que la surabondance de biens qui s’offre à nous, nous qui vivons encore dans une démocratie. Le titre de l’ouvrage d’Eva Illouz est explicite, et c’est bien ce qui apparaît comme une évidence qui retient l’attention. Des émotions contre la démocratie, comment construire une réflexion sur ce thème ?

Rêve et conscience, Ludwig Crespin (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 16 Février 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Ludwig CRESPIN - Rêve et conscience - Classiques Garnier, 368 pages, février 2020, 39€

 

C'est un livre paru, sans bruit, il y a presque trois ans, un livre sérieux et dense, écrit par un jeune enseignant de philosophie, vif, instruit et chaleureux, proche des neurosciences, mais soucieux de les rendre accessibles, et utiles à notre quotidien d'êtres pensants. Sa question, précise et féconde, est celle-ci : Quel apport des sciences du rêve à la philosophie de la conscience ? Le rêve n'est certes pas le fondement de la pensée consciente, mais il oblige notre pensée à s'interroger sur sa véritable source. Sur la source qu'elle est, puisque même le rêve est avant tout de la pensée ; sur la source qu'elle a, puisque nous ne penserions pas du tout si le monde ne nous avait pas d'abord fait rêver. D'où vient donc ma pensée dans le monde, et que vient-elle y faire, si le rêve (nocturne) est à la fois une espèce de pensée que je prends (à tort, mais irrésistiblement) pour le monde, et un monde que ma pensée ne peut jamais complètement rapporter à elle-même, ni donc clairement concevoir ? Les auteurs qui, comme Ludwig Crespin, ont à la fois compétence et capacité méditative sont suffisamment rares pour qu'on ose signaler, même avec retard, leur beau travail, et tenter, modestement, d'y introduire par quelques notations.