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La Une CED

Laisse le vent parler, Juan Arabia

, le Mercredi, 20 Septembre 2023. , dans La Une CED, Ecriture, Création poétique


Laisse le vent parler,

les églises ont recouvert d’ornements

tous leurs mensonges

et les artistes sont descendus dans la rue

pour s’exercer à des sonorités populaires


Les académies glorifient les postes de travail

factices, elles attribuent des prix à leurs mensonges,

et les ouvriers restent seuls

après s’être battus

contre une même lignée

Chantier interdit au public (par Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Mardi, 19 Septembre 2023. , dans La Une CED, Ecriture, Récits

 

Amis Français d’ici ou d’ailleurs, good morning ! Vous aimez les petits trains ou les petites voitures, n’est-ce pas, comme celles que vous poussiez enfant, sur le tapis dans votre chambre, couleur béton, en imitant les bruits du moteur. Ou les petits camions. Les engins de chantier comme la grue, la pelleteuse, le bulldozer ou le rouleau-compresseur, pour bâtir votre petit monde à votre hauteur et en toute légalité.

Ici, à Miami, pas de petits trains. Des petites voitures, des petits camions et des borborygmes. Des machines à profusion. À Miami, c’est le terrain de jeux, taille adulte. Ou le bac à sable. Ici, les chantiers ne s’arrêtent jamais. Nuit et jour. Le béton grimpe. Les stars architectes gravent leur nom dans la pierre, l’idée n’est pas nouvelle, ils comblent les trous dans le sol et plus personne, pas même les gosses, ne jouent dedans. Ici, on fore, on drague, on ne rénove pas, on rase et on refait en mieux. Ça coûte moins cher. Investissement à moyen terme, bénéfices à court terme, le long terme, c’est bon pour le virtuel. Miami sous les eaux d’ici un demi-siècle, on modélise mais au fond personne ne veut vraiment y songer. Du rêve, du soleil, du sable et du vent. Point. Les plages seront vidées de leur sable, ratissées jusqu’à l’écorce pour bâtir les immeubles, lesquels immeubles seront rendus à Mère Nature, désagrégés dans cinquante ans. Merci. Retour à la case départ.

Sept jours sur le fleuve, Henry David Thoreau (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 18 Septembre 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Folio (Gallimard)

Sept jours sur le fleuve, Henry David Thoreau, Folio, février 2023, trad. anglais (USA) Thierry Gillybœuf, 656 pages, 10,90 €

 

Premier ouvrage publié du vivant de Thoreau (1817-1862), A Week on the Concord and Merrimack Rivers (1849) est la narration d’un voyage effectué par l’auteur et son frère en 1839, narration resserrée en sept jours pour autant de thématiques après le décès du second ; un in memoriam orienté vers une double expérience vivante : l’aventure sur des cours d’eau bordés d’une civilisation américaine naissante et du fantôme d’une civilisation amérindienne agonisante au mieux, et l’aventure de la pensée d’un homme qui va publier bientôt en revue La Désobéissance civile, est en train de mener la vie que l’on sait à Walden (expérience mise en livre en 1854) et tient un Journal dont seront extraites d’innombrables maximes avant qu’il soit publié bien après le décès de son auteur. Cet ouvrage est donc une clé pour saisir la pensée de Thoreau, ainsi que son style, et d’aucuns le considèrent comme une œuvre majeure du dix-neuvième siècle – à commencer par l’excellent traducteur et éditeur Thierry Gillybœuf, dont la passion pour la littérature américaine se lit depuis de nombreuses années au fil de traductions éblouissantes.

Betty, Tiffany McDaniel (par Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Vendredi, 15 Septembre 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, USA, Roman, Gallmeister

Betty, Tiffany McDaniel, éditions Gallmeister, 2020, trad. américain, François Happe, 480 pages

 

J’ai volontairement laissé le livre derrière moi. Pour ne pas être tentée de le citer, par passages. Pour le plaisir de la décantation. J’ai repensé aux toiles d’Anselm Kiefer qui vivent à l’extérieur, des jours, des mois, des années sans que le peintre ne les retouche. Afin que toute chose du monde s’y dépose. Pour l’empreinte et l’altération. Ou l’innocence corrodée.

Le livre est resté aux Samoa américaines. Sur l’île de Tutuila où je suis restée trente jours. Et je n’ai pris aucune note. J’ai voulu me souvenir. Page après page. Du visage de Betty. Comme celui de chaque femme et de chaque homme, aux Samoa, qui ont placé entre mes mains un fragment de leur île. J’ai songé à Betty, à son enfance relatée, ses pages d’écriture. À tout ce que l’on enfouit, ce que l’on apprend et qu’un voyage désapprend. Ou confirme. Le début. La fin. Trop précipité ou trop autoritaire.

La philosophie au risque de la préhistoire, Philippe Grosos (par Marc Wetzel)

, le Mercredi, 13 Septembre 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Essais

La philosophie au risque de la préhistoire, Philippe Grosos, Editions du Cerf, mai 2023, 208 pages, 18 €

La philosophie est née au VI-Vemes siècles avant Jésus-Christ, sur la côte ouest (qui parlait alors grec) de l’Asie Mineure, pour des raisons historiques qu’elle n’aime pas trop (elle, pourtant, la spécialiste de la « raison ») détailler. On parle souvent de « miracle grec », et la philosophie s’en estime souvent – davantage que la géométrie, l’historiographie, la médecine, le théâtre, la politique etc., nés là en même temps qu’elle –, le prodige central, voire le maître d’œuvre. Elle se croit volontiers sortie de la cuisse d’un Logos jupitérien, et, pour parler franchement, la philosophie n’examine pas volontiers la raison de la Préhistoire parce qu’elle estime, au fond, que la raison même, avant elle, n’était que dans sa préhistoire ! L’auteur démonte cette prétention en faisant prendre, lucidement, à la philosophie le « risque » de saisir son propre enracinement préhistorique en général – et Néolithique en particulier. Un peu comme l’exégète honnête de la Bible remarquerait en passant que si la faute originelle relève encore de l’âge de la cueillette, le premier meurtre concerne sans transition, sans même y penser, ni a fortiori penser ce que la possibilité même de sa mise en récit même leur doit, les deux figures majeures du Néolithique (l’agriculteur Caïn et l’éleveur Abel) ; mais une théologie au risque de la préhistoire serait une tout autre affaire.