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La Une CED

Sept jours sur le fleuve, Henry David Thoreau (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 18 Septembre 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Folio (Gallimard)

Sept jours sur le fleuve, Henry David Thoreau, Folio, février 2023, trad. anglais (USA) Thierry Gillybœuf, 656 pages, 10,90 €

 

Premier ouvrage publié du vivant de Thoreau (1817-1862), A Week on the Concord and Merrimack Rivers (1849) est la narration d’un voyage effectué par l’auteur et son frère en 1839, narration resserrée en sept jours pour autant de thématiques après le décès du second ; un in memoriam orienté vers une double expérience vivante : l’aventure sur des cours d’eau bordés d’une civilisation américaine naissante et du fantôme d’une civilisation amérindienne agonisante au mieux, et l’aventure de la pensée d’un homme qui va publier bientôt en revue La Désobéissance civile, est en train de mener la vie que l’on sait à Walden (expérience mise en livre en 1854) et tient un Journal dont seront extraites d’innombrables maximes avant qu’il soit publié bien après le décès de son auteur. Cet ouvrage est donc une clé pour saisir la pensée de Thoreau, ainsi que son style, et d’aucuns le considèrent comme une œuvre majeure du dix-neuvième siècle – à commencer par l’excellent traducteur et éditeur Thierry Gillybœuf, dont la passion pour la littérature américaine se lit depuis de nombreuses années au fil de traductions éblouissantes.

Betty, Tiffany McDaniel (par Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Vendredi, 15 Septembre 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, USA, Roman, Gallmeister

Betty, Tiffany McDaniel, éditions Gallmeister, 2020, trad. américain, François Happe, 480 pages

 

J’ai volontairement laissé le livre derrière moi. Pour ne pas être tentée de le citer, par passages. Pour le plaisir de la décantation. J’ai repensé aux toiles d’Anselm Kiefer qui vivent à l’extérieur, des jours, des mois, des années sans que le peintre ne les retouche. Afin que toute chose du monde s’y dépose. Pour l’empreinte et l’altération. Ou l’innocence corrodée.

Le livre est resté aux Samoa américaines. Sur l’île de Tutuila où je suis restée trente jours. Et je n’ai pris aucune note. J’ai voulu me souvenir. Page après page. Du visage de Betty. Comme celui de chaque femme et de chaque homme, aux Samoa, qui ont placé entre mes mains un fragment de leur île. J’ai songé à Betty, à son enfance relatée, ses pages d’écriture. À tout ce que l’on enfouit, ce que l’on apprend et qu’un voyage désapprend. Ou confirme. Le début. La fin. Trop précipité ou trop autoritaire.

La philosophie au risque de la préhistoire, Philippe Grosos (par Marc Wetzel)

, le Mercredi, 13 Septembre 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Essais

La philosophie au risque de la préhistoire, Philippe Grosos, Editions du Cerf, mai 2023, 208 pages, 18 €

La philosophie est née au VI-Vemes siècles avant Jésus-Christ, sur la côte ouest (qui parlait alors grec) de l’Asie Mineure, pour des raisons historiques qu’elle n’aime pas trop (elle, pourtant, la spécialiste de la « raison ») détailler. On parle souvent de « miracle grec », et la philosophie s’en estime souvent – davantage que la géométrie, l’historiographie, la médecine, le théâtre, la politique etc., nés là en même temps qu’elle –, le prodige central, voire le maître d’œuvre. Elle se croit volontiers sortie de la cuisse d’un Logos jupitérien, et, pour parler franchement, la philosophie n’examine pas volontiers la raison de la Préhistoire parce qu’elle estime, au fond, que la raison même, avant elle, n’était que dans sa préhistoire ! L’auteur démonte cette prétention en faisant prendre, lucidement, à la philosophie le « risque » de saisir son propre enracinement préhistorique en général – et Néolithique en particulier. Un peu comme l’exégète honnête de la Bible remarquerait en passant que si la faute originelle relève encore de l’âge de la cueillette, le premier meurtre concerne sans transition, sans même y penser, ni a fortiori penser ce que la possibilité même de sa mise en récit même leur doit, les deux figures majeures du Néolithique (l’agriculteur Caïn et l’éleveur Abel) ; mais une théologie au risque de la préhistoire serait une tout autre affaire.

Les Murmures du ciel, ou quand revient Jeanne, Erik L’Homme (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 12 Septembre 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Héloïse D'Ormesson

Les Murmures du ciel, ou quand revient Jeanne, Erik L’Homme, Éd. Héloïse d’Ormesson, mars 2023, 224 pages, 19 €

 

Chaque écrivain, même le moins doué des épigones, se considère à tort ou à raison comme unique (c’est fondamentalement vrai, comme pour tout être humain) et n’apprécie pas toujours qu’on le compare à un autre. Au risque assumé de le vexer (alors qu’il s’agit d’une comparaison flatteuse), Erik L’Homme évoque en sa dernière œuvre le Jean Raspail de L’Anneau du pécheur, ce roman magnifique sur une lignée spectrale et parallèle de Souverains Pontifes qui se serait déroulée depuis les papes d’Avignon et aurait survécu jusqu’à Jean Paul II. Mais, comme le demandait Raspail, qui peut dire si ces « antipapes », rejetés dans les limbes par l’historiographie pontificale, n’auraient pas été en des époques troubles les dépositaires authentiques de la succession apostolique (on sait que Jean XXIII Roncalli se divertissait à envoyer des cartes postales représentant la tombe de Jean XXIII Cossa, déposé par le Concile de Constance) ?

Supplique pour la fin des nuits sans lune, Laurence Fritsch (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mardi, 12 Septembre 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie

Supplique pour la fin des nuits sans lune, Laurence Fritsch, Pierre Turcotte Éditeur, Coll. Magma Poésie, mai 2023, 78 pages, 9,99 €

Par « une sorte de loi de la gravité paradoxale » ainsi que la définit le poète argentin Roberto Juarroz qui en fait le parangon de son œuvre, l’existence des hommes incline inévitablement vers la chute et, symétriquement, ressent un élan qui la tire vers le haut. C’est ainsi que l’homme peut abîmer le précieux qui l’entoure, sans mesurer les conséquences de sa négligence ou ignorance ; et se ressaisir. La lune n’y échappe pas, ici victime d’effets néfastes, satellite de la Terre éloigné de nos attentions pour cause d’intempéries, de pollution lumineuse, par convoitise économique aussi ; là – en l’occurrence par la grâce de ce recueil – objet de nos soins.

Ce premier recueil de Laurence Fritsch, intitulé Supplique pour la fin des nuits sans lune, vise en effet à nous alerter par ses poèmes instantanés du danger encouru à laisser s’établir l’éloignement de la lune. Ces poèmes, certains chargés de mystère d’autres plus intimistes et porteurs souvent de plusieurs clés de lecture, tentent par leur trait fulgurant ou leur charge suggestive d’exaucer ce que l’auteur de Poésie Verticale, cité en exergue du recueil, évoque dans sa Treizième poésie verticale : « (…) interrompre tout ce qui s’écroule : / la lumière, l’eau, l’amour / la pensée, la nuit ».