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La Une CED

Le Tigre Absence, Cristina Campo (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 20 Décembre 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie, Italie

Le Tigre Absence, Cristina Campo, Arfuyen, octobre 2023, trad. italien, Monique Baccelli, édition bilingue, 132 pages, 15 €

Qui est Cristina Campo ? D’abord un pseudonyme (Vittoria Guerrini – 1923-1977 – en eut bien d’autres, qu’elle oubliait elle-même à mesure, mais celui-ci, qui n’était connu que de ceux qui méritaient de la lire, l’arrangeait au mieux) ; ensuite ce qu’on appelle de nos jours une pure « résiliente » (née avec une grave malformation cardiaque, qui l’empêche de courir, et même de crier ou d’aller à l’école, elle en profite, enfant, pour apprendre quatre ou cinq langues dans les livres de poésie de son chef d’orchestre de père, et devenir elle-même musicienne en l’écoutant inlassablement répéter, tout en vivant de multiples traductions qui ne lui coûtaient rien) ; enfin une poète à la fois extrêmement sophistiquée (on se moque avec raison de ceux qui prétendent bien la comprendre), et très simple et directe (comme dans ce poème célèbre, où elle s’adresse à ses parents morts récemment – années soixante – pour leur demander, avec une géniale naïveté, de… ne pas se contenter d’être morts, de faire de leur néant quelque chose qu’avec ou que dans l’être, on ne peut pas faire !). Plus précisément, la voilà séparée – à jamais – d’eux par celui qu’elle appelle le « Tigre Absence », puisque ceux qui lui ont appris à aimer le monde la déchirent d’en avoir disparu, poème délirant (supplier, comme elle fait là, des cadavres, et y amadouer un tigre sont actes aussi absurdes que travailler de l’eau, faire rire un scorpion, ou convaincre la foudre), et pourtant limpide et infiniment naturel :

Spinoza encore… (par Patricia Trojman)

Ecrit par Patricia Trojman , le Jeudi, 14 Décembre 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques

Peut-on penser l’actualité malgré son innommable barbarie qui nous laisse sans voix ? Relire Spinoza dans la nouvelle édition Pléiade publiée sous la direction de Bernard Pautrat, avec la collaboration de Dan Arbib, Frédéric de Brizon, Dénis Kambouchner, Peter Nahon, Catherine Sécrétan, et Fabrice Zagury, sonne aujourd’hui comme une nécessité. Nécessité morale et non vertueuse dans la mesure où nous en avons fini avec l’ère de la vertu aristotélicienne, à cet idéal de l’homme de bien qui est voué au cynisme d’une nouvelle anthropologie réaliste, sans nulle transcendance.

Nous revivons l’impensable retour de l’impensé : la haine de l’homme européen. Le contexte violent dans lequel vivait Spinoza, dans ces Provinces dites unies mais déchirées par les incessantes guerres de religions et les traques des bûchers encore brûlants des tribunaux de l’Inquisition, nous permet de mieux comprendre les affres de notre présente actualité. Avant Hegel qui faisait de la lecture du Journal sa prière réaliste du matin, que dire de l’extraordinaire Éthique de Spinoza articulant dans son système à la fois l’analyse du mal et la connaissance de la substance divine générant sérénité et béatitude ?

ON AIR (par Sandrine Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Jeudi, 14 Décembre 2023. , dans La Une CED, Ecriture, Récits

 

Amis Français d’ici ou d’ailleurs, good morning !

As-tu passé dix-sept heures dans un aéroport, à vider les testeurs de parfums et les échantillons de crèmes, à cent dollars les 30 ml ; deux heures, assis, dans un avion sur le tarmac pour finalement être débarqué, réembarqué sept heures plus tard, trois jours et quatre avions pour traverser les États-Unis et trois nuits en chien de fusil dans trois aéroports à réciter des mantras en élaborant des scénarios de meurtre ?

Voilà à quoi ressemble le monde merveilleux des vols intérieurs américains. Dédommagements, hébergements, bons repas, que nenni, ça, c’est si tu as le temps de faire la queue au service commercial de ladite compagnie aérienne qui pratique le débarquement, le surbooking, le burn-out, le work-more/win-less et toutes les réjouissances du low-cost. Slogan subliminal, Tu ne sais pas quand tu pars, tu ne sais pas quand tu arrives, si c’est toi ou ta valise qui part.

Mort et vie sévérine, João Cabral de Melo Neto (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 13 Décembre 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Amérique Latine, Poésie, Langue portugaise

João CABRAL de MELO NETO - Mort et vie sévérine - Édition bilingue. Traduction et présentation de Mathieu Dosse - Chandeigne, 2023, 136 p.,18€

 

Un poème (en fait, une "scène de Noël" écrite en 1955, un jeu théâtral versifié répondant à une commande, et refusé comme injouable - qui n'a eu que dix ans plus tard un étonnant succès, dans une version politico-musicale que Chico Buarque impose à la fois à la dictature d'alors, à Cabral lui-même, d'abord réticent, et au public européen, subjugué) formidable, virtuose et simple, dont on se surprend, un oeil sur les pages de gauche, à scander l'irrésistible et opaque portugais. L'histoire monologuée d'un migrant ("um retirante") du Nordeste, Sévérino, qui gagne, à pied, Recife, pour, fuyant sécheresse et misère, y trouver à vivre ; en une quinzaine d'étapes alertes, familières, denses - le long du fleuve Capibaribe, qui mène du haut-Pernambouc à la métropole côtière - pendant lesquelles le désespoir grandit, les objections au suicide s'essoufflent, la tentation de "prendre une autre sortie; celle qui fait sauter, de nuit, du pont et de la vie" s'installe, jusqu'à ce qu'une naissance - comme on va voir - change l'issue, et redirige ailleurs l'échec.

Capitale de la douleur et L’Amour la poésie, Paul Eluard (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 12 Décembre 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie

Capitale de la douleur, Paul Éluard, Folio/Lycée, août 2023, 256 pages, 4,50 € L’Amour la poésie, Paul Eluard, Folio/Poche, février 2023, 128 pages, 3 €

 

Publié en 1926, Capitale de la douleur est probablement le recueil poétique le plus célèbre de Paul Éluard, ce qui lui vaut en 2023 une réédition dans une collection à visée pédagogique. Voici donc ce livre dont André Breton disait qu’il était destiné « à ceux qui depuis longtemps n’éprouvent plus le besoin de lire » revenu au cœur de l’actualité éditoriale, avec cette question lancinante et sous-jacente : qu’ont encore à dire aujourd’hui ces poèmes du déchirement amoureux ? Rien, et tout, puisque les sentiments exprimés avec puissance (« À terre, à terre tout ce qui nage !/ À terre, à terre tout ce qui vole !/ J’ai besoin de poissons pour porter ma couronne/ Autour de mon front,/ J’ai besoin des oiseaux pour parler à la foule », L’hiver sur la prairie) et force images qui sont autant de provocations à l’esprit, d’incitations à régénérer toute vision, tout ressenti, toute expérience (« Au hasard tout ce qui brûle, tout ce qui ronge,/ Tout ce qui use, tout ce qui mord, tout ce qui tue,/ Mais ce qui brille tous les jours/ C’est l’accord de l’homme et de l’or,/ C’est un regard lié à la terre »,